Quand ma terre tremble, c’est mon âme qui s’effondre

par Yves Patrick Augustin

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Ma terre, serais-je devenu un chantre de malheur

Pour que j’aie dans la bouche un goût de sang,

Dans ma poésie les notes brisées du désespoir,

Et dans les yeux les images de la mort

Chaque fois que je parle de toi?

Ma terre livrée à la souffrance,

Champ de ruines peuplé de morts et de blessés,

Voici que je t’évoque

Comme on dit l’inexprimable,

Comme on désarticule le rêve,

Comme on viole la lumière pour assombrir le jour.

Qui me donnera une étoile pour éclairer cette nuit tragique

Où les sanglots de tes enfants ont franchi les nuages?

Qui me prêtera ses mots pour donner à l’horreur

Les contours du réel?

Ma terre, alliage de rêves et de cauchemars,

Ma terre de ronces et de diamants,

Ma terre de larmes sans fin et de joies en cascade,

Ma terre est morte avec son chant,

Ma terre est morte une nouvelle fois.

Ma terre,

Qui dira ta blessure, ta croix et ton malheur?

Aujourd’hui, l’angoisse est une muraille

Où ricoche l’espérance de tout un peuple,

Le bonheur à peine naissant rebrousse chemin

Et  nos songes de clarté poursuivent leur solitude

Dans la cendre.

Ma terre n’est plus une terre :

C’est le visage pierreux des enfants qui hurlent dans la nuit,

La longue clameur des désespérés qui réveille les astres,

Le chant des hirondelles qui se dispersent dans le vent,

Les mains inertes, toujours tendues vers l’inconnu,

La douleur qui broie nos corps et nos cœurs,

La bouleversante errance des rescapés,

Le râle des mourants sous les gravats,

La fuite éperdue de l’innocence,

L’exil du rire sur les lèvres,

La morsure de l’incertitude,

Le lourd silence du néant,

La démesure de l’absence,

L’éclipse de l’avenir,

La finitude du poète

Frère d’exil comme tant d’autres qui pleurent

Dans le silence,

J’ai pourtant rêvé d’une terre promise où la saison

Des hommes est celle du bonheur,

J’ai rêvé de tant et tant de choses:

De la chanson des sources qui font jaillir la vie,

De la danse des lilas sur les joues des demoiselles,

De la semence des étoiles sur nos sentiers de solitude

Et de la résurrection des roses…

Mais la nuit s’est égarée une fois de plus dans mes mots,

L’angoisse du petit matin a étranglé ma prière

Et muselé ma langue,

La pluie a ignoré ma soif de vivre

Et j’ai emprunté la route interminable et coutumière de la douleur…

Port-au-Prince, ma plaie béante,

Corps fissuré jusqu’aux entrailles,

Lèvres ouvertes pour crier la souffrance,

Voix perdue qui bourdonne dans ma mémoire,

Métaphore de la douleur,

Berceau de cent mille orphelins,

Me voici avec le cri de tout un peuple

Qui lutte depuis l’aube des martyrs,

Qui ne désespère pas de la lumière;

Me voici avec ses rêves de poussière

Et sa poésie printanière.

Me voici, colporteur de cinq siècles de larmes

Et d’une éternité de promesses.

Ma terre, toi mon langage,

Tu ressusciteras:

Ton corps fragile porte une espérance

Plus grande que le monde

Et quand tu trembles,

C’est mon âme qui s’effondre.

Yves Patrick Augustin

Yves Patrick Augustin, né à Port-au-Prince, immigre au Canada en 2003. En 2006, il publie son premier recueil de poèmes, Mots intimes, chez les presses Agrumes. Montréal en poésie, son deuxième recueil, est paru à l’automne 2008. Son écriture est ancrée dans la mémoire et se conjugue entre silence et tendresse, nostalgie et déraison.  Il est le lauréat du concours « Grand Prix international de poésie Écritout 2008 ».

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