Par Matt Jagger
Classé 123e (sur 156) en 2015 au classement de l’indice démocratique, le Vietnam demeure encore aujourd’hui un régime très autoritaire, dominé par un parti unique, le Parti Communiste Vietnamien. A l’image de son voisin chinois, la « République socialiste du Vietnam » fait figure d’ultime bastion d’un pouvoir se revendiquant encore du communisme, même si l’ouverture économique amorcée dès la fin des années 80 la distingue de la Corée du Nord. Malgré l’absence d’élections ouvertes et libres, l’appareil politique vietnamien n’en est pas pour autant statique, et les Congrès du Parti, qui ont lieu tous les 5 ans, sont le théâtre d’affrontements entre factions pour l’accès aux fonctions suprêmes. Le XIIe Congrès, qui s’est tenu en janvier 2016, a d’ailleurs été particulièrement mouvementé, à l’heure ou le pays connaît une croissance forte malgré la corruption et la répression, toujours bien présentes. Que s’est t-il passé lors de la messe quinquennal des communistes vietnamiens ? Quelles seront les conséquences à l’intérieur et à l’extérieur du Vietnam ?
Fondé en 1931 par Ho Chi Minh, le Parti Communiste Vietnamien est au départ indissociable de celui de l’Indochine, avant que ce dernier ne soit dissous en 1945. Si officiellement les communistes forment une coalition avec d’autres partis politiques, au sein du Vietnminh, ou encore de la Ligue Patriotique, ils sont en réalité les seuls à posséder le pouvoir(1). Dès 1954, et la signature des Accords de Genève, qui viennent conclure la guerre d’indépendance menée contre la France, la République Démocratique du Vietnam applique un programme de collectivisation des terres et de nationalisation de l’économie, qui sera ensuite étendu au Sud Vietnam, dès sa conquête en 1975. Toutefois, en 1986, la situation du pays est catastrophique : sur le plan économique, le retard technologique est patent, tandis que des milliers de personnes, les boat people (2), continuent à fuir le pays par mer et par terre. Au sommet de l’État, on s’inquiète de la baisse des aides en provenance de l’URSS, alors que tout le bloc de l’Est commence à s’effriter. Lors du VIe Congrès, il est donc décidé de procéder à une ouverture économique : en aucun cas cela signifie que le Parti abandonne le pouvoir; il s’agit bien au contraire de réformer pour ne pas perde le contrôle (3). Sur le plan international, les autorités de Hanoï vont également assainir leurs relations avec les pays voisins, avec l’adhésion à l’ASEAN en 1995. Concrètement, ces réformes renforcent même le Parti et ses membres, qui deviennent les grands privilégiés de l’instauration de cet embryon d’économie privatisée.
La structure étatique du Vietnam est donc étroitement liée au Parti Communiste, le seul autorisé à présenter des candidats pré-sélectionnés aux élections législatives. L’assemblée nationale reste au demeurant figurative, et dispose d’un pouvoir restreint, face au véritable siège du pouvoir qu’est le Politburo, dominé par le Secrétaire du Parti. Aux échelons inférieurs du pouvoir, on trouve les postes de Premier Ministre et celui du Président de la République, qui forment un triumvirat constituant de facto le lieu où l’ensemble des politiques nationales sont initiées, et où le pouvoir est concentré. De fait, ces postes constituent donc des points névralgiques susceptibles de donner lieu à des luttes de pouvoir entre personnalités politiques, comme c’est le cas présentement entre le Secrétaire et le Premier Ministre. Pour tout observateur extérieur, face à un pays dont seulement quelques bribes d’information filtrent sur la situation politique réelle, les nominations au sommet de l’État restent le seul moyen de lecture des changements qui s’opèrent au sein du pays.
Le XIIe Congrès du Parti Communiste était annoncé depuis quelques années comme décisif pour l’avenir du pays (4), marquant le point culminant de la lutte entre deux hommes : Phu Trong, Secrétaire du Parti depuis 2011, et Tan Dung, Premier Ministre depuis 2006. Schématiquement, le premier représente le courant conservateur, plutôt proche de Pékin, le second le courant libéral, et donc, plus axé sur l’Occident. Cette opposition en matière de politique étrangère est de premier plan, puisque de cette question dépend notamment nombre d’enjeux économiques (la Chine étant le premier partenaire commercial du Vietnam), mais aussi sécuritaires (à cause des revendications territoriales en Mer de Chine Méridionale). Régime certes répressif mais discret(5) Les dirigeants tentent le moins possible d’afficher leurs divergences, laissant intact l’image de consensus et d’unité, typique du nationalisme vietnamien. Pourtant, impossible de ne pas voir les débordements que suscitent l’opposition entre Trong et Dung, en particulier au sujet de l’accusation de corruption lancée à l’encontre de ce dernier par le Politburo en 2013. Une corruption rappelons-le endémique, et qui, malgré les efforts de l’État, reste omniprésente(6), et continue à faire des membres du Parti une classe utra-privilégiée, à l’origine du mécontentement croissant du reste de la population(7).
La victoire finale de Phan Trong à l’issue de ce XIIe Congrès, et par extension, des conservateurs, marque donc le maintien de la situation qui prédomine au Vietnam depuis plusieurs décennies : il n’y aura très certainement pas d’ouverture politique sur le court terme. Malgré le récent rapprochement avec les américains, et alors qu’Obama vient d’annoncer durant sa visite en mai dernier au Vietnam la fin de l’embargo sur les armes, la rupture entre Hanoï et Pékin n’est également pas pour tout de suite, si rupture il y a. Car la tendance actuelle en Asie de l’Est est à la séparation entre un bloc chinois d’une part, et américain de l’autre. L’un des enjeux futur consiste à se demander s’il y aura une place pour une « troisième voie ». Phan Trong, sans être un pantomime de Pékin, reste une personnalité proche du voisin nordique. Cependant, la pression chinoise sur le plan commercial, et les différends territoriaux sur l’archipel Paracels, ne cessent de faire monter les élans nationalistes, qui sont au passage toujours d’utiles moyens pour dissimuler une situation politique tendue. Le statu quo demeure, mais il y a fort à parier que les choses vont bientôt bouger pour le « Petit Dragon » d’Asie du Sud-Est.
(1)Chesneaux, Jean. 1968. « Fondements historiques du communisme vietnamien ». L’Homme et la société volume 14 (1), pp 83-98, en ligne : http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1969_num_14_1_1755 (consulté le 13 Juin 2016).
(2) Voir l’article « Les Boat People vietnamiens : un exemple pour la crise migratoire actuelle ? », sur ce même blog.
(3)Do Benoit, Hiên. 2011. Le Viêt Nam. Coll. Idées reçues, Editions le Cavalier Bleu, Paris, p 52.
(4)Église d’Asie. 2016. « La difficile préparation du XII Congrès du Parti communiste vietnamien ». Asie du Sud-Est – Vietnam, en ligne : http://eglasie.mepasie.org/asie-du-sud-est/vietnam/2016-01-08-la-difficile-preparation-du-xiie-congres-du-parti-communiste-vietnamien (consulté le 13 juin 2016).
(5)Duc-Khang, Nguyen. « Une dictature politique en pleine crise ». Observatoire géostratégique de Lyon, en ligne : http://www.geolinks.fr/geopolitique/une-dictature-politique-en-pleine-crise-linstabilite-actuelle-du-gouvernement-communiste-vietnamien-et-les-enjeux-geopolitiques-du-petit-dragon-dasie-du-sud-est/ (consulté le 13 Juin 2016).
(6)De Blauwe, Antoine. 2013. « L’influence du parti communiste vietnamien sur la corruption dans le pays ». Blog Asie du Sud-Est, disponible en ligne : https://redtac.org/asiedusudest/2013/04/01/l%e2%80%99influence-du-parti-communiste-vietnamien-sur-la-corruption-dans-pays/ (consulté le 13 juin 2016).
(7)Duc-Khang, Nguyen. « Une dictature politique en pleine crise ». Observatoire géostratégique de Lyon, en ligne : http://www.geolinks.fr/geopolitique/une-dictature-politique-en-pleine-crise-linstabilite-actuelle-du-gouvernement-communiste-vietnamien-et-les-enjeux-geopolitiques-du-petit-dragon-dasie-du-sud-est/ (consulté le 13 Juin 2016).
Bibliographie :
Duc-Khang, Nguyen. « Une dictature politique en pleine crise ». Observatoire géostratégique de Lyon, en ligne : http://www.geolinks.fr/geopolitique/une-dictature-politique-en-pleine-crise-linstabilite-actuelle-du-gouvernement-communiste-vietnamien-et-les-enjeux-geopolitiques-du-petit-dragon-dasie-du-sud-est/ (consulté le 13 Juin 2016).
Do Benoit, Hiên. 2011. Le Viêt Nam. Coll. Idées reçues, Editions le Cavalier Bleu, Paris, 124p.
Chesneaux, Jean. 1968. « Fondements historiques du communisme vietnamien ». L’Homme et la société volume 14 (1), pp 83-98, en ligne : http://www.persee.fr/doc/homso_0018-4306_1969_num_14_1_1755 (consulté le 13 Juin 2016).
De Blauwe, Antoine. 2013. « L’influence du parti communiste vietnamien sur la corruption dans le pays ». Blog Asie du Sud-Est, disponible en ligne : https://redtac.org/asiedusudest/2013/04/01/l%e2%80%99influence-du-parti-communiste-vietnamien-sur-la-corruption-dans-pays/ (consulté le 13 juin 2016).
Église d’Asie. 2016. « La difficile préparation du XII Congrès du Parti communiste vietnamien ». Asie du Sud-Est – Vietnam, en ligne : http://eglasie.mepasie.org/asie-du-sud-est/vietnam/2016-01-08-la-difficile-preparation-du-xiie-congres-du-parti-communiste-vietnamien (consulté le 13 juin 2016).