par Caroline Borg
Appartenant à la ceinture de feu du Pacifique, les Philippines se composent de 7100 îles éparpillées dans une zone où les courants sont favorables à la navigation. Canal de communication important en Asie du Sud-Est, les eaux philippines n’échappent cependant pas à la menace de la piraterie et aux trafics de contrebandes (Ann Palma, 2010, 1).
Carte 1 : La localisation approximative des enlèvements entre Janvier et Mars 2017 – ReCAAP ISC
Source : https://www.maritime-executive.com/article/swift-acting-crews-reduce-asian-pirate-attacks
La piraterie apparait au sud des Philippines dans les années 1840 à travers des pratiques ancestrales qui vont contribuer à l’essor du développement commercial. D’après les récits, ces activités illicites permettent aussi de réduire l’impact des colonies espagnoles sur le territoire, les pirates Moros attaquant les navires marchands au sein de l’archipel des Sulu. On peut établir un lien entre une partie des attaques de contrebande et la volonté de défense indépendantiste de la zone asiatique (Ann Palma, 2010, 6). Ainsi, la puissance coloniale espagnole bénéficiera de l’appui du groupe ethnique des Visayans contre les pirates islamisés nommés les Maguindanao et les Maranao ( Loyré, 1989, 401). On va alors qualifier les pirates comme des communes humain generis hostes, soit des ennemis de tout le genre humain qu’il est nécessaire de bannir (Eudeline, 2009, 10). Avec la modernisation des capacités maritimes des puissances occidentales, la piraterie est déclarée illégale et recule et les traités signés avec les sultans perdent de leurs influences. Aux Philippines, à une période, tout acte désigné comme de la piraterie était passible de la peine de mort (Ann Palma, 2010,15).
La pratique de la piraterie évolue en même temps que le contexte international et on observe un changement dans les attaques perpétuées. On distingue deux types d’attaques pirates dans les Philippines : d’un côté, les pirates ciblent les navires de commerce, les cargos ou encore les pétroliers. Afin de faire passer les bateaux en dehors des eaux nationales, certains contrebandiers fabriquent leurs propres certificats d’immatriculation, c’est notamment le cas en 2000 avec l’Agus 1 (Ann Palma, 2010, 136). Mais dans un contexte de revendications, on associe plus souvent attaques de pirates et actes terroristes au sein des Philippines (Ann Palma, 2010, 3). Le terrorisme entre dans la définition des actes liés à la piraterie car ils visent à déstabiliser et diffuser une peur au sein de la population afin de disposer d’un levier de négociation avec les décisions du gouvernement (Ann Palma, 2010, 17). Ainsi, l’existence du groupe islamiste d’Abou Sayyaf et leur volonté de créer un califat au sein des îles du sud de l’Asie renforce la menace à l’intérieur des îles philippines (Le Point International, 2017). Les attaques, auparavant, sur des navires marchands à des fins commerciales se traduit désormais par l’enlèvement de marins philippins à bord de leurs navires afin d’obtenir une rançon servant à alimenter les ressources des groupes extrémistes. Certains des enlèvements s’effectue en dehors du cadre juridique philippin, au niveau du golfe d’Aden (Ann Palma, 2010, 131). Ces enlèvements concernent également les voyageurs étrangers naviguant dans les mers territoriales qui sont utilisées afin d’extorquer des fonds. Ainsi, le 27 janvier 2017, un otage allemand retenu par les pirates extrémistes philippins a été décapité dû à l’expiration de sa rançon (Le Monde, 2017). Le Bureau Maritime International (BMI) a annoncé, en 2016, une hausse des enlèvements depuis 10 ans (La Presse.ca, 2017). Il faut néanmoins noter la différence dans la visée des attaques des pirates et de celles menées par les groupes terroristes et la spécificité du cas philippin. D’un côté, le pirate cherche à garder son anonymat, ses attaques sont à visées commerciales et s’il prend des otages c’est uniquement comme monnaie d’échange. Tandis, que l’attaque terroriste en mer vise à faire du bruit sur la scène médiatique afin d’attirer l’attention, il porte des revendications politiques au-delà de l’aspect économique (Eudeline, 2009, 61).
En réponse à l’existence de cette nouvelle menace terroriste, l’Indonésie, la Malaisie et les Philippines intensifient leur collaboration au niveau militaire. En ratifiant le Regional Cooperation Agreement on Combatting Piracy and Armed Robbery against Ships in Asia (ReCAAP), les Philippines participent à la mise en place de mesures adaptées aux attaques pirates contemporaines (Ann Palma, 2010, 8). Mais au niveau juridique, les Philippines ne distinguent pas les attaques perpétrées en haute mer et celles commises dans les eaux nationales (Ann Palma, 2010, 15). Les pirates profitent ainsi de ces zones grises et d’un manque de configuration dans les appareils coercitifs pour perpétrer leurs crimes sur les navires au sein des détroits maritimes (Frécon, 2002).
Carte 2 :Lutte anti-piraterie en Asie : l’outil ReCAAP
Source : https://asialyst.com/fr/2016/05/31/l-asie-royaume-de-la-piraterie/
Le changement dans la nature des attaques lancées dans la zone du pacifique philippin nécessite peut être une amélioration des mesures prises pour lutter contre les activités illicites commises dans cette zone et la prise en compte de la nature terroriste des actes.
Bibliographie
Ann Palma, Mary. 2010. « Pirates et Philippins, toute une histoire – d’avenir ». Outre-Terre, vol. 25-26 (no. 2) : 131-142.
Piraterie aux Philippines : Duterte appelle Pékin à l’aide. Janvier 2017. La Presse.ca (En Ligne):https://www.lapresse.ca/international/asie-oceanie/201701/31/01-5065091-piraterie-aux-philippines-duterte-appelle-pekin-a-laide.php
Les islamises d’Abou Sayyaf, cauchemar des Philippines. 2017. Le Point International (En ligne) : https://www.lepoint.fr/monde/le-groupe-islamiste-abou-sayyaf-specialiste-de-l-enlevement-28-02-2017-2108101_24.php
Un otage allemand décapité par le groupe islamise philippin Abu Sayyaf. 2017. Le Monde.fr (En ligne) : https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2017/02/27/un-otage-allemand-decapite-par-abu-sayyaf_5086237_3216.html
Loyré, Ghislaine. 1988. « Mindanao aux XVIe et XVIIe siècles : les Visayans et les Caragans ». Outre-Mers. Revue d’histoire (281) : 401- 416.
Frécon, Eric. 2002. Dans Pavillon noir sur l’Asie du Sud-Est. Chapitre 7 : les réactions tardives des États.
Eudeline, Hugues. 2012. « Contenir la piraterie. Des réponses complexes face à une menace persistance ». Focus stratégique (n°40).
Eudeline, Hugues. 2009. « Terrorisme maritime et piraterie d’aujourd’hui. Les risques d’une collusion contre-nature ». EchoGéo (n°10) En ligne : https://journals.openedition.org/echogeo/11405#quotation