Chroniques du FSM 2009

Par Raphaël Canet

 

Belém – 27 janvier : La pluie… et l’espoir

LE FSM 2009 a débuté par une gigantesque marche d’ouverture, traversant Belém, d’ouest en est, depuis la Estação das Docas, ancien cœur marchand la ville où accostaient les bateaux, jusqu’à la Praça da Operário, à la périphérie de la ville, où de déploient les quartiers pauvres.

Plus de 100 000 personnes s’étalant en un long cortège de solidarité, de diversité, d’espoir. Beaucoup de couleurs, de slogans, de rires, de chants, malgré la pluie tropicale qui s’est abattu sur les participants durant la première heure de marche. Un véritable déluge qui n’a pourtant pas découragé les marcheurs qui, s’abritant sous une pancarte, une banderole, un drapeau ou encore sous l’épais programme du forum, ont poursuivi leur route, trempés, mais continuant à chanter et à appeler la pluie, chuva, chuva… Le tout sous les yeux médusés, le sourire aux coins des lèvres, de la population de la ville, massée le long des rues, bien abrités sous leurs parapluies.

Deux impressions marquantes en ce début de Forum. Tout d’abord, et cela est en continuité avec les précédents forums mondiaux tenus au Brésil, la jeunesse, l’enthousiasme et la motivation des participants. La majorité des participants sont des jeunes de 18 à 24 ans, la plupart étudiants ou diplômés. Cela crée une formidable force de changement social car cet autre monde possible que tout le monde ici cherche à bâtir, c’est le monde à venir, c’est leur monde. La seconde impression est plus spécifique à cette neuvième édition du FSM. Il s’agit de sa couverture médiatique. C’est impressionnant lorsqu’on est habitué, dans nos pays, d’être considéré comme un phénomène marginal. Ici, tous les journaux en parlent, la télévision en parlent, les radios en parlent, les murs de la ville en parlent, la ville entière parle du FSM. La marche d’ouverture a été suivie en direct par la télévision, hélicoptère, reporters dans la foules, entrevues à chaud… toute l’armada médiatique mise au service des revendications sociales et de la construction d’un monde commun, chargé d’espoir, le sourire au lèvre, malgré la pluie…

Pour une fois, en cette fin du mois de janvier, les médias (au moins locaux, rêvons un peu!) ne parlaient pas de Davos…

Belém – 28 janvier : Amazonie : le cœur du monde

Cette nouvelle édition du FSM souhaitait mettre l’accent sur une réalité qui, aux dires de plusieurs, ne fut pas suffisamment mise au centre des revendications de la mouvance altermondialiste depuis son émergence : la problématique environnementale et plus spécifiquement les changements climatiques. C’est l’une des raisons qui a fait que le FSM 2009 se tienne ici, à Belém, aux portes de l’Amazonie. En effet, cette année se tiennent simultanément la 9ème Édition du forum social mondial et la 5ème édition du Forum social pan-amazonien, qui se déroule habituellement ici, à Belém. C’est donc à un forum social à la fois mondial, régional et thématique que nous assistons cette année.

Cette préoccupation environnementale se retrouve dans la méthodologie de l’événement. Après la marche du 27 janvier qui symbolisait la rencontre des peuples, l’espoir des luttes solidaires et l’ouverture officielle des activités, la première journée du forum, le 28 janvier, fut décrétée jour de l’Amazonie. Toutes les activités étaient essentiellement articulées autour de problématiques socio-environnementales propres à cette région pan-amazonienne qui rassemble neufs pays (Bolivie, Brésil, Colombie, Équateur, Guyana, Pérou, Suriname, Venezuela et Guyane française). Préservation de la biodiversité, justice environnementale, droits des peuples autochtones… ce 28 janvier 2009 et devenu le jour de la résistance indigène et populaire contre 500 ans de domination coloniale et capitaliste de la région. L’ambition affichée en cette journée de célébrations et d’appels à la mobilisation collective pour sauver la planète visait clairement à donner la parole aux gens sans paroles, à permettre aux peuples indigènes, aux peuples des rivières et de la forêt, d’interpeller le monde entier sur la situation de l’Amazonie, car le destin de tous se joue ici.

Toute la journée, des manifestations culturelles et politiques en plein air, sur de grandes scènes, permettaient aux multiples peuples autochtones de passer leur message : contre la destruction de la forêt, les barrages hydroélectriques en forêt, le dégel dans les Andes et la sécheresse en Amazonie, l’impact socio-environnemental des grands projets miniers et pétroliers, la critique des agro-combustibles et des agissements des agro-négociants, le travail-esclavage, le problème du chômage et des migrations, la lutte pour la terre et contre la violence dans les campagnes et les villes, la démilitarisation de la société, la persécution par l’État des mouvements sociaux et de ses leaders, la criminalisation de la communication populaire, la réaffirmation des cultures des peuples originaires et traditionnels, l’affirmation de l’identité Quilombola et des Afro-descendants, l’autonomie pour les peuples autochtones et la construction d’un État plurinational, contre l’intervention impérialiste et pour une intégration régionale des peuples…

Par des chants, des danses, du théâtre, des déclarations, les peuples amazoniens nous expliquaient que l’heure est grave. La mère-terre est malade et le symptôme de cette maladie est cette fièvre qui la ronge, le réchauffement climatique qui va bientôt nous conduire à la confusion. La maladie ? Une sorte de destruction suicidaire qui se nomme développement, modernité et capitalisme. La vie est en danger, en Amazonie, au Chaco, au Pantanal et les luttes indigènes, les luttes paysannes, celles des mouvements sociaux, des groupes exclus et de tous les peuples du sud doivent converger pour contrer toutes ces formes d’exploitation et de marchandisation qui détruisent notre environnement et conduisent à l’accaparement par quelques uns des ressources naturelles de tous.

Les thèmes abordés étaient variés (Changements climatiques, souveraineté alimentaire, modèles énergétiques, travail, violence, criminalisation des mouvements sociaux, identité, souveraineté nationale et populaire et intégration régionale), mais étaient tous orientés vers une démarche de construction d’alternative. Il s’agissait pour tous ces mouvements de passer de la protestation à la proposition et de mettre de l’avant des projets concrets axés sur l’économie solidaire et communautaire ; l’adoption du principe de réciprocité dans les échanges ; la reconnaissance de l’interculturalité dans les rapports sociaux ; le respect de l’équilibre entre la nature et la société ; la décolonisation du pouvoir, des savoirs et des cultures ; l’autonomie et le respect de la diversité ; la mise en place de gouvernements communautaires ; la transformation de l’État, du Marché et de la Société. Des thèmes finalement assez connus, mais dont la valeur et la pertinence redeviennent évidentes en ces temps de crises, mais surtout dans la manière de passer le message. Car une bonne majorité de gens sur la planète, et au premier rang les dirigeants qui ont les moyens d’agir, sont au courant de la situation environnementale.

Le problème est l’inaction. Pourquoi, alors que nous sommes conscientisés, nous ne bougeons pas et nous ne faisons rien ? Tous ces peuples millénaires des rivières, des forêts, qui sortent du cœur de l’Amazonie en habits traditionnels pour nous expliquer leur mode de vie symbiotique avec la nature, contrastant avec le notre qui conduit à la destruction de tout l’écosystème, nous interpellent. Cette fois-ci, ce n’est pas sur la couverture du National Geographic ni sur un écran télévisé qu’ils passent leur message. C’est là, juste en face de vous, en vous tendant la main, en souriant et en vous invitant à écouter tout autour de vous les plaintes des fleuves, les cris des lacs, les sanglots des arbres… les convulsions de la mère-terre.

Allons-nous finir par comprendre… et agir ?

Belém – 29 janvier : Mettre les peuples autochtones au centre du processus

Les forums sociaux sont-ils vraiment des espaces ouverts et inclusifs où chacun peut venir s’exprimer et ainsi prendre part à la construction d’un monde de respect, de solidarité et de justice ?

C’est la question posée par l’India Institute for Critical Action – Centre In Movement (CACIM) dans son atelier qui portait sur la place des peuples autochtones dans le forum social mondial (FSM) et qui rassemblaient des membres de peuples autochtones des Amériques (Canada, Colombie, Pérou) et d’Asie (Inde, Corée). Comme le faisait remarquer Jai Sen, directeur du CACIM, à ses origines, le FSM était très blanc et universitaire. Les trois premières éditions (2001, 2002 et 2003) se sont tenus dans une université de Porto Alegre, capitale du Rio Grande do Sul, région la plus riche du Brésil. Les choses ont ensuite progressivement évolué, pour que le discours inclusif et participatif porté par la mouvance altermondialiste soit plus en phase avec la réalité sociologique des FSM.

Le FSM 2004 de Mumbai, en Inde, a permis une première ouverture réelle envers les populations marginalisées, que ce soit les Dalits (caste des Intouchables) ou encore les peuples autochtones du sous-continent. Puis, en 2005, à Porto Alegre, mais dans un site situé sur les bords de la rivière et non plus dans l’Université, les Quilombolas et Afro-descendants ont investi l’espace du forum. Ce souci d’inclusion des peuples traditionnellement exclus a ensuite rythmé toutes les éditions suivantes du FSM qui tentaient à chaque fois de trouver de nouvelles innovations méthodologiques et organisationnelles pour favoriser la participation : que ce soit le forum polycentrique de 2006 (tenir un FSM dans trois continents différents : Afrique, Asie et Amérique latine) ; le FSM 2007 à Nairobi (Kenya) pour inclure l’Afrique dans la mouvance ; la Journée d’action globale du 26 janvier 2008 visant une décentralisation totale des activités et aujourd’hui, ce retour au Brésil, mais en région Amazonienne pour placer au cœur des débats la question environnementale et les savoirs des peuples autochtones.

Comme l’écrivait l’uruguayen Eduardo Galeano, l’Amérique a découvert le capitalisme il y a 500 ans. Or, ce modèle de développement et de société importé d’Europe ne correspond pas aux deux valeurs fondamentales des peuples autochtones des Amériques : le collectivisme et le respect de la Mère-Nature. Or, cela fait 500 ans que ces principes sont bafoués par les colonisateurs, et cela fait 500 ans que les peuples autochtones du Nord au Sud du continent luttent pour préserver ces valeurs fondatrices.

Le néolibéralisme est le nouveau visage de cette agression. Il se manifeste surtout, aux yeux des peuples autochtones, par la volonté des firmes multinationales de s’accaparer les ressources naturelles, au nom du progrès et du développement. Mais que signifie le mot progrès ? Empoisonner les fleuves et les rivières ? Raser la forêt ? Épuiser les sols par la pratique d’une monoculture d’exportation ? Produire des semences OGM qui ne se reproduisent pas ? Une telle approche prédatrice envers l’environnement ne peut être perçue que comme une attaque frontale contre les peuples autochtones. D’où l’insurrection du mouvement zapatiste au Mexique en 1994, l’élection d’un autochtone cultivateur de coca en Bolivie, les marches autochtones au Pérou, en Colombie, en Équateur… Porter atteinte à l’environnement, c’est condamner à mort les peuples autochtones qui vivent de la nature.

Finalement, dans la logique de l’altermondialisme qui vise à construire un monde différent axé sur la justice et le respect mutuel, la question n’est pas de savoir comment intégrer les peuples autochtones dans le FSM, mais plutôt de trouver les moyens pour que le FSM se rapproche de ces 500 ans de lutte et de résistance des peuples autochtones des Amériques. Il faut que la mouvance altermondialiste écoute et apprenne des peuples autochtones, notamment pour que cette conception d’un lien organique entre nature et humanité se retrouve au centre de ses principes. Il faut passer d’une politique des besoins à une éthique du respect. Cela passe en premier lieu par la reconnaissance. Dans cette perspective, la reconnaissance des peuples autochtones comme des nations à part entière, avec tous les attributs de la souveraineté que cela impose, notamment sur leurs ressources naturelles, est un grand pas. La Bolivie et l’Équateur se sont déjà avancés sur ce chemin en se proclamant État plurinational.

Belém – 29 janvier : Quel est le rôle des universitaires dans les forums sociaux ?

Le FSM évolue et reflète, d’une édition à l’autre, davantage la diversité du monde. Il n’en demeure pas moins que la composante jeune et diplômée est très majoritaire dans les FSM. Et l’édition de Belém n’y fait pas exception. On peut d’ailleurs y voir une certaine logique puisque cet autre monde à construire, à venir, sera avant tout le leur.

Comment les jeunes universitaires peuvent-ils contribuer à l’effort collectif de transformation sociale ? Tel était le thème sous-jacent de l’atelier organisé par le collectif UNIALTER sur la recherche-activiste. Ce large débat, qui a regroupé une cinquantaine de participants, fut riche de réflexions articulées autour de la nécessité de reconnaître la diversité et surtout l’équivalence des savoirs, de la multiplicité des modes d’expression et de transmission des connaissances. Comment contribuer à cette mouvance globale en favorisant la convergence des compétences, la complémentarité ? Doit-on se battre contre une institution (l’université) qui se présente comme une tour d’ivoire monopolisant le savoir, ou plutôt se servir de l’institution comme un outil permettant le partage des connaissances et la mise en œuvre de projets créatifs et formateurs à la fois pour les étudiants et la population ? Dans le cas d’université publique, comme au Brésil, les étudiants se doivent de réfléchir à la manière de permettre aussi à la société de profiter de leur savoir, puisque c’est la société qui leur permet de s’instruire.

Les chercheurs et universitaires qui participent aux forums sociaux ont cependant une responsabilité, un mandat, qui est de favoriser la diffusion des connaissances, de transmettre leur expérience acquise au sein du FSM. Les chercheurs deviennent ainsi activistes en se faisant le relais des luttes et des revendications qui se manifestent durant les forums. C’est cela qui permet aux FSM d’être l’écho des luttes locales et spécifiques qui, sans cet événement majeur, tomberaient dans l’oubli. L’université est un lieu de production d’idées, et c’est dans ce domaine des idées que la mouvance altermondialiste a émergé, pour combattre la pensée unique du modèle idéologique néolibéral. L’autre monde se construit aussi en se pensant, et en premier lieu par la prise de conscience individuelle de sa capacité d’agir.

Mais dans quoi s’engager ? Tel est le second apprentissage du chercheur activiste dans un forum social : il faut choisir sa cause. Le FSM en ce sens, est un vaste espace d’opportunité puisqu’une multitude de mouvements, d’organisations et de revendications s’y expriment, constituant ainsi autant de possibilité de donner un sens à sa soif d’agir.

Raphaël Canet est professeur à la faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa. Avec d’autres professeurs (Université de Montréal, Université Sherbrooke) et activiste de la société civile (YMCA), il a accompagné la délégation mixte UNIALTER au FSM 2009, rassemblant près de 80 personnes, étudiants et membre de la société civile québécoise et canadienne. Il est membre du comité de rédaction de la Revue POSSIBLES.

Laisser un commentaire