Une jeunesse étudiante en manque d’alternatives ?

Par Eugénie Boudreau

 

Ma première participation à un Forum social eut lieu à l’automne 2008, alors que l’Université du Québec en Outaouais (UQO) accueillait le premier Forum Social de l’Outaouais (FSO) en novembre. J’avais décidé d’y aller, traînant ma mère et ma soeur derrière moi, car quelques ateliers sur les mobilisations autochtones au Canada avaient piqué mon intérêt. Comme souvent dans les forums sociaux, un de ces ateliers n’eut pas lieu et je fut prise à chercher une autre salle sur le campus de l’UQO. J’aboutis ainsi, un peu à l’aveuglette, dans un atelier intitulé « Pour une véritable alternative au capitalisme ». C’est à ce moment que commença pour moi la réflexion dont je vous fais ici part, et qui me mena jusqu’aux côtes brésiliennes pour le Forum Social Mondial de Belém, pour me ramener ensuite en sol canadien avec la présence de Chico Whitaker à l’Université d’Ottawa en mars 2009.

La cohorte universitaire actuelle au Canada est née à peu près à la même époque que l’implosion de l’U.R.S.S., symbolisant le triomphe du capitalisme (néo)libéral sur la scène politique et économique internationale. C’est à cette réalité que je me suis frappée, en tant qu’étudiante de sciences sociales dans un programme orienté vers les questions internationales et de développement. Une étude approfondie de ces questions et quelques années de baccalauréat ont notamment fait ressortir certaines « limites » du capitalisme néo-libéral dans la redistribution des richesses et la justice sociale. Ajoutez à cela des crises environnementales et financières, et notre société, comme beaucoup d’autres ailleurs, se heurte à la nécessité de se remettre en question et de se re-penser.

Or, si nous n’avons pas assisté, avec la chute du mur de Berlin, à la « fin de l’Histoire » des débats idéologiques que prédisait Fukuyama, force est d’admettre que notre société s’articule tout de même autour de la pensée unique. Celle-ci, qui s’est développée, à la source, dans les institutions de Bretton Woods (Fonds Monétaire International et Banque mondiale), est basée sur quelques principes relayés à répétion dans les médias, comme une vérité  – l’économique n’est pas l’affaire du politique, le marché et sa « main invisible », la concurrence et la compétitivité bénéfiques, le libre-échange, la mondialisation de la production et des flux financiers, la division internationale du travail, une monnaie forte, et tout cela, dans une logique de déréglementation, privatisation et libéralisation.

Thatcher, avec son « There Is No Alternative », et Reagan, combinés à la montée puis aux dérives autoritaires et totalitaires du régime communiste de l’U.R.S.S., ont réussi à miner les différents courants du socialisme en réduisant le débat idéologique entre libéralisme et socialisme, vieux de quelques siècles déjà, à une Guerre Froide entre capitalisme de marché et communisme centralisateur. C’est comme si, en quelques décennies, on effaçait des siècles d’histoires, pour en arriver à un modèle « ultime » de fonctionnement sociétal applicable à tous.

Le colonialisme, à l’époque des grands empires européens et des « découvertes » de l’Amérique, s’inscrivait dans cette même logique. Les sociétés autochtones, bien qu’elles ne répondaient pas aux normes juridiques occidentales en vigueur, disposaient de structures bien plus complexes que ce qui parut à première vue. Or, les empires coloniaux justifièrent l’occupation de ces territoires sans État – modèle ultime de société – comme mode légal d’acquisition, tout en reléguant aux structures politiques, économiques et sociales en place un statut de barbarisme. Il semble ainsi ironique qu’avec la crise environnementale actuelle, la vision du monde autochtone refasse surface comme une articulation plus harmonieuse de toutes les formes de vie dans un écosystème inclusif.

Le développement international tel qu’il se présente depuis ses débuts – initialement ancré dans la reconstruction de l’Europe post-deuxième guerre mondiale – n’est malheureusement pas toujours loin de cette logique d’imposition idéologique non plus : modernisation, programmes d’ajustement structurel, crise de la dette, ouverture des marchés, etc.

Pour en revenir à cet atelier sur les alternatives actuelles au capitalisme auquel j’ai assisté au FSO, il eut le mérite de me faire réaliser qu’en fait, je n’avais aucune idée de ce qu’était le socialisme, auquel j’associais nécessairement et simplistiquement le seul courant du communisme. Cette réalisation me poussa ensuite à remettre en question cette construction, voire ce manque, de connaissances liée à la pensée unique qui martèle notre esprit, et ne nous permet de voir que ce que l’on veut bien qu’on voit.

Le Forum Social Mondial et ses variations régionales, nationales et locales, est selon moi, l’opposé de cet obscurantisme de la pensée unique. Celui-ci permet de connaître et de partager ce qui se fait pour construire un monde nouveau, et devient le lieu d’exploration de nouvelles pratiques politiques plus cohérentes avec un type de société plus égalitaire et démocratique. Si plusieurs peuvent qualifier d’utopiste cette vision du changement social, et bien, la seule présence de Chico Whitaker, l’un des instigateurs du Forum Social Mondial, à l’Université d’Ottawa en mars, aura permis d’explorer que c’est aussi là l’une des plus grandes réalisations du forum social à ce jour : raviver l’utopisme, l’idée qu’il y a bien des alternatives et que si, pour reprendre les mots de Chico Whitaker :

« nous maintenons l’espérance de pouvoir au moins nous diriger vers ce monde, pas à pas, en changeant les structures et les comportements – les grands bouleversements ayant déjà montré leur inefficacité – ou en construisant des morceaux ou des îlots de ce nouveau monde au moins à l’intérieur de nous-même et autour de nous, ce sera déjà très bien. Nous serons plus heureux, nous ferons en sorte que les autres gens autour de nous le soient un peu aussi, et doucement, nous nous approcherons de cette utopie… ».

Eugénie Boudreau est étudiante à l’École de développement international et mondialisation de l’Université d’Ottawa.

Laisser un commentaire