Débattre des enjeux de la souveraineté alimentaire

Par Dominique Caouette, Anne-Cécile Gallet, Roxanne Ambourhet-Bigmann et Timothé Nothias (responsables de l’organisation des trois débats transdisciplinaires)

 

À l’hiver 2010, le pôle de recherche «Souveraineté alimentaire» du Réseau d’études des dynamiques transnationales et de l’action collective (REDTAC) de l’Université de Montréal a choisi d’organiser trois débats transdisciplinaires sur la question de la souveraineté alimentaire. Ces débats constituaient la suite logique du forum international organisé par le REDTAC en juin 2009 (voir Section II de ce numéro). Lors de ce forum, qui avait réuni 17 spécialistes de la souveraineté alimentaire provenant d’horizons très variés (ONG, universités, groupes de citoyens et associations d’agriculteurs), certains points litigieux en lien avec l’application ou la signification de la souveraineté alimentaire se sont dégagés des discussions. Afin de poursuivre et d’enrichir le débat sur la souveraineté alimentaires, trois enjeux majeurs soulevés lors du forum ont été identifiés : l’agriculture locale, les acteurs de la souveraineté alimentaire et les OGM (organismes génétiquement modifiés). Pour offrir un éclairage nouveau sur ces enjeux, ces trois débats transdisciplinaires ont réuni chacun trois intervenants issus de milieux distincts et proposant des points de vue distincts et souvent opposés.

Le premier débat portait sur l’agriculture de proximité et l’achat local. L’achat local est souvent perçu comme la mise en application la plus concrète de la notion de souveraineté alimentaire. Or, plusieurs y voient également des défis importants : l’achat local est souhaitable, mais comment peut-il se réaliser sans un étiquetage adéquat? De plus, l’achat local est certes louable, mais lorsque l’on désire en faire une politique globale, il demande un effort de concertation et de coordination entre les agriculteurs et les gouvernements qui est parfois très complexe (Que produire localement? En quelle quantité? Que continue-t-on à importer, pour quelles raisons?). L’achat local est-il nécessairement plus écologique parce qu’il nécessite moins de transport? Où s’arrête et où commence l’achat local (au plan régional, provincial, national)?

Le deuxième débat s’est penché sur les acteurs responsables de la mise en application de la souveraineté alimentaire. La souveraineté alimentaire, en supposant que l’on s’entende sur une définition plus ou moins précise de celle-ci, est une notion qui prend son sens lorsqu’elle se traduit par des politiques et actions concrètes. Or, qui est le mieux placé pour lui donner son élan? Pour certains, la souveraineté alimentaire prend naissance dans un mouvement de résistance citoyenne au modèle agricole actuel et cherche à proposer une alternative à celui-ci. Pour d’autres, dans le contexte politique actuel, qui se caractérise par une perte de contact entre le politique et la société civile, il est inutile d’«attendre» après l’État pour mettre en place des politiques favorisant la réalisation de la souveraineté alimentaire. Celle-ci doit, et va d’abord se faire par le biais des mouvements sociaux présents dans la société civile. Enfin, pour d’autres, la souveraineté alimentaire émerge d’abord d’une perte de contrôle des États sur leur politique alimentaire en faveur des traités supranationaux. Elle est donc un projet politique qui vise à redonner le pouvoir à l’État en ce qui a trait aux politiques agroalimentaires. Le deuxième atelier se propose donc de poser un regard sur les acteurs responsable de la mise en place de la souveraineté alimentaire. Qui sont les principaux concernés? L’État, les mouvements sociaux, ou les agriculteurs? Comment coordonner les intérêts et priorités de chacun? Qui est le mieux placé pour lui donner son élan?

Le troisième débat était structuré autour de la question des OGM. Lors du forum de juin 2009 plusieurs participants ont souligné leur préoccupation par rapport à l’utilisation de cette innovation agroalimentaire. Un des arguments en défaveur de l’utilisation des OGM dans un contexte de souveraineté alimentaire est le lien de dépendance qu’ils créent entre les producteurs agricoles et les multinationales qui les produisent. Ainsi, puisque les OGM sont produits et distribués par des multinationales agroalimentaires, ils ne peuvent pas êtres inclus dans la notion même de souveraineté alimentaire qui met l’accent sur la souveraineté des producteurs sur leurs terres. En revanche, pour certains intervenants, la souveraineté alimentaire est une notion qui touche d’abord et avant tout la collectivité, avant les agriculteurs eux-mêmes. Ainsi, si l’on part du postulat que la souveraineté alimentaire est principalement un espace politique pour faire des choix collectifs, alors, chaque nation, une fois qu’elle aura récupéré ce pouvoir décisionnel, aura à faire ses propres choix en matière de politiques agricoles et alimentaires. Dans cette optique, les OGM ne sont pas d’emblée exclus de l’équation de la souveraineté alimentaire, mais leur rôle devra être débattu et convenu en tant que choix collectif. Ce dernier débat voulait donc faire le point sur le rôle des OGM dans une perspective de souveraineté alimentaire, d’explorer les apports et les limites de cette technologie. Les OGM sont-ils intrinsèquement dangereux parce qu’ils n’ont pas de «passé biologique» ou sont-ils un mal nécessaire au développement agricole des zones arides? Existe-t-il des innovations technologiques agricoles plus écologiques que les OGM? Les OGM entraînent-ils nécessairement la dépendance des producteurs agricoles à l’égard des multinationales agroalimentaires? Sont-ils une solution au contexte démographique actuel?

 

Dominique Caouette, Anne-Cécile Gallet, Roxanne Ambourhet-Bigmann et Timothé Nothias

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