Spiritualité et développement personnel chez Occupons Montréal

Par Wassim Al Ezzi

Voyez mes frères, le printemps est venu… la Terre a reçu l’étreinte du soleil, et nous verrons bientôt les fruits de cet amour!

Chaque graine s’éveille et de même chaque animal prend vie.

C’est à ce mystérieux pouvoir que nous devons nous aussi notre existence

C’est pourquoi nous concédons à nos voisins, même animaux, le même droit qu’à nous d’habiter cette Terre.

Pourtant, écoutez-moi vous tous, nous avons maintenant affaire à une autre race, petite, faible, quand nos pères l’on rencontrée pour la première fois, mais aujourd’hui grande et arrogante.

Assez étrangement, ils ont dans l’idée de cultiver le sol et l’amour de posséder est chez eux une maladie.

Ces gens-là ont établi beaucoup de règles que les riches peuvent briser, mais non les pauvres.

Ils prélèvent des taxes sur les pauvres et les faibles pour entretenir les riches qui gouvernent.

Ils revendiquent notre mère à tous, la Terre pour leur propre usage et se barricadent contre leurs voisins.

Ils la défigurent avec leurs constructions et leurs ordures.

Cette nation est pareille à un torrent de neige fondue qui sort de son lit et détruit tout sur son passage.

Nous ne pouvons vivre côte à côte.

 

Tatanka Yotanka, ou Sitting Bull, grand chef Sioux  (1831 – 1890)

Spiritualité et développement personnel chez Occupons Montréal

Mikelai Cervera est un Indigné ayant souvent participé aux Assemblées Générales d’Occupons Montréal, notamment en tant que secrétaire. Il a aussi contribué à la diffusion en direct des Assemblées Générales sur Livestream. Cela l’a rapproché du collectif 99%Média. Ce dernier l’a mis en contact avec CUTV (la chaîne de télévision communautaire de l’Université Concordia), qui l’a formé comme assistant à la production et avec qui il a été bénévole sur une base régulière pour le groupe News, avant de devenir membre de son conseil d’administration.

Son premier contact de nature spirituelle avec Occupons Montréal a eu lieu lors de la deuxième assemblée générale, qui a eu lieu le 16 octobre 2011. Un représentant du conseil traditionnel mohawk a ouvert la séance par une prière en langue mohawk. La foule présente s’était alors transformée en microphone humain, chacun répétant syllabe après syllabe les paroles mohawk, qui ont été ensuite traduites. Pour Mikelai, cette prière lui a donné l’impression de communier avec la nature, de passer du statut de consommateur dans notre société au statut de citoyen. La transition est importante, puisqu’elle lui a permis de changer sa perception de la richesse. Il avait alors l’impression d’être millionnaire, car le discours mohawk ne recherche pas seulement la rationalité mais aussi les symboles, les sentiments, les images. Les autres participants étaient également perméables à cela.

LA PENSÉE AMÉRINDIENNE

La philosophie amérindienne se reflète de nombreuses façons au sein d’Occupons Montréal. Dans une entrevue accordée au professeur de sciences politiques à l’UQAM Francis Dupuis-Déri, Georges E. Sioui (historien, membre de la nation des Hurons-Wendats et président de l’Institute of Indigenous Government à Vancouver) la décrit ainsi :

« La philosophie amérindienne est principalement caractérisée par un mode de pensée circulaire, c’est-à-dire que cette philosophie entend reconnaître les relations qui unissent entre eux tous les êtres et tous les actes. Ajoutons également qu’il n’y a pas de séparation entre sacré et profane, ni d’éléments permettant de légitimer la domination des espèces par une d’entre elles qui serait supérieure aux autres. L’idée biblique selon laquelle l’être humain a été créé par Dieu pour dominer le reste de la création, qui n’existe que pour servir ses intérêts, est étrangère à la philosophie circulaire. » Cette philosophie circulaire serait ancestrale, car selon lui : « il n’y aurait pas eu naissance de sociétés humaines si la nature circulaire de la vie n’avait pas été reconnue. Suite à une série de contraintes environnementales et climatiques, certaines sociétés ont oublié momentanément l’idée de circularité pour adopter une approche linéaire qui a la malheureuse capacité de détruire. Pourtant, si on retourne aux sources, toutes les grandes philosophies et les grandes religions s’accordent sur l’unité fondamentale des êtres humains. […] La pensée circulaire offre à l’individu la capacité d’entrer en communication avec les animaux ou les plantes même s’ils nous apparaissent mystérieux au premier abord. Alors que, pour d’autres traditions, l’idée de se concevoir l’égal des animaux, des plantes ou des pierres semble humiliante, il s’agit, chez les penseurs du Cercle, d’une idée sécurisante qui apporte la paix. »

N’est-ce pas cette vision du monde qui influence le modèle de démocratie directe adopté au sein d’Occupons Montréal (pour les assemblées) ainsi que la cuisine du peuple végétarienne (voire végétalienne) qui offre de la nourriture pendant les occupations ? D’ailleurs, la forme même des occupations, qui sont nomades, nous rappellent le mode de vie de l’amérindien refusant la sédentarité (qu’il considère comme une aliénation) et habitant dans sa « tente » (tipi), à l’instar de Flying Hawk, chef Sioux du clan des Oglalas :

« La vie dans un tipi est bien meilleure. Il est toujours propre, chaud en hiver, frais en été, et facile à déplacer. L’homme blanc construit une grande maison, qui coûte beaucoup d’argent, ressemble à une grande cage, ne laisse pas entrer le soleil, et ne peut être déplacée; elle est toujours malsaine. Les Indiens et les animaux savent mieux vivre que l’homme blanc. Personne ne peut être en bonne santé sans avoir en permanence de l’air frais, du soleil, de la bonne eau. Si le Grand Esprit avait voulu que les hommes restassent à un endroit, il aurait fait le monde immobile; mais il a fait qu’il change toujours, afin que les oiseaux et les animaux puissent se déplacer et trouver toujours de l’herbe verte et des baies mures.

L’homme blanc n’obéit pas au Grand Esprit. C’est pourquoi nous ne pouvons être d’accord avec lui. »

À cette logique circulaire, présente non seulement dans la nature (migration des oiseaux, cycle des saisons, cheminement de la vie) mais aussi dans l’Univers (rotation du soleil et de la lune, aspect des astres), Georges Sioui oppose la logique linéaire, qui force l’individu « à croire à des systèmes philosophiques et politiques qui ne protègent que les intérêts des gens les plus puissants et les plus habiles à perpétuer le système ». Et l’incapacité des sociétés humaines à évoluer vient du fait que les idées progressistes, marxistes et utopistes sont elles-mêmes influencées par une tradition messianique (héritage du judaïsme). Mais comme se le demande Georges Sioui : « Pourquoi attendre des messies quand on peut exercer son jugement et sa raison par nous-mêmes? Les messies interviennent dans des systèmes où l’humain a été opprimé intellectuellement et spirituellement. Les philosophies progressistes promettent des messies libérateurs parce qu’il y a eu une oppression prolongée. Cette stagnation idéologique, spirituelle et sociale ne peut se résoudre que dans une révolte. »

Et cette révolte qu’incarnent les participants d’Occupons Montréal reflète la volonté de retrouver une liberté individuelle chère aux penseurs du Cercle de Georges Sioui. Mais cette évolution passe vers une réorganisation de la société basée sur le principe de l’horizontalisme. Pour Marina A. Sitrin, auteure de Everyday Revolutions: Horizontalism & Autonomy in Argentina, l’horizontalisme (qui s’oppose à la verticalité des sociétés hiérarchisées) a pour objectif de rompre avec les institutions de pouvoir et de contre-pouvoir traditionnelles en organisant un « réseau international de communes déterritorialisées et souveraines », qui n’est pas sans rappeler le principe des phalanstères du philosophe Charles Fourier, fondateur de l’école sociétaire. D’ailleurs, pour beaucoup de participants d’Occupons Montréal, l’objectif à long terme est de parvenir à créer une écosociété indépendante du système dominant.

LE COLLECTIF JAPPEL

Dans l’état actuel des choses, et afin de parvenir à un changement global, le travail d’Occupons Montréal est de tisser les interactions entre individus en mettant l’enphase sur l’éducation populaire, la mobilisation et la créativité. Au printemps 2012, alors que le mouvement semblait essouflé après que le campement des Indignés au Square Victoria a été démantelé par les policiers du SPVM (suite à l’ordre d’éviction émis le 23 novembre 2011) et que l’hiver a refroidi les ardeurs des manifestants, une vingtaine de bénévoles décident de former le collectif JAPPEL (Journées d’Actions Populaires pour un Printemps Érable et globaL), dont l’objectif est de promouvoir la convergence des luttes, des mobilisations et des initiatives diverses, un an après l’apparition du mouvement des Indignados espagnols. C’est dans cette optique que les membres du collectif sont partis, une semaine avant le lancement des JAPPEL, en retraite (camping) afin d’établir la formule qu’ils voulaient utiliser. Cette retraite a tout d’abord été l’occasion d’établir une chronologie des occupations qui avaient eu lieu jusqu’à ce jour (en faisant ressortir les aspects tant positifs que négatifs) et de former un symposium sur les piliers du pouvoir, sur le système économique actuel, sur notre alimentation… Mikelai raconte :

« La retraite était dans les Laurentides, c’était au printemps et la neige avait complètement fondu. Nous sommes arrivés vendredi en début de nuit. On nous a accueilli, torche à la main et guidés vers une charmante petite cabane en bois rond où nous avons déposés nos bagages. Dispersées comme un tout petit village, il y en avait trois autres dont une de deux étages au centre, près de laquelle nous cuisinions et mangions. Au Sud il y avait un lac, depuis lequel un ruisseau coulait, tranchant le site en deux. Des fois les débris faisaient un barrage naturel et il fallait les déplacer pour que l’eau se remette à couler. Le calendrier des activités était assez chargé: déjeuner avant 9h, jeu ou exercice de dégourdissement collectif, atelier, jeu, 2e atelier, repas, exercice, 3e atelier… Chaque atelier était présenté par un participant ou groupe différent, donc on a eu une douzaine d’ateliers je dirais, sans compter celui qui se développait tout au long de la retraite. Concrètement, sur place, il s’agissait de monter une ligne du temps des évènements, pour ensuite déterminer notre ligne de conduite à partir de là. Ensuite il fallait faire ressortir quelques projets auxquels nous nous sentions prêts à nous consacrer. Rendu là nous manquions de temps, les gens partaient déjà, mais c’est avec des objectifs clairs et en harmonie que nous sommes revenu de cette retraite. »

Une fois la retraite terminée, l’appel à la convergence des luttes dans l’espace public a été lancé par le collectif JAPPEL, avec quatre journées d’activités auto-programmées, du 12 au 15 mai, se joignant ainsi aux actions simultanées partout dans le monde qui soulignaient le premier anniversaire du mouvement des Indignados espagnols. Il s’agissait clairement d’une réponse à la société de consommation, entretenue par la vision verticale du pouvoir, qui brouille les liens sociaux et qui entraîne la perte de notre pouvoir naturel. Celui-ci, explique Mikelai, peut être conceptualisé par la notion polynésienne de mana, force impersonnelle sacrée présente dans chaque élément de l’Univers et que l’anthropologue Marcel Mauss décrivait comme étant l’émanation de la puissance spirituelle d’un groupe, contribuant ainsi à le rassembler. Les Journées d’Actions Populaires pour un Printemps Érable et globaL (JAPPEL), au final, en prônant le recours à l’action collective et la création de réseaux de collaboration à toutes les échelles, ont donc pour finalité la réappropriation du pouvoir naturel de l’être humain.

Ces journées ont également été l’occasion d’expérimenter une nouvelle organisation spatiale qui reflète cette volonté de reconquérir le pouvoir naturel. L’espace sur lequel évoluent les activités d’Occupons Montréal (dans le cas présent – le Square Victoria) est désormais organisé autour des quatre éléments (la Terre, l’Air, l’Eau, le Feu), tous des pierres angulaires de la vie par leur influence fondamentale sur nos structures sociales et nos cultures. Ainsi, les ressources, la nourriture et la qualité de vie sont une manifestation physique de l’élément Terre, l’éducation et la connaissance de l’élément Air, tandis que la créativité et les valeurs sont associées au Feu et la santé et la médecine à l’Eau. Chacun de ces éléments sont exploités et corrompus par le système dominant, qui entretient notre dépendance envers lui en monopolisant le contrôle sur les besoins essentiels dont nous avons besoin pour vivre une existence harmonieuse sur Terre. Le diagramme ci-dessous illustre la mainmise du système sur les fondations de la vie.

source : Elements of Power From Corporate Empire into Empowered Communities, document écrit par Drew Michelle Armstrong et Matthieu Tallard pour proposer une vision de l’organisation des campements d’Occupons Montréal

Le second diagramme illustre la réappropriation des éléments, canaux d’énergie représentés dans un cercle qui montre l’interdépendance au lieu du cloisonnement. Le concept-clé est la coopération : pour arriver à un changement global, les ambitions individuelles doivent s’intégrer et être intégrées par les aspirations larges d’un groupe. Ce processus nécessite d’être engagé dans les dynamiques de groupe, ce qui nous permettra de retrouver notre nature sociale et coopérative et déboucher ainsi sur une autonomisation de la communauté.

Les éléments de la Terre, de l’Air, du Feu et de l’Eau sont organisés sur le site en conciles. Ceux-ci sont formés de personnes impliquées dans les différents groupes de travail (dédiés à une tâche spécifique au sein d’Occupons Montréal). L’organisation des groupes de travail en conciles des éléments est une tactique organisationnelle visant à faciliter la communication et la navigation au sein du mouvement. Par exemple, lorsque de nouveaux venus arrivent sur le site et se demandent comment s’impliquer, ils pourront s’adresser au bureau des renseignements qui leur demandera quelle activité les inspire le plus, et, selon leur réponse, les dirigera vers le concile élémentaire correspondant. Ainsi, si les nouveaux venus sont intéressés par les arts et le théâtre, ce sera le concile du Feu. À partir de ce concile, il vont retrouver les groupes de travail associés ou en créer un (par exemple : Atelier Théâtre de rue). Les conciles des éléments offrent donc des repères au participants et leur permettent de contribuer de la façon qui les inspire le mieux.

Programme de la 1ère journée des JAPPEL (12 mai)

Cette vision de l’organisation implique d’ailleurs que les participants peuvent être liés à plusieurs conciles à la fois, dans le cas où ils sont membres de plus d’un groupe de travail. Quoiqu’il en soit, les quatre conciles ne travaillent jamais séparément : par exemple, un groupe faisant partie du concile du Feu qui souhaite présenter un spectacle le weekend devra communiquer avec le groupe responsable de la gestion du site (concile de la Terre) afin de savoir si quelque chose est déjà organisé ce week-end et s’il y a de la place pour monter la représentation.

Groupes de travail au sein du concile de la Terre : Cuisine du Peuple (offre des plats gratuitement aux occupants et aux visiteurs ; alimentée par le dumpster diving et les donations), Autonomie et sécurité alimentaire (groupe dédié à la sensibilisation à la souveraineté alimentaire, les crises de l’eau, les mouvements paysans…), divers groupes responsables de la gestion du site, de la finance, des donations…

Groupes de travail au sein du concile de l’Eau : groupes dédiés aux méditations (yoga, Sangha, Tai Chi, etc), aux médiations/facilitations, aux premiers secours…

Groupes de travail au sein du concile de l’Air : Idées de la Place du peuple (groupe de réflexion politique et philosophique), Comité Web (administre les différents espaces web et outils en ligne ainsi que des formations), groupe responsable des relations avec les médias, divers groupes éducatifs…

Groupes de travail au sein du concile du Feu : Chorale du Peuple (chante à propos des injustices sociales à partir de musiques connues), Comité Arts (musique, dance, poésie…), Cinéma du Peuple…

Il existe un cinquième élément présent sur le site d’Occupons Montréal : l’Esprit. Tel le centre d’une toile d’araignée, l’Esprit illustre le dessein commun du groupe. Il s’agit de l’espace central du site, par lequel passent toutes les énergies brutes créées par les intentions de chaque participant, devenu créature qui prend part à un projet commun, devenu acteur de la conscience sociale.

LE GUERRIER INTÉRIEUR

C’est ce développement de la conscience sociale, à travers les révolutions individuelles, qui alimente les réflexions de Thierry Pasquier, docteur en pharmacie, aventurier, passionné de psychologie transpersonnelle et auteur d’un guide de développement personnel Le Guerrier intérieur. Tout comme Mikelai, il a répondu à l’appel des Indignés en octobre 2011 et a participé à l’organisation de quelques ateliers (sur la sociocratie, sur l’action non-violente, sur la désobéissance civile…). Voici l’entrevue réalisée avec lui :

Quelle est la nature du développement spirituel/personnel que vous avez pu expérimenter au sein d’Occupons Montréal ? Quels sont les moyens employés par OM pour le promouvoir? Comment la spiritualité s’intègre ou se manifeste dans l’action directe ?

Je ne suis pas quelqu’un qui aime les foules. Mais début octobre 2011, je me suis senti appelé vers les indignés d’Occupons Montréal. J’y ai passé six semaines, à raison de 3 à 4 jours par semaine. J’y allais pour percevoir la maturité de la foule, du groupe. J’ai été impressionné par la capacité des gens (jeunes pour la plupart) à fonctionner ensemble, dans un processus de démocratie directe. Il y avait pourtant des divergences d’opinion allant des milices du Québec à l’extrême-droite aux anarchistes à l’opposé gauche !

Beaucoup ne savaient pas clairement pourquoi ils étaient là. Un vent les a porté place Victoria (la place du Peuple) comme des feuilles dans le vent du début de l’automne. Ils se sont laissés portés alors que le reste de la société restait encore accroché à son « arbre ».

Cependant, chaque fois que je rentrai dans une discussion traitant de la « Révolutiuon » à faire pour changer le monde, je sentais leur attention éveillée quand je faisais remarquer: « Depuis des millénaires l’homme fait des révolutions de Droite ou de gauche en passant par le centre. Et pourtant je ne connais pas un pays qui soit le paradis sur Terre, même au Québec n’est-ce pas? Alors pourquoi ne pas tenter la seule révolution qui n’a jamais été tentée? »

Et ils me regardaient en disant: « Laquelle? »

– « Mais la révolution Intérieure, en nous d’abord et dans la conscience sociale ensuite. »

Il commence, à apparaître, dans la foule, une conscience spirituelle (je dis bien spirituelle, pas religieuse) et elle se manifestait discrètement par:

► la prière autochtone de remerciement avant toutes les Assemblées Générales (pour Honorer la terre, les êtres qui y on vécu, qui y vivent et qui y  vivront)

► la médiation silencieuse à midi le samedi pour reprendre contact avec qui nous sommes vraiment, au-delà de nos rôle et de nos cultures.

► les ateliers de compréhension sur les cycles de la vie et ce que traverse l’humanité et la Terre en pleine transformation.

Quels sont vos constats, votre analyse de la société actuelle, votre critique de la culture dominante, les maux que vous indentifiez, les thèmes que vous auriez souhaité être (re)mis en avant ?

La culture n’est que le reflet des êtres humains qui la créent. Depuis des millénaires l’humanité, à travers de multiples expériences de vie, de génération en génération, est passée progressivement d’une culture tribale reposant sur la famille, le clan et la tribu à une culture individualiste. Tous les groupes de jadis étaient (et sont encore) dirigées par un chef, comme nos partis politiques. Progressivement, l’individualisation de l’être humaine a pris le dessus, notamment dans les pays riches, jusqu’à un excès d’individualisme où chacun revendique autant de droits que possible en s’abstenant le plus possible des devoirs.

L’ensemble des maux de notre société vient de cette évolution naturelle de l’être humain, que l’on peut résumer par un état de conscience de séparation. Il y a moi et les autres, moi et le reste.

Cet état est à la source des défis majeurs qui se posent à notre société (environnement, économie, social, politique et culturel).

Ce que les prophéties, les clairvoyants et autres futurologues annoncent. C’est ce changement de conscience de l’individualisme vers l’unité, avec comme étape intermédiaire la fraternité dans la famille humaine qui ferait de la vie un véritable « paradis Terrestre ».

Quelles sont vos références théoriques ? Sous quelle perspective historique peut-on placer le cheminement spirituel et social proposé par Occupons Montréal ?

Mes références sont nombreuses. C’est la réflexion de ma vie. Les enseignements les plus solides que je connaisse concernant l’évolution de la conscience de l’humanité sont ceux d’Alice A. Bailey [une des personnalités fondatrices du mouvement du New Age] et au Québec, ceux d’Annie Marquier [fondatrice de l’Institut du Développement de la personne au Québec]. Plus prés de l’action sociale et civile, il y a Gandhi. Et au-delà de tout le théâtre humain, Krishnamurti et l’école de la non-dualité (avec Lao Tseu comme précurseur) sont mes références. Il y a toujours eu des penseurs qui voyaient plus loin que l’humanité, enlisée dans sa conscience quotidienne limitée. Chaque religion comporte un programme exotérique qui est disponible pour tout un chacun et un programme Ésotérique (caché) pour ceux qui ont le goût et le courage d’aller fouiller un peu plus loin au fond d’eux-mêmes. Ce qui arrive dans notre époque fascinante mais difficile, c’est que notre Terre elle même, qui évolue aussi se transforme, nous offre le choix entre nous adapter à un nouveau paradigme ou à mourir.

Le changement d’ère (du Poisson à celle du Verseau), ou, pour être plus pragmatique, la suite de l’ère industrielle qui nous a ensevelis sous les biens matériels, puis de l’ère de l’information qui nous englouti sous les données de toutes sortes, tout cela nous mène à l’ère de l’éducation. De l’éducation véritable, celle qui permet l’épanouissement du potentiel qui dort en l’être humain, pas juste la « diplomation » que procurent les écoles.

Quelles sont les idées directrices et les valeurs centrales que vous mettez en valeur ? Quels sont les concepts philosophiques que vous exposez ?

 

La synthèse de ma façon de vivre et de voir la vie est décrite dans le livre « Le guerrier intérieur ». Le Guerrier se représente ainsi le monde:

1.     Le monde est tel qu’il est ;

2.     Nous ne percevons pas le monde tel qu’il est, mais tel que nous sommes. Nous le décodons à travers un spectre limité de fréquences par la vue, le son, l’odorat, le goût, le toucher, ce qui engendre une compréhension partielle de « ce qui est » ;

3.     La perception fragmentaire de notre ego dans la dualité génère le désir de changer « ce qui est » en « ce qui devrait être » ;

4.     L’attachement à ce désir engendre tous les conflits et la souffrance qui font naître la conscience ;

5.     La conscience conduit à la cessation de la souffrance qui vient avec le lâcher-prise sur le désir de changer « ce qui est ».

6.     Sans attente, il devient possible de « ne pas faire », de cocréer avec « ce qui est » et d’être heureux sans raison.

7.     Sur ce chemin, on ne peut compter que sur soi-même, mais on ne peut pas y arriver seul.

De quelle facon le développement spirituel/personnel d’OM apporte-t-il une réponse aux dogmes et à l’aliénation causée par la culture/société dominante ? Comment permet-t-il de retrouver une existence authentique ? Comment pourrait-il influer sur une reconfiguration politique et sociale ?

La spiritualité dans OM n’est pas un dogme. C’est un élargissement de la conscience des individus vers une conscience de groupe. Un échappée de l’individualise vers l’intelligence collective. Pour que cette intelligence du groupe se manifeste, il faut que les individus qui la compose ne soient pas des moutons, mais des être totalement individualisés, connaissant leur force, leur faiblesse et possèdent une certaine maîtrise des deux.

L’être se sent alors utile au sein de sa communauté en y prenant sa juste place; Celle que son âme lui souffle, pas celle que son ego peut désirer. Et là il peut mener une vie authentique, dépouillée d’un part des conditionnements sociaux.

Le printemps Érable à montrer comment ce mouvement influence la vie sociale et Politique: La CLASSE fonctionne aussi en Démocratie Directe, sans « Chef » mais seulement un ou des porte parole, qui comme l’indique leur nom ne font que porter la parole du groupe. Cela déconcerte beaucoup nos politiciens qui ont tellement l’habitude de prêter leurs intentions aux autres du style « Les québécois pensent que… » « Les étudiant veulent retourner en classe… » etc. Les médias sont aussi très déconcertés de ne pas avoir de chef à qui parler et de bouc émissaire à éventuellement attaquer.

Stratégiquement parlant, quels sont les objectifs poursuivis par OM à travers la promotion du développement spirituel/personnel ?

OM n’a pas d’objectif défini parce qu’OM est une manifestation du vent de changement qui souffle sur la planète et en chaque personne. Plus précisément OM a des objectifs beaucoup plus vastes. Recoudre le tissu social est un des éléments ; redonner la création monétaire à la société civile en est un autre ; la fraternité et la solidarité aussi ; l’éducation véritable encore un autre objectif.

Dans son livre didactique « le Guerrier intérieur », Thierry Pasquier reprend une citation de l’anthropologue américain Carlos Castaneda : « La guerre, pour un Guerrier, est la lutte totale contre le moi individuel qui a privé l’homme de son pouvoir. » Dans la partie introductive de son ouvrage, il explicite la nature de ce combat contre soi-même :

L’entraînement du Guerrier intérieur ne mène pas à la grandeur sociale. Il a pour but de créer dans le monde des guides capables de servir la société dans son évolution, par une action puissante, tempérée par la patience, la sensibilité du cœur et l’éthique du moine. De tels êtres ont le pouvoir de créer le paradis sur terre. Pourquoi se dépenser pour moins ?

Cette voie devient fascinante quand on sait qu’un Guerrier agit tout en sachant que ce monde est à la fois une illusion de nos sens, et une projection de notre esprit. Et malgré tout, il agit comme s’il ne le savait pas. C’est ce qu’il appelle la « Folie contrôlée ».

[…]

Dans notre état d’esprit ordinaire, nous ne sommes pas conscients de notre pouvoir de Guerrier car toute notre énergie est accaparée par nos soucis, nos préoccupations, nos désirs, nos frustrations et nos peurs. Nous faisons tous, chaque jour, des efforts pour vivre. Évoluer consciemment demande de faire un sur-effort, littéralement un effort de plus par-dessus les efforts de notre quotidien. Voilà pourquoi un Guerrier a besoin d’énergie. Une énergie qu’il chasse sans répit pour faire grandir son Pouvoir personnel.

Pour accumuler le plus d’énergie possible, le Guerrier se libère de son passé jusqu’à l’effacer. Puis il arrête son dialogue intérieur et équilibre les deux côtés de son être.

Notre côté droit (raison) peut rendre compte de tout ce qui a lieu à l’intérieur de la représentation que nous nous faisons du monde. Il refuse catégoriquement ce qui est extérieur à cette représentation. Il nie même qu’il puisse y avoir un extérieur, un côté gauche.

Le but du Guerrier est de s’aventurer, par sa « Folie contrôlée » dans le côté gauche, la « non-raison » et il le fait en naviguant sur un océan de paradoxes.

Cependant, ce qui importe vraiment pour lui, ce n’est pas de créer une nouvelle représentation un peu plus large, mais de « s’arracher » des descriptions, de s’en libérer, pour arriver à la totalité de soi-même et entraîner l’humanité à sa suite en jouant son rôle sur Terre, que ce rôle reste inconnu ou qu’il devienne célèbre. C’est à travers cette tâche que nous trouvons les expériences qui nous conduisent à notre liberté.

En ce qui concerne le pouvoir personnel, Thierry Pasquier fait une distinction claire entre le pouvoir utilisé par l’ego à des fins personnelles et le pouvoir utilisé par le Soi au niveau de l’actualisation. Cette distinction est illustrée par la pyramide des besoins du psychologue américain Abraham Maslow :

Le Guerrier intérieur va au-delà de l’état de conscience habituel « qui utilise le peu de pouvoir que nous avons à des fins égoïstes de domination, de manipulation (relation) ou encore pour se sécuriser (survie, sécurité), se prouver quelque chose, pour le plaisir, pour recevoir l’approbation des autres (valorisation). » La quête du Guerrier est celle de l’énergie (dans le sens premier du mot grec energeia : force en action) pour franchir de nouveaux seuils de conscience. Si nous voulons être heureux, nous devons ressentir notre lien profond avec l’humanité et nous dédier à son service. C’est l’usage que nous faisons de cette énergie qui détermine notre bonheur.

Le livre de Thierry Pasquier est somme toute un manuel organisé autour de nombreux concept-clés pour mener la révolution intérieure. On y retrouve (entre autres) :

► la notion d’impersonnalité : refuser de s’identifier aux désirs conscients et inconscients de la personnalité, autrement dit briser les chaînes de notre autocontemplation, de notre narcissisme, effacer notre histoire personnelle, perdre le sens de notre propre importance, agir sans en attendre de résultat ; un Guerrier intérieur n’agit pas pour le profit, mais pour l’esprit.

► le concept d’humilité : être capable de nous détacher des jeux illusoires de la personnalité, de perdre l’importance de nous-mêmes. Cesser de nous définir par notre propre histoire personnelle (alourdie de nos traumatismes passés) qui nous limite, nous enferme, non seulement par le regard que nous avons sur elle, mais aussi par le regard qu’ont ceux qui connaissent cette histoire.

► l’idée d’apprivoiser la mort : rompre avec l’attitude ordinaire qui consiste à se complaire dans un sentiment d’immortalité comme si ne pas penser à la mort nous en protège. Il faut au contraire vivre avec la conscience de la mort, qui est un stimulant vital. Sans elle, le Guerrier n’aurait pas la puissance et la concentration indispensables pour transformer son temps sur terre en Pouvoir personnel.

La vrai question, selon Thierry, n’est pas « Être ou ne pas être », mais « Faire ou ne-pas-faire ». Tandis que le « faire » désigne tout ce que nous faisons d’ordinaire. Ne-pas-faire, c’est faire à partir de l’intelligence intuitive du cœur et non de l’intelligence rationnelle du mental. « Tout ce que nous devons décider, c’est que faire du temps qui nous est imparti », disait Tolkien.

L’ÉCOPSYCHOLOGIE

Ce travail d’introspection, de rupture avec les conditionnements entretenus par la société consumériste, de reconnexion avec notre environnement (société, nature, Univers) mobilise également Marie Denis, fondatrice d’Écolo-vie, première entreprise au Québec à proposer divers services en écopsychologie qui s’adressent autant à une personne qu’à des groupes. Pour apporter sa pierre à l’édifice d’Occupons Montréal, elle a animé gratuitement plusieurs ateliers d’écopsychologie dans les parcs.

D’abord née des réflexions de l’anthropologue, psychologue et épistémologue Gregory Bateson (également initiateur de l’école de Palo Alto à l’origine de la thérapie familiale) qui a publié en 1977 Vers une écologie de l’esprit, l’écopsychologie se situe à mi-chemin entre la philosophie environnementale, l’anthropologie, la psychologie et l’écologie. Cette mouvance a été popularisée par Theodore Roszak (qui est aussi celui qui a rendu célèbre le concept de contre-culture) et par deux psychiatres, Allen Kanner et Mary E. Gomes, qui ont co-écrit un ouvrage, Ecopsychology: Healing the Mind, Restoring the Earth.

Là où la psychologie classique ne traite que des relations de l’humain avec lui-même, oubliant que l’humain est par essence un être ancré dans la nature et que les mondes intérieurs et extérieurs sont intimement connectés, l’écopsychologie se base sur l’idée qu’il existe une synergie entre le bien-être du vivant et le bien-être planétaire, et que la nature joue donc un rôle fondamental sur l’équilibre psychologique des êtres humains.

Il s’agit donc d’un changement de paradigme important : l’écopsychologie propose une approche holistique et systémique. Nos états d’esprits dépendant de notre niveau de connexion avec la source de la vie, il est logique que les crises sociales, écologiques et culturelles (alimentées par le système politique) que nous traversons ont un impact direct sur notre psyché. Ceci explique l’aliénation de nos comportements, mentalités et valeurs culturelles, perpétuant ainsi le malaise social.

Une aliénation que l’humoriste américain engagé George Carlin illustrait parfaitement :

« Les gens sont égoïstes, et c’est ce qu’ils font, ils essaient de sauver la planète pour eux-mêmes afin d’avoir un meilleur endroit pour vivre. Ils ne se soucient pas de la planète. Ils se soucient juste d’avoir une place confortable.

[…]

Les gens pensent que la nature est en-dehors d’eux. Ils ne prennent pas en compte l’idée qu’ils en font partie. Ils disent « Oh nous allons nous promener dans la nature. Nous faisons le tour du pays parce que nous aimons la nature ». La nature est ici et si vous êtes liés avec elle comme le son les Amérindiens, les Hopis surtout, l’équilibre de la vie, l’harmonie de la nature, si vous comprenez cela… vous ne construisez pas à l’excès. Vous ne faites pas tous ces trucs débiles. C’est une symphonie, tout le monde fait partie de la bande. Vous savez… Il ne s’agit pas d’un seul groupe.

 

Les gens veulent leurs babioles. Ils veulent leurs jouets. Tout le monde veut le dernier gizmo. Ils sont esclaves des gizmos et des jouets. Tout le monde veut un cellulaire qui va faire des crêpes et ils pensent que cela les rendra heureux. »

Sur le site de l’Institut d’Ecopsychologie (fondé par Théodore Roszac et hébergé par l’Université Athabasca), on peut lire les principes qui la définissent :

1. La synthèse qui émerge entre écologie et psychologie
2. L’intégration intelligente des perspectives écologiques dans la pratique de la psychothérapie
3. L’étude de nos liens émotionnels avec la Terre
4. La recherche de critères (ou normes) de santé mentale intégrant la dimension environnementale
5. La redéfinition de la santé en prenant en compte la planète dans sa totalité

L’objectif de l’écopsychologie est donc de recréer le lien avec nature, afin que l’humain retrouve le sentiment d’harmonie et d’équilibre nécessaire à une stabilité émotionnelle. En arrivant sur le lieu de l’atelier de Marie Denis, je vois que l’exercice thérapeutique du jour est le Mandala de la vérité (en sanskrit, mandala signifie cercle, ou encore sphère, environnement, communauté ; concrètement, il s’agit d’un diagramme symbolique artistique qui est une carte d’anatomie spirituelle de l’homme, servant ainsi de support de méditation).

Quatre objets sont déposés autour du cercle que nous formons : une pierre rose, des bâtons, des feuilles mortes et un bol vide. L’idée est d’exterioriser nos émotions négatives face à la destruction de la planète. La pierre rose représente la peur, les bâtons la colère, les feuilles mortes la tristesse et le bol vide le manque, la vacuité, le sentiment d’impuissance. Les participants sont alors invités à s’inspirer d’un ou des objets afin d’exprimer leur émotions. On évoque ainsi la peur devant l’impression que la civilisation ne sait pas où elle va, que le changement global ne trouve pas ses racines dans le peuple. La colère devant la complicité du système et de ses gestionnaires dans la destruction de l’environnement, devant le mépris de la classe politique envers les environnementalistes et leur enthousiasme à favoriser les industries. La tristesse devant les catastrophes écologiques passées et à venir. Le sentiment d’impuissance devant l’aberrante domination de la société de consommation.

Mais la souffrance n’est pas négative en soi. Le célèbre neuropsychiatre Boris Cyrulnik explique que sans souffrance il n’y a point de bonheur. Par exemple, pour qu’un enfant éprouve un intense bonheur en retrouvant ses parents après en avoir été séparé, il faut qu’il ait vécu quelques instants de frayeur.

En France, l’écopsychologue Claire Carré explique : « Les émotions douloureuses sont saines, elles nous nourrissent : la colère appelle le sentiment de justice, la peur est un signe de courage, la tristesse est une preuve d’amour et le sentiment d’impuissance appelle le renouveau ». C’est donc tout naturellement que la  l’étape suivante de l’atelier est une séance de brainstorming. On commence alors à réfléchir aux actions contestataires : privilégier les organismes écologiques (par exemple Équiterre ou Lufa Farms pour leurs paniers biologiques), se tourner vers le seconde-main (acheter de l’usagé sur les sites d’annonces, participer aux gratiferias – marchés gratuits – d’Occupons Montréal), se joindre au Réseau Transition Québec ou même à CUTV… On essaie aussi de livrer une analyse des causes structurelles qui nous ont amené là, on se demande comment changer notre rapport avec l’argent. On se rappelle aussi de l’importance de bouleverser notre perception de la réalité sur le plan cognitif et spirituel.

La dernière partie de la séance est est une méditation visant à retrouver la mémoire de l’évolution. Alors que nous sommes allongés dans le gazon, face contre ciel, notre regard plongé dans les arbres, les nuages et la lumière éblouissante du soleil, Marie se met à nous lire une récitation célébrant le dialogue avec le Vivant. L’écopsychologie pratique s’appuie sur les travaux de Joanna Macy (éco-philosophe, experte en bouddhisme et activiste environnementaliste), auteure de Ecopsychologie pratique, rituels pour la Terre.

« Accompagnez-moi dans ce voyage vers le passé, un voyage qui nous permet de nous souvenir de qui nous sommes. Nous commençons par les battements du cœur. Placez votre main sur votre cœur, sentez ces battements et écoutez-les. Et suivez cette pulsation en remontant le temps, le temps des longues durées…Suivez cette pulsation jusqu’au tout premier feu au commencement du temps, l’immense naissance ardente de l’univers il y a quelque quinze milliards d’années. Vous y étiez. J’y étais. Car les cellules de mon corps consument aujourd’hui la même énergie.

[…]

Pouvez-vous vous souvenir de votre vie sous forme de créature unicellulaire, un être élémentaire flottant dans la Mère Océan ? […] Dans la mer chaude, vous êtes poussé par les courants, emporté par le vent. Que ressentez-vous alors que vous vous reproduisez en vous divisant simplement en deux êtres identiques, puis en quatre… Chaque cellule de notre corps descend de ces toutes premières-là.

[…]

Pouvez-vous vous souvenir de notre enfance à la dérive dans les mers chaudes ? Aujourd’hui encore, certains de nos proches continuent de vivre sur ce mode ancien : les coraux et les escargots, les vers er le plancton… Ils n’ont jamais oublié ce que nous savions autrefois et essayons aujourd’hui de nous rappeler. »

Au fil de l’immensité du temps, les différentes cellules ont suivi des parcours différents, certains de nos cousins ayant appris à utiliser l’énergie du soleil sont devenus des plantes, d’autres ont vu leurs membres devenirs des ailes, d’autres encore sont devenus des créatures immenses. Nous avons pris un autre chemin. Nous sommes devenus des chasseurs-cueilleurs pendant des milliers de générations.

« Vous souvenez-vous? Voyez-vous les visages des grands-mères éclairés par le feu du soir, entendez-vous vos corps se blottir contre le leur, sentez-vous leur bras autour de vous, voyez-vous en eux les traits que vous portez vous-mêmes aujourd’hui? Beaucoup a été oublié, beaucoup a été transmis.

 

Et, il y a quatre cents générations seulement, nous commençons à cultiver notre nourriture sur la terre, que nous avons arrachée à des espèces cousines. Tout cela est arrivé si vite. L’agriculture, la propriété, les animaux domestiques, les villes, les marchés, les temples, les gouvernements, l’écriture… Nous construisons des barrières et des fortifications. Nous possédons des maisons dans lesquelles nous conservons nos biens et dormons à l’abri des autres. Certains d’entre nous commenencent à croire que nous sommes séparés de notre monde, des êtres à part.

 

La nuit tombe. Nous dormons encore et nous ouvrons les yeux en humains modernes. Nous nous réveillons enfermés entre les murs d’un appartement de ville ou d’une maison de banlieue, dans un monde construit par les machines. Que sentons-nous, touchons-nous, voyons-nous, et entendons-nous? Comment est-ce arrivé si vite? Les automobiles, les autoroutes, les gratte-ciels, les avions, les postes de télévision, les rayons interminables de supermarchés remplis de conserves et de boîtes de nourriture transformée. Nous nous frayons un chemin le long des rues encombrées des villes. Nous n’avons pas touché la terre, ni un cousin sauvage, depuis des semaines. Les forces que nous avons libérées assombrissent l’air, coupent et brûlent les arbres, et nous font suffoquer, nous-mêmes et tous nos proches. Tout cela est arrivé si vite.

 

Et pourtant, nous sommes ceux qui peuvent se souvenir. Nous pouvons nous souvenir, de qui nous étions. Nous pouvons nours rappeler de nouveau que nous sommes reliés à toutes choses, que nous sommes une danse entre la terre et l’air, le feu et l’eau. Et nous savons être plus encore : nous sommes le rire d’un enfant, la force de la compassion, la rencontre au clair de lune, le frisson de la poésie, la mélodie d’une chanson avant même qu’elle ne soit chantée. Nous sommes la part de ce monde qui peut être saisie par l’émerveillement, être émue aux larmes et imaginer ce qui peut survenir. Nous sommes les témoins et les adorateurs, ceux qui ont l’esprit en ébullition et les mains agiles, ceux qui peuvent aimer et ceux qui peuvent détruire. »

En me relevant, je me sens habité par une nouvelle force vitale, et l’envie de sourire sans raison apparente se fait ressentir pour la première depuis ce qui semble être une éternité. Peut-être parce que la méditation ainsi que le contact avec la nature sont connus pour augmenter la synthèse de la sérotonine, une hormone surnommée « molécule du bonheur » qui améliore les fonctions cognitives ?

Invitée à prendre le pouls de notre civilisation et à livrer sa vision de notre système, Marie me répond :

« Nous vivons dans une société industrielle dite de « croissance ». Cela signifie que la survie de ce système dépend de sa capacité à produire toujours plus. Quant à l’économie, elle repose en grande partie sur l’exploitation des énergies fossiles  dont le pétrole. Les citoyens qui vivent au sein de cette société se sont d’abord vu accorder des droits. La révolution industrielle a rendu possible l’accès à l’éducation, le développement de technologies qui ont révolutionné notre façon de vivre, la médecine moderne ect… La génération des baby-boomers aura profité pleinement de ce mode de vie. Maintenant à la retraite, ils auront eu la chance d’avoir un emploi et d’accéder à la propriété. Pour eux, ce système est viable et ceux qui le rejettent ne sont que des paresseux… Pourtant, depuis plusieurs années maintenant, des chercheurs se sont positionnés pour dire que ce système de croissance a une fin. Nous exploitons à outrance nos ressources tout en polluant de plus en plus. La crise économique de 2008 mettant en cause le système des banques privées a démontré une faille. Le système a juste été colmaté sans être jamais revu. Parallèlement à ça, depuis quelques années déjà, nous pouvons constater une diminution progressive de notre qualité de vie sous couvert de « crises » économiques.

 

Dans ce contexte, le néolibéralisme devient un danger extrême. Leur politique ne tient pas compte de l’humain. La « masse » est du bétail à exploiter. Évidemment, ils ne peuvent le montrer clairement alors, ils utilisent les médias afin de manipuler les citoyens. Ils instaurent des mesures qui progressivement détruisent les droits que les générations précédentes avaient acquis en nous parlant d’austérité. Cependant, nous constatons que les entreprises elles, ne souffrent absolument pas de la crise. Le système s’est organisé pour qu’elles aient moins de taxes à payer. Le fossé entre les riches et les pauvres se creusent, le tissu social s’appauvrit. C’est bel et bien la classe moyenne que l’on veut tuer. Un retour à une forme d’esclavagisme utilisant l’argent et l’endettement pour asservir le peuple ce qui mettra un terme à toute démocratie.

 

Bien que le capitalisme doive être revu et transformé afin de le rendre plus sain et durable, il est évident que ce système profite encore à beaucoup de monde. De plus, une poignée d’êtres humains qui n’ont visiblement aucune limite et pour qui le système procure une puissance et un pouvoir jamais égalé, ne sont certainement pas prêts à revoir leur façon de fonctionner.

 

Cette situation engendre des problèmes économiques, écologiques et psychologiques. Les « grands dirigeants » de ce monde ne semblent pas s’émouvoir face aux inégalités, aux injustices ou aux problèmes environnementaux. Certains sont pour moi de vrais psychopathes.  Le nombre de personne souffrant de stress, d’anxiété ou de dépression ne cessent d’augmenter. Pourquoi? Il semble que le capitalisme ACTUEL doit être sauvé envers et contre tout.

Au sein d’Occupons Montréal, j’ai pu constater que beaucoup partage mon analyse. Ils s’indigent du mépris des politiques vis-à-vis des injustices sociales. Ils me font penser aux créatifs culturels. »

 

Les créatifs culturels, autrement dit les créateurs d’une nouvelle culture, sont un groupe socio-culturel identifié par le sociologue américain Paul Ray et par la psychologue américaine Sherry Anderson dans leur ouvrage L’émergence des Créatifs culturels, enquête sur les acteurs d’un changement de société. Les Créatifs culturels se distinguent par leurs principes : l’ouverture aux valeurs féminines, l’intégration des valeurs écologiques, l’implication sociétale, le développement personnel.

Ils accordent la même attention au monde qu’à eux-mêmes. Ils cherchent à parfaire leur équilibre intérieur, l’équilibre global n’étant que le reflet de l’équilibre personnel. À l’inverse, quand la planète va mal, l’être humain est aliéné.

À un tournant décisif de l’histoire de l’humanité, la mission d’Occupons Montréal est de donner un souffle nouveau au tissu social, et la spiritualité (quelque soit la forme quelle prend) n’est donc qu’un moyen de réintroduire le vécu, l’expérience intérieure, dans le politique.

Pour aller plus loin…

La pensée amérindienne

– Pieds nus sur la terre sacrée, de Terri C. McLuhan, aux éditions Denoël (1984). Anthologie de la philosophie, du mode de vie et de la destinée des Indiens d’Amérique du Nord

– L’Amérindien philosophe. Entrevue avec Georges E. Sioui, par Francis Dupuis-Déri. Revue Argument, vol. 2 no. 2 Printemps-été 2000. En ligne : http://www.revueargument.ca/article/2000-03-01/117-lamerindien-philosophe-entrevue-avec-georges-e-sioui.html

Le Collectif JAPPEL

Elements of Power – From Corporate Empire into Empowered Communities, de Drew Armstrong et Matthieu Tallard. En ligne : http://www.occupons-montreal.org/?p=5141 Document écrit par Drew Michelle Armstrong et Matthieu Tallard pour proposer une vision de l’organisation des campements d’Occupons Montréal

– CUTV Montreal : http://cutvmontreal.ca/ Chaîne de télévision communautaire de l’Université Concordia

– 99%Média : http://www.99media.org/ Média indépendant pour la justice sociale

– Atrium Occupons Montréal : http://occupons-montreal.info/ Réseau social et collaboratif

Le Guerrier intérieur

Le Guerrier intérieur, de Thierry Pasquier, aux éditions Du Roseau (dernière parution : novembre 2011). Manuel de développement personnel

http://www.viiif.net/leguerrierinterieur/GI.html Site de Thierry Pasquier sur ses propres travaux

Commentaires sur la vie, de Jiddu Krishnamurti, aux éditions J’ai lu (2008). Livre d’éveil en trois volumes regroupant des dialogues entre Krishnamurti et de nombreuses personnes lui exposant leurs problèmes quotidiens et leur questionnement.

La Liberté d’être, d’Annie Marquier, aux éditions du Gondor. Synthèse sur le fonctionnement de l’être humain et outils de transformation par la fondatrice de l’Institut du Développement de la Personne

L’écopsychologie

– Ecopsychology: Healing the Mind, Restoring the Eart, de Theodore Roszak, Allen Kanner et Mary E. Gomes, aux éditions Sierra Club Books.

– Ecopsychologie pratique, rituels pour la Terre, de Joanna Macy, aux éditions Le Souffle d’Or.

– L’émergence des Créatifs culturels, enquête sur les acteurs d’un changement de société, de Paul H. Ray et Sherry Ruth Anderson, aux éditions Yves Michel (2001)

– Ecolo-vie : http://ecolo-vie.com/Entreprise de Marie Denis proposant différents services en écopsychologie

Remerciements

Je souhaite remercier chaleureusement Mikelai Cervera, Thierry Pasquier et Marie Denis pour leur disponibilité, ainsi que Joël Brosseau, fondateur de Démocratie Directe Québec, pour la mise en contact avec Thierry et Marie. Un grand merci également à mon professeur de sciences politiques à l’Université de Montréal Dominique Caouette pour m’avoir incité à participer aux JAPPEL (les photos de l’article ont été prises par moi-même).

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