Les relations entre l’Indonésie et les États-Unis

Par Angelina Halal

Vers 1990, dans un contexte de chute de l’URSS et de fin de guerre froide, les États-Unis deviennent l’unique super puissance sur le plateau : nous entrons dans un ordre mondial unipolaire. N’étant plus menacés par le communisme, les États-Unis vont adopter, en l’espace de deux mandats présidentiels, une politique de « promotion de la démocratie » en Asie du Sud-Est. Plus précisément, cette politique américaine consistait à exercer différentes formes de pressions sur des gouvernements autoritaires, afin de favoriser, de provoquer ou d’imposer une transition à la démocratie (Éthier, 2017). Le premier président américain à défendre cette « démocratisation à l’international » est George H. W. Bush à partir de 1989, suivi de Bill Clinton, de 1993 à 2001. L’une des cibles de cette politique américaine fut l’Indonésie. Par un redressage historique, nous cherchons à comprendre les conséquences visibles encore aujourd’hui de l’influence américaine sur le système politique indonésien.

 

La transition démocratique en Indonésie et l’influence des États-Unis

Suharto, le président de l’Indonésie de 1968 à 1998 menait une dictature militaire depuis plus de 30 ans. Le 20 mai 1998, il a transféré ses pouvoirs au vice-président, Bacharuddin Jusuf Habibie. Parallèlement, à la même époque, les États-Unis exposent leur volonté « pro démocratie » soit « anti autoritarisme ». La secrétaire d’État américaine, Madeleine Albright, a convié Suharto à démissionner afin de favoriser une « transition démocratique ». De son côté, le président Bill Clinton a exprimé la nécessité de démission de Suharto afin de pouvoir entamer une « vraie transition démocratique en Indonésie », d’établir une « démocratie stable » (Lamprière, 1998). Bien que Suharto démissionne à la suite des émeutes de Jakarta, les positions d’Albright et de Clinton sont représentatives de cette politique de « promotion de la démocratie » américaine, mais aussi, de la nature des relations entre les États-Unis et l’Indonésie (Chomsky, 2018).

Le gouvernement américain a fait pression sur Suharto pour qu’il réhabilite les droits civils, en le récompensant économiquement en cas de transition démocratique, mais aussi, en le menaçant par des empêchements économiques en cas contraire. Par exemple, Madeleine Albright a divulgué une augmentation de 66 % de l’aide annuelle américaine à l’Indonésie en cas de transition démocratique (Les Echos, 2000). Aussi, le gouvernement américain a menacé de bannir l’Indonésie du système généralisé de préférence (soit un système qui donnait des privilèges aux importations de certains pays en voie d’industrialisation) en cas de persistance de régime autoritaire. Entre menaces et récompenses et sous cette « influence » américaine, Suharto a été obligé d’adopter certaines concessions temporaires et limitées pendant son mandat. L’une d’entre elles est que son régime politique a adopté le modèle économique libéral et capitaliste, sans abandonner le Tiers mondialisme de son prédécesseur Sukarno (Éthier, 2017).

 

Les intérêts des États-Unis derrière leur correspondance avec l’Indonésie 

D’un autre côté, la dictature militaire de Suharto a également bénéficié régulièrement du soutien des États-Unis, soit d’une coopération militaire avec ce pays. De fait, l’armée indonésienne a eu des liens étroits avec le gouvernement américain, ce qui a encouragé ce dernier à « adoucir » les mesures prises envers le régime autoritaire indonésien dans sa volonté de voir le pays subir une transition démocratique. Ainsi, bien que la politique de « promotion de la démocratie » américaine se tourne vers les gouvernements autoritaires, l’administration américaine s’est abstenue d’appeler officiellement Suharto à démissionner ou d’imposer la démocratie en Indonésie.

Le président des États-Unis Bill Clinton rencontre le président de l’Indonésie Suharto le 24 novembre 1997 au Waterfront Hotel pendant la cinquième rencontre des leaders économiques de l’APEC à Vancouver, Canada.

L’administration de Reagan n’a pas été si conciliante face à la dictature de Ferdinand Marcos en 1986 aux Philippines (Lamprière, 1998). De plus, l’Indonésie n’est pas visée par le décret présidentiel des 7 pays « anti-immigration » signé en janvier 2017 par Trump, au contraire, le vice-président des États-Unis Mike Pence a effectué, en avril 2017, une visite en Indonésie afin d’apaiser les divisions avec le monde musulman. Loin d’être considéré comme une menace par la plupart des nations occidentales (dont les États-Unis), l’Indonésie est perçue comme un pays « modèle » qu’elles souhaitent appuyer sur la scène internationale (Madinier, 2017). Les États-Unis mettent en exergue sous Trump leur lutte « antiterroriste », mais essaient parallèlement de renforcer leurs relations avec l’Indonésie qu’aucune véritable menace terroriste n’inquiète le gouvernement américain (De Koninck, 2003).

 

L’Indonésie, au centre de la concurrence sino-américaine

Le président de l’Indonésie Joko Widodo et le vice-président des États-Unis Mike Pense se serrent la main après avoir joint une conférence de presse au Merdeka Palace à Jakarta, le 20 avril 2017.

L’Indonésie est le plus grand pays musulman au monde, et des plus puissants : il mène une fonction de partenaire et de médiateur (Alles, 2013). Ce pays est appréhendé comme ayant la capacité de jouer un « rôle de passerelle » entre l’Occident et le monde musulman, les pays développés et en voie de développement, mais aussi, entre la Chine et les États-Unis (Alles, 2013). Mais pourquoi ?

 

Premièrement, parce que l’Indonésie est le pays où l’islam « modéré » et « libéral » est des mieux organisé. L’ensemble du prisme de la religion musulmane est pris en compte et le débat est libre, dans une opinion publique devenue plus volatile depuis la chute de Suharto (Madinier, 2017 et De Koninck, 2003). Deuxièmement, parce que le poids économique l’emporte, l’Indonésie étant l’un des rares pays à pouvoir faire contrepoids à l’influence de la puissance chinoise : « la doctrine Natalegawa formule la ligne de conduite à tenir dans un double contexte d’affirmation croissante de la puissance chinoise et de recentrage de la stratégie américaine vers l’Asie » (Alles, 2013). Les États-Unis veulent maintenir un partenariat important avec l’Indonésie entre autres, parce que l’archipel est un outil maritime et stratégique (Madinier, 2017).

Depuis les années 2000, l’Indonésie se trouve séduite par la Chine et les États-Unis, qui cherchent à prendre profit de cette situation concurrentielle en « mettant en œuvre une diplomatie multivectorielle, multipliant les partenariats bilatéraux tout en privilégiant l’option multilatérale pour la résolution des conflits » (Alles, 2013).

 

 

Bibliographie

Alles, Delphine. 2013. « Indonésie : le non-alignement à l’épreuve de la concurrence sino-américaine ». Revue politique étrangère 4 (hiver) : 175-185. En ligne.  https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2013-4-page-175.htm

Chomsky, Noam. 1998. « L’Indonésie, atout maître du jeu américain ». Le Monde diplomatique (Paris), juin : 1-8. En ligne. https://www.monde-diplomatique.fr/1998/06/CHOMSKY/3804

De Koninck, Rodolphe. 2003. « Le monde vu d’Indonésie ». Revue hérodote 1 (no 108) : 113-143. En ligne. https://www.cairn.info/revue-herodote-2003-1-page-113.htm

Éthier, Diane. 2017. « Régimes politiques de l’Asie du Sud-Est ». POL 2860 (Université de Montréal).

Lamprière, Luc. 1998. « Clinton appelle à une «démocratie stable». Longtemps sur la réserve, les Etats-Unis ont fini par lâcher le régime ». Libération (Paris), 22 mai. En ligne. http://www.liberation.fr/evenement/1998/05/22/clinton-appelle-a-une-democratie-stable-longtemps-sur-la-reserve-les-etats-unis-ont-fini-par-lacher-_236744

Les Echos. 2000. « L’aide américaine à l’Indonésie augmentera de 66 % pour aider la transition démocratique ». Les Echos (Paris), 24 janvier. En ligne. https://www.lesechos.fr/24/01/2000/LesEchos/18075-036-ECH_l-aide-americaine-a-l-indonesie-augmentera-de-66—pour-aider-la-transition-democratique.htm

Madinier, Rémy. 2017. « Quelles relations entretiennent l’Indonésie et les Etats-Unis? ». La Radio télévision suisse (RTS) (Genève), 21 avril. En ligne. https://www.rts.ch/play/radio/tout-un-monde/audio/quelles-relations-entretiennent-lindonesie-et-les-etats-unis?id=8542802&station=a9e7621504c6959e35c3ecbe7f6bed0446cdf8da

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