La junte militaire thaïlandaise et le coup d’État de 2014 : vers une fragilisation ou un renforcement des relations internationales ?

Par Michaël Désormeaux

La culture politique thaïlandaise

Dans un premier temps, il apparait crucial de s’interroger sur le climat politique de la Thaïlande afin de comprendre comment le pays est entré une fois de plus dans une dérive autoritaire qui a causé des remous diplomatiques d’est en ouest sur la planète. Selon Chachavalpongpun, les coups d’État sont un phénomène commun dans la politique thaïlandaise et sont en ce sens considérés comme une composante de la culture politique du pays. La plupart des coups qui se sont produits durant les dernières décennies ont été appuyés par la monarchie royale, rendant ainsi le sentiment de légitimité des militaires suffisant pour employer des coups comme outil pour éliminer les ennemis  politiques et pour protéger leurs propres intérêts de pouvoir.

En 2014, également, le coup a été supporté par le roi Bhumipol et a été accepté comme une solution légitime par l’armée pour sortir de l’impasse politique à laquelle le pays fait face depuis le début des années 2000[1]. En 2006, la junte militaire du pays prend le pouvoir alors qu’un parti populiste et propauvre remporte les élections de 2001 et 2005. C’est à travers cette façade de volonté de protéger la démocratie que la junte militaire mit en pratique un stratagème garantissant  que l’élite traditionnelle et les militaires continuent de dominer la future transition royale[2].

Le contrecoup : les États-Unis sanctionnent la Thaïlande

En suspendant les droits d’activités politiques, en ne respectant plus le principe de balance des pouvoirs d’une monarchie constitutionnelle, en modifiant la constitution et en imposant des restrictions majeures pour les droits et libertés civiles, la junte militaire s’est imposé une refonte de son agenda diplomatique.

Selon Wei Boon Chua, la Thaïlande fût le premier pays asiatique à établir des relations diplomatiques avec les États-Unis en 1829 et est aussi le plus vieil allié asiatique des États-Unis, ayant d’ailleurs combattu auprès des Américains durant la Guerre de Corée, la Guerre du Vietnam et les deux Guerres en Irak. Les deux pays ont durant leur histoire eu des relations stratégiques dont les efforts ont contribué à augmenter la sécurité régionale et mondiale.

Après le coup militaire de 2014, l’administration Obama a suspendu 4.7  millions de dollars en fonds d’assistance à la sécurité et a annulé une série d’exercices militaires ainsi que des visites diplomatiques au pays. C’est dans ce contexte que le secrétaire d’État John Kerry a dit dans un communiqué : « I am disappointed by the decision of the Thai military to suspend the constitution and take control of the government after a long period of political turmoil, and there was no justification for this military coup […] We are reviewing our military and other assistance and engagements, consistent with US law[3] ».

La réponse négative des États-Unis face au coup militaire n’a pas seulement nui à la relation Thaïlande-États-Unis, mais a également rapproché Bangkok de Pékin[4]. En tant qu’allié de la Thaïlande par traité, les États-Unis sont en obligation de pénaliser la junte thaïlandaise pour avoir entrepris un coup d’État renversant un gouvernement élu. De plus, la position américaine envers la Thaïlande a incité  d’autres nations démocratiques telles que l’Union européenne, l’Australie, le Japon, et à utiliser des sanctions internationales ou à condamner ouvertement la situation comme moyen de pression contre la junte pour qu’elle relâche son emprise de pouvoir sur le pays[5].

C’est dans ce même contexte que l’Australie a exprimé dans un communiqué : « Australia has postponed three activities for coming weeks in Thailand: a military operations law training course for Thai military officers; a reconnaissance visit for a counter improvised explosive device training exercise; and a reconnaissance visit for a counter terrorism training exercise. The Australian Government has also put in place a mechanism to prevent the leaders of the coup from travelling to Australia[6]

Le coup d’État de 2014 aura donc clairement eu un effet sur les relations diplomatiques de la région. La récente ouverture de la Thaïlande face à la Chine plait à cette dernière qui par opportunisme exploite un moment de faiblesse dans la relation entre les deux alliés historiques, symbole d’un des cinq piliers formels d’alliances bilatérales des Américains dans la région. Selon Pongsudhirak, la Chine fût dominante en Asie du Sud-est historiquement et est aussi considérée comme un ami de la Thaïlande malgré quelques accrochages durant l’expansion communiste de la Guerre froide. Toutefois, plus la Chine est centrale au cadre stratégique de Bangkok, plus la Thaïlande aura besoin de son alliance avec les États-Unis.

Un trop grand rapprochement avec la Chine n’est pas conseillé pour la politique étrangère thaïlandaise puisque d’une certaine manière cela exposerait la faiblesse et le désespoir d’une Thaïlande en quête d’une reconnaissance de la part d’une grande puissance après les coups d’État de 2006 et de 2014. Également, perdre la Thaïlande aux mains de la Chine serait une grosse perte pour les Américains et les forcera dans un futur rapproché à balancer judicieusement entre l’alliance bilatérale et le respect des conventions politiques internationales[7].

 

 

 

[1] Chachavalpongpun 2014, 171.

[2] Idem  2014, 170.

[3] Idem 2014, 171.

[4] Wei Boon Chua 2018, 272.

[5] Chachavalpongpun 2014, 174.

[6] Idem 2014, 175.

[7] Pongsudhirak 2016, 72.

Bibliographie

Chachavalpongpun, Pavin. 2014. «The Politics of  International  Sanctions : The 2014 Coup

In Thailand » Journal of International Affairs 68 (1): 169-85.

Pongsudhirak, Thitinan. 2016. «An Unaligned Alliance: Thailand-U.S. Relations in the Early 21st Century.» ASPP Asian Politics & Policy 8 (1): 63-74.

Tourism (Thailand).2018. En ligne. http://www.europaworld.com/entry/th.ss.78 ( page consulté le       27 mai 2018 ).

Wei Boon Chua, Daniel 2018. «United States’ pivot and Southeast Asia » Dans S. Ganguly, A. Scobell et J. C. Y. Liow, dir. The Routledge handbook of Asian security studies. London: Routledge.

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