Les Philippines : un terrain d’activité terroriste émergent pour Daech.

Par Agathe Beny 

La question terroriste est au cœur de beaucoup d’enjeux ces vingt dernières années. Évidemment omniprésente au Moyen-Orient et très médiatisée dans les pays occidentaux, elle est moins abordée en Asie du Sud-Est. Pour autant, l’extrémisme islamiste s’est implanté dans plusieurs pays de la région et notamment aux Philippines. En parallèle, le groupe extrémiste Daech, ou l’État islamique, se voit militairement inférieur face à la coalition internationale et perd du terrain au Moyen-Orient. Cet article vise à comprendre les différentes dynamiques des groupes terroristes implantés aux Philippines, le lien avec l’État islamique et les conséquences de cette collaboration.

Groupe Abou Sayyaf (© AFP )

Conflit religieux : développement multiculturel du pays 

Après plusieurs siècles de domination espagnole aux Philippines, le catholicisme est devenu la religion dominante, bien que d’autres courants religieux subsistent au sein des populations indigènes. De plus, une importante communauté musulmane d’environ 5 millions (Ribau, 2015) se trouve principalement dans le sud du pays, sur l’île de Mindanao.

L’islam s’est répandu aux Philippines par le biais du commerce. Bien avant l’arrivée des puissances coloniales, la région est approchée par les marchands étrangers venus du monde arabe. Expliquées par la présence d’épices, mais aussi de matériau précieux dans la région, les Philippines se sont retrouvées au cœur d’une route commerciale, qui reliait la péninsule arabique à l’Asie centrale, l’Inde et la Chine (Watson Andaya, 2021). Cette présence a influencé la conversion de certaines populations locales à l’islam (Auvray, 2004). 

Environnement intérieur propice :

Carte Philippines – Ile Mindanao ( © L’Express)

L’incohérence politique interne, qui varie entre démocratie et dictature et la multiplicité des ethnies présentes sur le territoire, contribue à diviser la population. Les groupes musulmans se sentent marginalisés par un État majoritairement chrétien. Cette sensation d’exclusion les a souvent poussés à revendiquer une plus grande autonomie, voire l’indépendance dans certaines régions, comme l’île de Mindanao (Bonnet, Luquin, 2023). Dans ce sens, la population musulmane de l’île rejette les idées nationalistes et identitaires d’un État philippin. Les différents groupes indépendantistes comme le Front de Libération Nationale Moro (MNLF) ou le Front de Libération Islamique Moro (MILF) s’unifient sur la création d’une identité musulmane commune. Plusieurs affrontements avec l’armée amènent à la signature de plusieurs accords, qui rendent notamment l’île de Mindanao plus autonome (The Guardian, 2019). Pour autant,les tensions ne s’apaisent pas. L’absence du contrôle gouvernemental encourage le développement de problèmes économiques et de corruption dans la région. Selon leurs chiffres de l’OXFAM la pauvreté affecte gravement la communauté musulmane, 70 % des familles vivent sous le seuil de pauvreté. Cette extrême précarité incite des jeunes à intégrer des groupes terroristes en échange d’une compensation financière. Les nombreux affrontements entre ces groupes et les forces armées gouvernementales contribuent à un climat de tension où la violence et l’utilisation des armes sont monnaie courante (Auvray, 2021). Dans ce contexte, des groupes extrémistes et plus violents émergent, notamment le groupe Abou Sayyaf dans les années 90. La religion est alors utilisée à des fins politiques, entraînant une forte radicalisation. Les actions terroristes sont violentes, plusieurs assassinats, des prises d’otages ou encore des décapitations (Singh, 2019). Ces derniers ne lâchent pas leurs revendications et entretiennent des liens proches avec d’autres groupes extrémistes transnationaux, notamment le groupe Daech. La réponse du gouvernement est également brutale, ne permettant pas un apaisement des tensions. Les nouvelles mesures, notamment la loi antiterroriste, sont jugées par Amnesty International « de dangereuse », permettant des « violations généralisées et systématiques » des droits de l’Homme dans le pays.

Émergence et développement de Daech

Groupe Abou Sayyaf avec le drapeau noir, signe de Daech (© The Secretariat of the World Congress against Extremism and Takfiri Movements)

Nous le savons, Daech a émergé en Irak dans un environnement politiquement instable, visant à unir les musulmans dans un califat mondial (Guidère, 2015). Ce groupe est connu pour ses actions très violentes et sa campagne de radicalisation à l’échelle internationale, utilisant la propagande en ligne pour influencer mondialement. En 2017, des groupes aux Philippines, y compris Abou Sayyaf, ont déclaré leurs soutiens à Daech, symbolisé par le drapeau noir hissé à Marawi. Prêter allégeance à Daech revient à passer un contrat moral à caractère simplement déclaratoire, il faut bien comprendre que cela consiste à adhérer à la doctrine du groupe sans aucune condition ni instruction particulières. Soutenir Daech signifie adhérer à ses principes sans condition spécifique, et bien que Daech puisse offrir des combattants et une formation, les groupes affiliés définissent leurs propres objectifs selon leur région et la direction locale. (Aljuhan, 2021) Bien que les attaques occidentales aient affaibli Daech militairement et territorialement, son idéologie persiste et se propage, les Philippines devenant un nouveau centre d’influence. (Arefi, 2021)

 

Bibliographie :

Andaya, Barbara Watson. 2021. « Religion and Commerce in Southeast Asia ». In Oxford Research Encyclopedia of Asian History. https://doi.org/10.1093/acrefore/9780190277727.013.545

Arefi, Armin et Alain Dieckhoff. 2020.« Le monde en 2030 – Le Moyen-Orient connaîtra-t-il la paix ? » Science Po : Centre de recherches internationales, 10 février 2020. http://sciencespo.fr/ceri/fr/content/le-monde-en-2030-le-moyen-orient-connaitra-t-il-la-paix.

Auvray, Stéphane. 2004. « Musulmans ou moros Au sud des Philippines ». Outre-Terre 6 (1): 187-97. https://doi.org/10.3917/oute.006.0187.

Bonnet, François-Xavier, et Elisabeth Luquin. 2023. « Philippines : Le retour du clan Marcos ». In L’Asie du Sud-Est 2023 : bilan, enjeux et perspectives, édité par Gabriel Facal et Jérôme Samuel, 294-319. Asie du Sud-Est. Bangkok: Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine. https://doi.org/10.4000/books.irasec.6811.

Fonbuena, Carmela. 2019. « Philippines: Muslims Vote in Referendum on Autonomous Region ». The Guardian, 21 janvier 2019. https://www.theguardian.com/world/2019/jan/21/philippines-muslims-vote-in-referendum-on-new-autonomous-region.

Guidère, Mathieu. 2015. « Daech ou le Califat pour tous ». Outre-Terre 44 (3): 149-60. https://doi.org/10.3917/oute1.044.0149.

« Philippines | Oxfam International ». s. d. Consulté le 21 novembre 2023. https://www.oxfam.org/fr/decouvrir/pays/philippines.

« Philippines. Une dangereuse loi antiterroriste constitue un nouveau revers pour les droits humains ». Amnesty International. 3 juillet 2020. https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2020/07/philippines-dangerous-antiterror-law-yet-another-setback-for-human-rights/.

Ribau, Patrick. 2015. « Répartition des musulmans dans le monde ». La Pensée 384 (4): 121-25. https://doi.org/10.3917/lp.384.0121.

Singh, Bilveer, et Jasminder Singh. 2019. « From “Bandit” to “Amir”—The Rise of the Abu Sayyaf Group as a Jihadi Organization in the Philippines ». Asian Politics & Policy 11 (3): 399-416. https://doi.org/10.1111/aspp.12480.

Wurfel, David. 2001. « Les Philippines : une démocratie hésitante dans le contexte international ». Revue internationale de politique comparée 8 (3): 501-17. https://doi.org/10.3917/ripc.083.0501.

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