Raphael Lachkar
En 1991, la militante birmane Aung San Suu Kyi reçu le prix Nobel de la Paix, 9 années plus tard elle fut élue à la chambre basse de l’assemblée et son parti, le National league for democracy (NLD), y rafla 43 des 45 sièges vacants. Cette chronologie ne peut qu’être porteuse d’espoir quand à l’attendue ouverture démocratique de la Birmanie (Lee, 2014). Cependant, les évènements des mois derniers et le silence de la militante à ce sujet obligent la communauté internationale à mitiger ses espérances. Depuis 2 ans, les médias portent une attention particulière aux musulmans Rohingyas de la région de l’Arakhan dans l’ouest du territoire, victimes d’un ethnocide mené par diverses sectes extrémistes bouddhistes. La lauréate du prix Nobel reste cependant mitigée quand au sort de l’ethnie qualifiée par l’ONU comme la plus persécutée de l’humanité (Aljazeera , 2014), (Beech, 2013).
Suite à l’assassinat d’Aung San en 1947, homme politique prodémocratique et père d’Aung San Suu Kyi, le nationalisme birman s’est construit autour d’un socialisme bouddhiste virulent. En 1988, des révoltes étudiantes poussèrent le gouvernement à organiser des élections. Les résultats furent sans équivoques quant au soutien du peuple pour la fille de l’homme qui quarante ans plus tôt mourrait pour le développement démocratique de la Birmanie. Aung San Suu Kyi fut immédiatement placée en résidence surveillée et n’en sortit qu’en 2010 alors que la junte militaire ouvrait la scène politique à des initiatives démocratiques. La militante est à la fois une icône de la protestation populaire face au gouvernement autoritaire birman et considérée comme une protectrice avérée des 135 groupes ethniques du pays. Les 800 000 musulmans Rohingyas ne sont cependant pas vus comme une ethnie à part entière (Barton & Virginie Andre, 2014). Au cours de l’Histoire, ils furent systématiquement écartés de la construction nationaliste du pays et ne bénéficient pas aujourd’hui du même statut que les autres groupes minoritaires. De nombreuses études prouvent cependant leur appartenance historique (depuis le 7e siècle au moins) au territoire de l’Arakhan (Barton & Virginie Andre, 2014), (Lee, 2014).
Une mère tient son nouveau-né au camp pour les Rohingyas à Sittwe, en Birmanie (Gemunu Amarasinghe / AP
La persécution violente dont les Rohingyas sont victimes est exemplifiée dans les discours nationalistes xénophobes bouddhistes. Citons le moine Wirathu qui en veut à ceux qui “volent et violent les femmes birmanes et participent à la colonisation islamiste du pays.” (Beech, 2013). Depuis les incidents dans l’ouest il y a deux ans, s’échelonne une vendetta sanglante ayant coûté la vie à plus d’une centaine de Rohingyas et le déplacement de milliers d’autres dans des camps de réfugiés (Beech, 2013). Aujourd’hui, l’ethnie n’a ni le droit de mouvement (ils doivent payer une autorisation spéciale pour sortir de leur village), ni celui de se marier librement (demande onéreuse pour un permis de mariage et depuis 2005 restrictions à deux enfants par couple). Ils n’ont pas accès non plus aux professions de l’éducation et de la santé, exacerbant leur autarcie et leur condition humanitaire. Apatrides et sans papiers, ils ne bénéficient d’aucun statut à l’étranger, émigrer présente un défi de taille et les pousse vers les réseaux illégaux (Lewa, 2013). Sous la pression internationale, le gouvernement birman a proposé cette année le “Rakhine action plan”, qui suggère à l’ensemble des Rohingyas incapable de prouver leur éligibilité à la nationalité birmane (dater leur présence sur le territoire depuis 1823) de se faire nationaliser Bengali (ce qu’ils ne sont pas) et d’effectuer les procédures depuis le Bangladesh (The Times editorial board, 2014), (Lee, 2014). Les Rohingyas ont vu leur statut en birman confisqué en 1982 par la loi sur la citoyenneté. Celle-ci rassemble une liste des 135 races nationales éligibles d’office à la nationalité birmane, les Rohingyas n’y étant pas inclus, sont considérés comme illégaux tant qu’ils ne remplissent individuellement les laborieuses démarches énumérées plus haut (Lewa, 2013).
La militante Birmane Aung San Suu Kyi
À ce sujet, contrastant avec sa ligne idéologique habituelle, Aung San Suu Kyi a appelé les Rohingyas à se plier au droit national. Plusieurs motifs permettent de mieux comprendre la position de la militante. La ligne idéologique de son parti, le NLD, est tenue de suivre son électorat foncièrement opposé à l’intégration des Rohingyas dans le pays. Le fait qu’ils ne soient pas reconnus comme une ethnie à part entière permet aux dirigeants d’occulter leur sort dans leur programme politique (Barton & Virginie Andre, 2014). Comptant pour moins de 5% de la population totale, il est intelligible qu’en pleine campagne présidentielle, Suu Kyi choisisse de ne pas s’aliéner les autres 65 % de Birmans ethniques (ethnie bouddhiste majoritaire en Birmanie). La population birmane est globalement hostile à la présence des Rohingyas sur le territoire. La dernière conquête des Birmans de l’Arakan date du 18e siècle. La série de guerres les affrontant aux Britanniques confisqua la région aux pouvoirs birmans et piqua du même coup la fierté birmane à l’encontre de l’envahisseur et de l’ethnie bénéficiaire. Ce sentiment fut exacerbé par les traitements de faveur que reçurent les musulmans et les Indiens ou “ceux à la peau foncée” pendant l’occupation aux dépens des Birmans (Lee, 2014).
Résumons : l’idée de la nation birmane s’est construite les 50 dernières années autour d’un bouddhisme musclé. Aujourd’hui, alors que le pays tend fébrilement vers un régime démocratique fédérateur, une ethnie de la région, musulmane et sans statut légal, est persécutée par des groupes extrémistes bouddhistes. La représentante du mouvement démocratique est donc tenue de faire un choix : isoler le groupe bouddhiste extrémiste au risque d’emporter avec lui 65% de son électorat ou fermer les yeux sur le sort de cette ethnie oubliée de tous. Les dernières prises de paroles de la militante sont de mauvaise augure pour les Rohingyas qui ne peuvent plus que reposer sur la communauté internationale dans leur salut.
Ressources bibliographiques
Barton, G., & Virginie Andre. (2014, June 25). Islam and Muslim–Buddhist and Muslim–Christian Relations in Southeast Asia. Islam and Muslim–Buddhist and Muslim–Christian Relation , 25 (3), pp. 281-285.
Beech, H. (2013, July 1). When Buddhists go bad. Time .
Human Rights Watch. (2012). “All You Can Do is Pray” Crimes Against Humanity and Ethnic Cleansing of Rohingya Muslims in Burma’s Arakan State . Human Rights Watch.
Lee, R. (2014). A Politician, Not an Icon: Aung San Suu Kyi’s Silence on Myanmar’s Muslim
Rohingya . Islam and Christian–Muslim Relations , 5 (3), pp. 321-333.
Lewa, C. (2013). Rhakine du Nord: une prison ouverte pour les Rohingya . Forced migration review .
Taylor, R. H. (2010, February). Burma. The Burmanization of Myanmar’s Muslims By J.A. Berlie Bangkok: White Lotus Press, 2008. Pp. 190, Maps, Notes, Bibliography, Index. . Journal of Southeast Asian Studies , 41 (01), pp. 175-177.
Liens externes
Aljazeera . (2014, avril 8). UN raises alarm over Rohingya Muslim abuse. Récupéré sur Aljazeera : http://www.aljazeera.com/news/asia-pacific/2014/04/un-raises-alarm-over-rohingya-muslim-abuse-20144863638917587.html
The Times editorial board. (2014, Octobre 14). Editorial Why does Myanmar keep persecuting the Rohingya Muslims? Récupéré sur LA Times: http://www.latimes.com/opinion/editorials/la-ed-rohingya-muslims-persecution-myanmar-20141015-story.html