Enjeux de la souveraineté alimentaire en Afrique sub-saharienne

Par Marie Fall

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La souveraineté alimentaire implique que l’on puisse choisir ce qu’on mange, la manière dont on le produit et la manière dont on le consomme. Elle inclut la priorité donnée à la production agricole locale pour nourrir la population.

La souveraineté alimentaire a une signification ou des implications différentes selon qu’il s’agit des pays du Sud, des pays du Nord ou des pays émergents. En effet, les pays du Nord, dits développés, ont le choix de leurs politiques agricoles et aussi des produits de consommation. Leurs populations, par le biais des regroupements de consommateurs, participent à l’élaboration des politiques et pratiques agricoles. Par contre, dans la plupart des pays du Sud, dits en développement, les politiques et pratiques agricoles sont sujet à des normes importées, souvent inadaptées aux contextes locaux. Les cultures commerciales ou cultures de rentes (le coton, le cacao et l’arachide), destinées à l’exportation, sont privilégiées par rapport aux cultures vivrières (le riz, le mil, le maïs et les haricots), destinées à la consommation locale. En somme, les pays du Sud cultivent d’abord pour les marchés internationaux alors que les pays du Nord cultivent en premier lieu pour nourrir leurs populations.

En Afrique, depuis la période coloniale, il existe un « Pacte de collaboration » entre les chefferies traditionnelles et l’administration coloniale pour le développement de certaines cultures. À partir de 1960, ce fut l’ « âge d’or » des cultures de rente avec la mécanisation et la semi intensification des cultures, et avec une révolution agricole à l’origine d’une économie monétaire. Les nouveaux États se sont appuyés sur les paysans pour assurer leur propre édification. Avec les années de sécheresse, 1965-1990, il y a eu baisse des rendements et des signes de désertification accompagnés du vieillissement du matériel agricole, ce qui a entrainé une pénurie alimentaire et l’endettement des paysans.

Le Sahel, une région très fragile aux prises avec la sécheresse, l’aridité, la désertification, sans oublier le péril acridien qui y sévit souvent, est donc particulièrement vulnérable au plan alimentaire. Ces dernières années, la pénurie des denrées alimentaires de première nécessité a renforcé les crises alimentaires qui se sont multipliées dans certains pays (Burkina, Niger, Mali, Mauritanie, Tchad, Sénégal), où certaines familles ne peuvent s’offrir qu’un repas par jour. De ce fait, la notion de souveraineté alimentaire revêt un caractère particulier dans les pays de cette région, car elle implique des initiatives locales de rupture avec le marché mondial, lesquelles sont en lien direct avec la souveraineté alimentaire des populations.

Enjeux de la souveraineté alimentaire au Sahel

Plusieurs enjeux sont liés à la souveraineté alimentaire au Sahel : des enjeux économiques, politiques, environnementaux et sociaux.

Enjeux économiques : les pays qui veulent assurer leur souveraineté alimentaire doivent obligatoirement être indépendants sur le plan économique. Un nouvel ordre économique mondial permettrait un changement dans les relations Nord/Sud.

Enjeux politiques : Les jeux de pouvoir et les diktats imposés dans les politiques internationales devraient cesser. La souveraineté alimentaire implique des politiques différentes et adaptées aux contextes locaux et aux niveaux de vie (pouvoir d’achat, loi de l’offre et de la demande).

Enjeux sociaux : Les populations devraient revenir à des habitudes alimentaires adaptées aux productions locales. Une véritable révolution sociale s’impose. L’extraversion alimentaire est une des principales causes de l’insécurité alimentaire.

Fall #1Enjeux environnementaux : L’état de l’environnement a un impact majeur sur l’agriculture. Les pays sahéliens, dont l’environnement est fragile, ont de grosses contraintes agricoles : terres improductives et dégradées, manque d’eau avec la sécheresse, faibles productions. La maîtrise de l’eau est un enjeu majeur pour le développement agricole dans ces pays.

La course à la croissance économique, au gain et au profit a mené le monde vers l’inégalité, la disparité et des problèmes auxquels nous ne parvenons pas à trouver des solutions durables. Il faut repenser les modèles afin d’avoir un monde meilleur. Le sous-développement et la dépendance économique des pays du Sahel, de même que les contraintes géographiques, et démographiques ne sont pas faciles à corriger. Les populations sahéliennes ont un rôle à jouer dans l’atteinte de leur propre souveraineté alimentaire. Elles peuvent (mieux) s’organiser et imposer leurs besoins et leurs choix de produits de consommation. Elles doivent pousser les États à adopter des politiques de développement à la base adaptées aux contextes locaux.

États et politiques

Le rôle de l’État dans l’établissement et le bon fonctionnement de politiques publiques en lien avec la souveraineté alimentaire est primordial. L’État est le garant de la stabilité et la durabilité des politiques publiques. L’État a un grand rôle à jouer dans la mise en pratique de la souveraineté alimentaire, car il est garant de la stabilité et de la durabilité des politiques publiques. En termes de politiques agricoles en lien avec la souveraineté alimentaire, nous pouvons citer l’exemple du Zimbabwe qui, dans les années 80-90, a réalisé une révolution agricole avec les fermiers blancs. Il y a également l’exemple de l’Afrique du Sud, qui a amélioré sa souveraineté alimentaire et qui est aujourd’hui auto-suffisante dans la production de la majorité de ses produits agricoles.

Dans les pays du Sahel, il y a eu une prise de conscience depuis les années 70-80. Cependant, des actions concrètes ont seulement été posées dans les années 90-2000 avec les slogans « Consommons local » et « Produisons et consommons local ». De la parole aux actes : promotion des produits locaux par les femmes, par exemple : production, transformation et commercialisation du sorgho, mil, maïs, riz des vallées et fonio ; calibrage des produits selon les besoins des consommateurs et des marchés sous régionaux ; définition et promotion des menus des terroirs par les associations de femmes (livres de recettes).

Au Sénégal, avec l’alternance politique, il y a eu des programmes spéciaux (maïs, manioc, sésame, bissap), des programmes de maîtrise de l’eau (sans effets notables pour l’instant), le Programme de retour à l’agriculture (Plan REVA) élaboré en 2006 et la Grande offensive agricole pour la nourriture et l’abondance (Goana) en 2008. Tous visent à mettre fin à la dépendance alimentaire du Sénégal vis-à-vis des pays occidentaux et asiatiques. Concrètement, le Plan REVA s’engage d’une part à donner des terres aux jeunes qui sont particulièrement tentés par l’émigration en raison d’un taux de chômage très élevé, et d’autre part «l’Offensive» vise à doubler la production actuelle de denrées consommées par les Sénégalais (maïs, manioc, sorgho, blé, riz et mil). Ainsi, de plus en plus de gouvernements du Sud constatent les dégâts de «l’extraversion alimentaire» et tentent d’y répondre par des politiques qui visent à valoriser les productions agricoles locales.

Une autre alternative des États pour l’atteinte de la souveraineté alimentaire consiste à subventionner leur agriculture. Ainsi, ils auront la possibilité de choisir leurs productions agricoles pour nourrir d’abord leurs populations. Cependant, la pratique de politiques favorisant la souveraineté alimentaire (que ce soit au niveau individuel ou collectif) a quelques désavantages. Les ressources financières seront limitées (moins de rentes), et l’imposition amène souvent un autoritarisme (régime autoritaire qui impose des choix de cultures).

Les initiatives ou les pistes d’action qui sont mises de l’avant (ou qui pourraient l’être) pour favoriser ou davantage implanter la réalisation de la souveraineté alimentaire passent par la promotion du développement local, des programmes adaptés aux niveaux de vie des pays et des politiques adaptées aux ressources disponibles. Par exemple, des initiatives concrètes pourraient être envisagées pour permettre aux consommateurs de faire des choix autonomes qui respectent les principes de la souveraineté alimentaire, notamment des programmes nationaux de valorisation des productions locales. Favoriser l’entreprenariat féminin de valorisation des céréales locales pour assurer un meilleur rendement et une meilleure qualité nutritionnelle peut être l’un de ces programmes de valorisation.

 

Femmes et souveraineté alimentaire

Au Sahel et dans bien des pays du Sud et du Nord, ce sont les femmes qui ont le rôle de nourrir la famille. Elles produisent ou achètent les aliments, les transforment, s’occupent des menus et les adaptent aux besoins alimentaires des familles. Selon la FAO, les femmes produisent, à l’échelle africaine, jusqu’à 80% des denrées alimentaires. La souveraineté alimentaire est donc un enjeu qui touche particulièrement les femmes car elles sont au cœur de tout ce qui touche à l’alimentation. Puisqu’elles sont au centre de ces enjeux, les femmes peuvent et doivent jouer un rôle déterminant dans l’élaboration des politiques liées à la souveraineté alimentaire. Fall-BD’ailleurs, dans de nombreux pays du Sahel, les femmes, à travers leurs associations, se sont approprié le concept de souveraineté alimentaire et le traduisent en actions concrètes à travers la promotion du «consommer local». Par exemple, au Sénégal, les femmes proposent des livres de recettes qui mettent en valeur les produits locaux. Des programmes de valorisation des céréales locales ont également été mis en œuvre par des associations de femmes. Des petites et moyennes entreprises de transformation de mil, de riz, de maïs ou de sorgho ont été créées. Cela favorise la promotion des produits locaux et la création d’emplois rémunérés. En Afrique en général, et au Sahel en particulier, les femmes sont donc au centre de l’action en faveur de la souveraineté alimentaire. Les avantages de la souveraineté alimentaire pour les femmes sont énormes, et incluent un plus grand choix et une meilleure accessibilité des produits alimentaires.

 

La question des OGM

L’enjeu de l’utilisation des OGM dans le cadre de la production agricole des pays du Sahel est assez sensible. La faiblesse des productions agricoles, due aux terres peu productives et au manque d’eau, met la question de la souveraineté alimentaire au centre du débat sur l’utilisation des OGM. D’une part, puisque les OGM favorisent une meilleure productivité (c.-à-d. que sur une surface où on pouvait produire seulement deux à trois tonnes de riz, avec les OGM, on peut en produire de cinq à six), ils auraient leur place dans une perspective de souveraineté alimentaire, si les producteurs sahéliens en avaient le contrôle. Or, les OGM contrôlés par les multinationales étrangères sont un frein à la souveraineté alimentaire des pays sahéliens, qui continuent de dépendre de ces multinationales pour avoir de bons rendements agricoles. Il y a aussi les questions éthiques et les impacts environnementaux incertains autour des OGM qui doivent être résolus. Il faut donc d’abord poser la question du contrôle des OGM, de leurs impacts à long terme sur l’environnement et les êtres vivants (les êtres humains y compris) avant de promouvoir leur utilisation.

Finalement…

Manger à sa faim et boire à sa soif… les pays sahéliens doivent mettre en place des politiques adaptées pour y parvenir. De nos jours, il ne faut pas penser pour l’agriculture et juste pour l’agriculture, les enjeux sont énormes (économiques, environnementaux, sociaux, politiques…). La promotion des productions agricoles locales et leur transformation en aliments de base pour nourrir les populations permettent de rapprocher les pays sahéliens de la souveraineté alimentaire.

Marie Fall est professeure adjointe à l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC). Elle détient un doctorat en géographie environnementale de l’Université de Montréal. Elle a travaillé au Centre de recherches pour le développement international (CRDI). Ses enseignements et ses champs de recherche couvrent la coopération internationale, la gestion participative des ressources naturelles, la gouvernance décentralisée et le développement local. Madame Fall réalise actuellement des recherches sur la planification participative pour une gouvernance décentralisée de la biodiversité dans la réserve de biosphère du delta du Saloum au Sénégal : la valorisation des savoirs traditionnels dans la gouvernance de la biodiversité, et sur l’adaptation des savoirs professionnels dans les initiatives locales de développement.

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