Par Clara Leroy
Jusqu’au début des années 1990, la population Malaisienne était majoritairement rurale, mais elle a connu un mouvement d’urbanisation extrêmement rapide : le nombre d’habitants vivant en ville est désormais de 75%, alors qu’il était de 33% en 19701. Un des facteurs de ce phénomène est la politique de révolution verte qui a créé une vague de licenciement dans le domaine rizicole. Les femmes ont dû « choisir » entre deux voies : partir en ville, comme la plupart de leurs collègues masculins, ou rester pour travailler dans l’horticulture. Mais ce domaine est très polluant, les exposant à des risques sanitaires importants. En quoi consiste cette révolution verte ? Quelles sont les conséquences pour les femmes qui sont restées dans les campagnes?
Une politique de révolution verte
On appelle révolution verte la transformation de l’agriculture dans les pays en développement, qui s’est déroulée à partir des années 1960. La mécanisation, l’utilisation massive de pesticides et de fertilisants, ou encore la monoculture intensive furent pratiqués en masse par l’Indonésie, le Vietnam, les Philippines et la Malaisie. Cette révolution verte a débuté en Inde et au Mexique en 1959, puis est arrivée en 1971 en Malaisie suite à l’adoption de la Nouvelle politique économique (1971-1990) et du 3e Plan Malais (1976-1980)2.
La Malaisie a toujours connu le même parti au pouvoir, l’Organisation Nationale des Malais Unis, puisqu’il est « réélu » depuis l’indépendance de la Malaisie en 1957. Cela explique pourquoi dans ce pays la politique de révolution verte a été continuellement maintenue, et ce jusqu’à aujourd’hui. C’est même devenu le pays de la région avec le 2e plus fort taux d’utilisation de pesticides, puisque 75% de la production de riz en utilise3.
Ainsi, au cours des 30 dernières années, la Malaisie est passée d’une agriculture d’autosuffisante et de revente locale à une agriculture d’exportation intensive du riz.
Les conséquences de cette révolution
Cette révolution verte a permis d’élever la qualité de vie et la productivité de quelques propriétaires agricoles, et l’économie du pays a augmenté de 8,5% entre 1980 et 19904. Mais il y a aussi eu de nombreuses conséquences négatives. D’abord, la mécanisation de l’irrigation des rizières a rendu obsolète le travail d’une grande partie des employé-e-s agricoles. Ainsi depuis 1989, le nombre de travailleurs agricoles a diminué de 27 à 17%5 : n’ayant pas d’autre choix, ils ont dû partir rejoindre les grandes villes pour travailler en usine ou dans le commerce.
Les travailleuses agricoles malaises furent les plus touchées par cette révolution verte. En effet, même si elles travaillaient autant que les hommes dans les rizières (environs 4,8 heures contre 4,6 heures pour les hommes6), elles étaient considérées comme des « femmes de fermiers »7. On ne les a donc pas formées à la mécanisation des rizières, et elles furent contraintes de quitter cette activité. Une partie d’entre elles (les plus jeunes) sont parties, tout comme leurs collègues masculins, travailler en ville. Mais cela constitue une minorité puisque la plupart devait continuer à s’occuper du foyer et de leurs enfants.
Ainsi, si le nombre global d’agriculteurs a baissé comme on l’a vu, le nombre d’agricultrices a augmenté : jusqu’à 70% de plus entre 1995 et 20008. Mais ces agricultrices qui travaillaient dans les rizières ont dû aller travailler dans les champs horticoles. Si elles se sont tournées vers l’horticulture, c’est en raison d’une politique gouvernementale : la Politique agricole nationale (1992-2010). Elle a défini plusieurs stratégies pour orienter les femmes vers un nouveau travail, après leur départ forcé des rizières. En 2004, la moitié des agricultrices travaillaient dans l’horticulture9.
Ce changement de statut, de travailleuse dans les rizières à travailleuse horticole, ne s’est pas fait sans heurts, puisqu’elles ont perdu leur autonomie alimentaire : 65 % des foyers ne sont plus autosuffisants en riz et doivent l’acheter à des prix variant en fonction des cours du marché10. Or, ce sont les femmes qui sont en charge de nourrir leur famille, ce qui constitue une pression supplémentaire sur leurs épaules.
Le coût écologique de ce virage
Cette révolution verte a eu un impact environnemental important en raison de l’utilisation massive de fertilisants et de pesticides. De plus, l’accumulation de limon dans les cours d’eau, due à l’exploitation intensive d’une monoculture, a également mené à l’érosion des sols. Enfin, la température a augmenté de un à deux degrés dans les régions rurales.
Cela a eu un coût sur la santé des travailleurs, puisque 51 à 71% des agriculteurs-trices ont ressenti des symptômes associés à l’empoisonnement par pesticides11. Puisque la culture horticole est une des plus polluantes, les femmes se trouvent particulièrement touchées.
Elles sont en effet assignées à l’épandage des pesticides dans les champs, ce qui les exposent au premier plan. Une étude menée par Ong Khun Wai en 2001 a par exemple reporté l’existence de résidus de pesticides dans le lait maternelle de 31 femmes dans le village de Ranau12.
Ainsi, la révolution verte menée depuis 1971 par la Malaisie a eu de nombreux impacts. Elle a mené à un exode sans précédent d’agriculteurs vers les villes, mais a touché encore plus les agricultrices. Ces dernières se sont majoritairement tournées vers la culture horticole, mais il s’agit d’une agriculture très polluante qui les expose à des dangers sanitaires et à une dépendance alimentaire, faute de pouvoir cultiver du riz.
1 Site internet de statistiques de l’Université de Sherbrooke http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/tend/MYS/fr/SP.URB.TOTL.IN.ZS.html
2 Edris, Aishah, 1999. « Agrarial change and rural women : the malaysian experience », Asian journal of women’s studies, 5:4, page 29
3 Raiha Ahmad, 2010. Paddy crop transition after 31 years of Green Revolution : restudy on farmers’ communities in Nothern peninsular Malaysia, CHATSEA working papers n°11, Montréal.
4 Rural Women in the Malaysian economy, Food and Agriculture Organization of the United Nations, page 2
5 Rural Women in the Malaysian economy, Food and Agriculture Organization of the United Nations, page 2
6 Rural Women in the Malaysian economy, Food and Agriculture Organization of the United Nations, page 3
7 Edris, Aishah, 1999. « Agrarial change and rural women : the malaysian experience », Asian journal of women’s studies, 5:4, page 40
8 Rural Women in the Malaysian economy, Food and Agriculture Organization of the United Nations, page 2
9 Rural Women in the Malaysian economy, Food and Agriculture Organization of the United Nations, page 3
10 Rural Women in the Malaysian economy, Food and Agriculture Organization of the United Nations, page 3
11 Rural Women in the Malaysian economy, Food and Agriculture Organization of the United Nations, page 3
12 Wai, Ong Khun, 2001. National study : Malaysia. http://www.unescap.org/rural/doc/OA/Malaysia.PDF