Par Laurianne Bossé
De 1961 à 1971, au cours de la Guerre du Vietnam, plus de 20,2 millions de gallons de défoliants militaires ont été déversés sur les forêts du Vietnam du Sud. (Stellman, 2018: 726) L’un de ces produits est le, malheureusement, célèbre agent Orange. Les conséquences de ce composé chimique, nommé ainsi dû aux bandes orange peintes sur les barils qui le contenaient, ne sont toujours pas claires aujourd’hui.
L’usage même de ce genre d’herbicides en temps de guerre est source de débats depuis de nombreuses années. L’agent Orange, développé par les États-Unis au cours de la guerre du Vietnam, fut utilisé à plusieurs fins. En fait, seuls 9% de l’usage de défoliants étaient destinés à la destruction des récoltes ennemies. (Stellman, 2018: 726) Une part des pesticides fut déversée sur les alentours des bases militaires ennemies, mais la majorité de ces substances a plutôt servi à la destruction des forêts du Vietnam du Sud. L’armée américaine cherchait principalement à éliminer le couvert des troupes nord-vietnamiennes et, ainsi, en faire des cibles plus faciles à atteindre. (Stellman, 2018)
À l’origine, les premières contestations de l’usage de l’agent Orange ont surgi aux États-Unis, principalement pour des raisons environnementales. Ce n’est que suite à la pétition de l’Association américaine pour l’avancement de la science en 1967 que la Maison-Blanche demanda une étude sur les conséquences du produit. Suite à celle-ci, il fut déduit que l’agent Orange contenait un composé chimique hautement toxique pour l’homme, le TCDD, et que l’usage de tous les produits en contenant était suspendu pour les opérations militaires. (Young, 2011)
Ce n’est cependant pas seulement la végétation qui fut contaminée par l’agent Orange au cours de la guerre. Le TCDD étant assez résistant dans les tissus humains, ses effets sur la santé humaine sont non négligeables. Contrairement aux soldats américains qui, de manière générale, ne restaient au Vietnam que pour un an et qui se nourrissaient exclusivement de nourriture fournie par l’armée américaine, la population locale vivait principalement en région rurale, portait des sandales ouvertes ou travaillait sans souliers dans les champs et s’alimentait avec des produits ayant poussé en sols contaminés. (Schecter, 1995) Les sources d’eau potable étaient contaminées également, ainsi, la population vietnamienne s’est trouvée à ingérer certaines quantités de TCDD, une exposition dont les conséquences sont encore plutôt méconnues.
En fait, contrairement à la croyance populaire, le risque d’intoxication au TCDD contenu dans l’agent Orange semble être très faible. Selon des études récentes, même si les troupes terrestres entraient en territoire aspergé, près de 90% des toxines étaient arrêtés par le feuillage des forêts et ensuite détruits par photodégradation, donc par la lumière. Ainsi, les chances étaient très faibles pour les soldats d’être contaminées par le produit, même si cela ne tient pas compte de la contamination par consommation.
En effet, il fut remarqué que les taux de TCDD présent dans les tissus de civils vietnamiens ayant vécu dans des régions aspergées du sud du pays étaient plus élevés que ceux dans les tissus de personnes vivant dans les régions du nord qui ne furent pas aspergées. (Schecter, 1995) Ainsi, il semblerait qu’au moins une partie de la population fut effectivement contaminée par l’agent Orange.
Or, l’idée que les soldats et la population n’avaient que peu de chances d’être contaminés et que le produit en tant que tel était supposément sécuritaire a eu comme conséquence que très peu d’études ont été menées quant aux réels effets à long terme de l’agent Orange sur la santé de ceux qui y ont été exposés. Le produit serait potentiellement associé à l’augmentation des taux de malformations de naissance au Vietnam, mais ces théories restent encore à confirmer. Certaines études furent menées sur les soldats coréens ayant servi au cours de la guerre et l’exposition à l’agent Orange pourrait être reliée à l’augmentation des risques de contracter certaines maladies, notamment le diabète, la maladie de Parkinson et la maladie de Hodgkin. (Stellman, 2018) Les vétérans de ce conflit étant désormais à l’âge de la manifestation de maladies chroniques, il est actuellement temps de mener certaines études épidémiologiques afin de vérifier, une fois pour toutes, qu’elles sont les effets d’une exposition à l’agent Orange.
Heureusement, l’usage de ce type de produits est désormais proscrit, ainsi ne risque-t-on pas de condamner une autre génération à de potentielles conséquences graves sur sa santé. Reste cependant à voir si, à rebours, on ne constatera pas qu’en réalité, l’agent Orange aura causé plus de dommages qu’on ne l’imaginait à l’époque.
Bibliographie :
Schecter, A. et autres (1995) « Agent Orange and the Vietnamese: the persistence of elevated dioxin levels in human tissues. » American Journal of Public Health 85,4: 516-22.
Stellman, J. M. et Stellman, S. D. (2018) « Agent Orange During the Vietnam War: The Lingering Issue of Its Civilian and Military Health Impact. » American Journal of Public Health 108,6: 726–28.
Young, A.L. USAF (Ret.), Paul F. Cecil, Sr., USAF (Ret.) (2011) « Agent Orange Exposure and Attributed Health Effects in Vietnam Veterans » Military Medicine 176,7: 29–34.