Par Anouk Létourneau
Deuxième plus gros producteur d’opium au monde après l’Afghanistan, le Myanmar est depuis longtemps au centre des préoccupations de la région de l’Asie du Sud-Est et de sa guerre contre la drogue (Labrousse, 2003). L’occupation militaire du pays depuis le coup d’État du 1er février 2021 dirigé par Min Aung Hlaing n’a à cet effet fait qu’empirer l’hégémonie de la drogue au pays (s.n., 2022). La présence de ce nouveau régime risque également de fragiliser les fondements de l’accord signé en 2012 par les rebelles shans et l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (Staff, 2022; Achaume, s.d.). Il apparaît néanmoins difficile de blâmer les paysans pour favoriser la culture des pavots d’opium au dépend d’autres cultures et nous verrons ultérieurement pourquoi. Cela étant, des projets birmans ont récemment été instaurés dans l’intention de diminuer la dépendance des nombreux Birmans à l’opium et d’inciter les agriculteurs à cultiver de nouveaux produits. Dans une optique similaire, les toxicomanes bénéficient également de différents types de traitements pour venir à bout de leur dépendance à l’héroïne dont nous étayerons éventuellement l’efficacité.
Depuis le début des année 1990, les groupes militaires et les narcotrafiquants vont de paire au Myanmar. À titre d’exemple, Lo Hsing Han, aussi connu comme « le parrain de l’héroïne » a longtemps joui de l’appui de l’armée pour garder la main mise sur le marché de la drogue du pays : « l’ouverture des portes du marché de la drogue dans la région contre la constitution d’une organisation paramilitaire chargée de combattre la rébellion communiste dans l’État du Shan. » (Meyerfeld, 2013, 1). De plus, plusieurs témoignages d’agriculteurs de pavots d’opium affirmaient que différents membres des forces de l’ordre (gardes forestiers, polices, etc.) bénéficiaient d’une taxe sur leurs cultures, mais également d’une « impunité judiciaire et d’un soutien permanent de l’armée birmane » (Achaume, s.d.)
Inutile d’avancer que cette collaboration risque de s’intensifier depuis le retour au pouvoir de la junte militaire en février 2021 (s.n., 2022). Maintenant, il est compréhensible que les paysans préconisent la culture d’opium à celle du thé ou du riz, par exemple, ces derniers bien moins économiquement rentables que la drogue. D’ailleurs, le géographe Pierre-Arnaud Chouvy dénote deux raisons à l’inefficacité des politiques antidrogues (2003). D’une part, le fait de prohiber un produit, le rendant alors inévitablement plus attrayant. Nous pourrions illustrer l’application de cette idée avec la récente décriminalisation du cannabis en Thaïlande (Neumann, 2022). De l’autre, en se focalisant sur la réduction de l’offre plutôt que sur la prise en charge des consommateurs. Il n’est cependant pas étonnant que des gouvernements comme celui du Myanmar s’efforcent davantage à réprimer les toxicomanes connaissant le peu de moyens dont dispose le pays pour mettre sur pieds de grosses institutions antidrogue (Agence France-Presse, 2021).
En 2018, l’Office des Nations Unies et de hauts-responsables de différents pays membres de l’ASEAN ont tenu une réunion à Nay Pyi Taw, au Myanmar, afin de discuter de la question de la drogue au pays (Nations Unies, 2019). Parmi leurs préoccupations, nous pouvions compter : « l’amélioration de la coopération entre les services répressifs et les normes pour le traitement de la toxicomanie » (Office des Nations Unies, 2019). C’est dans cet ordre d’idées que différents projets de développement alternatifs ont pris forme au Myanmar, notamment durant l’année 2019, dont celui d’un café, le Shan Mountain Coffee (Nations Unies, 2019). L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) a créé un Programme de développement alternatif pour justement aider financièrement les agriculteurs situés dans des régions dont les activités légales ne leur fournissaient pas suffisamment de revenus pour subsister. Nous suivrons néanmoins de près ces initiatives encourageantes et leur durabilité avec le nouveau régime militaire au pouvoir depuis 2021.
Maintenant, différentes statistiques démontrent que la demande d’opium diminue depuis les dernières années. À cet effet, référons-nous à la région du Shan Sud dont les cultures ont baissé de près de 17% (Nations Unies, 2019). Une fois celles-ci combinées, la production totale d’opium y est passée de 550 à 520 tonnes (Nations Unies, 2019). Nous pourrions alors penser que ces retombées soient le fruit de l’instauration des programmes mentionnés ci-haut, mais ces dernières n’y sont malheureusement que pour peu. C’est davantage la réorientation du marché de la drogue qui s’en trouve à l’origine, les Birmans préconisant désormais les drogues synthétiques au détriment de l’héroïne. Parmi elle, le shabu ou métamphétamine, véritable fléau en Asie du Sud-Est (Nations Unies, 2019). Néanmoins, malgré le fait que le marché de la drogue s’affaiblisse difficilement au Myanmar, il est important de souligner les efforts du gouvernement afin de prendre en charge les toxicomanes pour justement remédier au deuxième problème évoqué plus haut par Pierre-Arnaud Chouvy au sujet des politiques antidrogues. En effet, depuis 2006, le traitement à la méthadone s’est beaucoup popularisé au pays, 26 016 dépendants aux drogues injectables ayant affirmé en prendre en 2020 (Tun et al, 2022). D’ailleurs, à la suite d’une étude menée par des chercheurs en santé publique dont Sun Tun et Balasingam Vicknasingam, on révèle que pas moins de 88,6% des utilisateurs de méthadone en étaient satisfaits. Malgré ces résultats assez positifs, les auteurs soutiennent que d’autres dispositions devraient être mises en place pour améliorer le traitement des consommateurs dont « fournir des services auxiliaires tels que le conseil, les services médicaux (réadaptation individuelle), les services psychosociaux (psychothérapie et thérapie de groupe) et soins psychiatriques » (Tun et al, 2022, 7). De 2016 à 2020, il est important d’ajouter que le taux de patients acceptant de subir le traitement de désintoxication a augmenté de 10% (ASEAN, 2020). De plus, selon le rapport de pharmacovigilance de l’ASEAN de 2020, l’ouverture de nombreux centres, cliniques, mais également plusieurs campagnes anti-drogue ont été créés afin de sensibiliser davantage la population birmane, ces dernières comprenant d’ailleurs une visite scolaire au Musée de l’élimination de la drogue (ASEAN, 2020).
Musée de l’élimination de la drogue (Myanmar)
Il reste cependant à espérer que toutes les démarches entreprises par le pays pour réduire l’hégémonie de la drogue sur son territoire ne s’essoufflent pas avec le nouveau gouvernement militaire si l’on se fît à leur collaboration avec les narcotrafiquants évoquée plus haut. Dans cette optique, cette citation du représentant de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime me paraît pertinente : « La drogue et le conflit restent inséparables en Birmanie, l’une nourrissant l’autre. Le chaos et l’instabilité œuvrent en faveur des trafiquants. » (Staff, 2022).
Bibliographie
Agence France-Presse. 2021. « La moitié de la population sous le seuil de la pauvreté dès 2022 au Myanmar ». Le Devoir, 1(1) : 1. https://www.ledevoir.com/monde/asie/599916/la-moitie-de-la-population-sous-le-seuil-de-la-pauvrete-des-2022-au-myanmar
Achaume, Sébastien. s.d.. « En Birmanie, l’armée est au cœur du trafic de drogue ». Info Birmanie, 1(1) : 1. http://www.info-birmanie.org/en-birmanie-larmee-est-au-coeur-du-trafic-de-drogue/
ASEAN. 2020. ASEAN DRUG-MONITORING REPORT. ASEAN. https://asean.org/wp-content/uploads/2022/03/ADM-Report-2020_2021Nov02.pdf
Chouvy, Pierre-Arnaud. 2003. « Géopolitique des drogues illicites en Asie ». Hérodote, 2(109) : 163-189. https://www.cairn.info/revue-herodote-2003-2-page-163.htm
Labrousse, Alain. 2003. « DROGUES ET CONFLITS : ÉLÉMENTS POUR UNE MODÉLISATION ». SciencesPo : Les Presses, 2(26) : 141-156. https://www.cairn.info/revue-autrepart-2003-2-page-141.htm#:~:text=La%20drogue%20comme%20facteur%20de,m%C3%AAmes%20modalit%C3%A9s%20que%20les%20insurg%C3%A9s.
Meryerfeld, Bruno. 2013. « La mort du « parrain de l’héroïne » en Birmanie ». Le Monde, 1(1) : 1. https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2013/07/10/la-mort-du-parrain-de-l-heroine-en-birmanie_3445749_3216.html
Nations Unies. 2019. « Lancement d’un projet de café issu développement alternatif au Myanmar soutenu par l’ONUDC au Parlement français ». Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, 1(1) : 1. https://www.unodc.org/unodc/fr/frontpage/2019/March/unodc-supported-alternative-development-coffee-from-myanmar-launched-in-french-parliament.html
Nations Unies. 2019. « La culture de l’opium au Myanmar continue de baisser à mesure que le marché régional de la drogue évolue: le rapport de l’ONUDC ». Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, 1(1) : 1. https://www.unodc.org/unodc/fr/frontpage/2019/January/la-culture-de-lopium-au-myanmar-continue-de-baisser–mesure-que-le-march-rgional-de-la-drogue-volue-_-le-rapport-de-lonudc.html
Neumann, Laurent. 2022. « LE CANNABIS DÉSORMAIS AUTORISÉ EN THAÏLANDE: POURQUOI UNE TELLE BASCULE ». BFM, 1(1) : 1. https://rmc.bfmtv.com/actualites/international/le-cannabis-desormais-autorise-en-thailande-d-une-interdiction-tres-reprimee-a-la-depenalisation_AV-202207150221.html
Staff, Reuters. 2022. « Le trafic de drogue se nourrit du chaos birman, déclare l’Onu ». Reuters, 1(1) : 1. https://www.reuters.com/article/birmanie-politique-drogue-idFRKBN2K62XJ
Tun, Sun ; Vicknasingam, Balasingam ; Singh, Darshan et Wai, Nyunt. 2022. “Client satisfaction to methadone maintenance treatment program in Myanmar”. Substance Abuse Treatment, Prevention and Policy, 17(2) : 1-10. https://substanceabusepolicy.biomedcentral.com/articles/10.1186/s13011-021-00429-z
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