La diaspora Cham au Cambodge : une culture sous influence

Par Sovanndanny Khuth

Victime d’un régime totalitaire au cours des années 70, le Cambodge se cicatrise lentement. En arrière-plan, sa communauté musulmane, les Cham, résiste au déclin de sa culture distincte. Par ailleurs, elle réussit à attirer le soutien international islamique. Cette rédaction vise à mettre de l’avant l’historique de l’implication internationale à l’égard de la minorité musulmane au Cambodge, en plus d’en analyser les défis contemporains.

Bref historique des Cham sous le régime Khmer Rouge

Bien que sa population soit majoritairement bouddhiste, le Cambodge représente le foyer d’une importante communauté musulmane, en particulier les Cham. Descendants du royaume de Champa, ces derniers migrent vers le Cambodge entre le 13e et le 19e siècle (Killean, 2018). Ils entretiennent des relations plutôt harmonieuses avec la majorité cambodgienne bouddhiste. La communauté cham apparait parmi les victimes des atrocités liées au régime des Khmers Rouges. Rappelons qu’en avril 1975, un coup d’État place au pouvoir un régime de terreur administré sous Pol Pot. Les Cambodgiens sont exilés vers les banlieues, afin d’y être soumis à des travaux forcés. La surcharge de travail, la famine et les exécutions de masse condamnent près de 1.7 millions de personnes (Killean, 2018). L’objectif du régime des Khmers Rouges vise à créer une société utopique sans classes sociales et autosuffisante au travail agricole. N’importe quelle forme d’opposition représente l’ennemi du Parti communiste. En raison de leurs différences culturelles, les Cham symbolisent une opposition aux yeux des Khmer Rouges. En fait, la diaspora cham se distingue par une culture singulière, notamment leur langue d’origine austro-asiatique et leur religion fidèle à l’Islam. Cette communauté minoritaire se dissocie de la mémoire collective cambodgienne populaire qu’est le royaume d’Angkor, en raison de leur ancêtre distinct, le royaume de Champa. Assujettis au régime autoritaire des Khmers Rouges, les Cham sont contraints de renoncer à leurs pratiques religieuses. La prière musulmane, la viande halal ainsi que l’expression vestimentaire sont abolies. De plus, toute personnification de l’Islam ou autre chef islamique, dont les Imams, les mosquées et les ressources littéraires sont éliminées (Killean, 2018). Le choc culturel rend le respect du nouveau mode de vie particulièrement difficile pour les Cham. Leur réticence leur vaut l’étiquette officielle de « traites du Kampuchéa démocratique ». Vers la fin des années 1977, les Cham sont massivement déportés vers les zones d’extermination (Bruckmayr, 2017). Au final, le régime Khmer Rouge affaiblit non seulement son effectif, mais également l’éducation de sa jeunesse et par le fait même, la préservation de sa culture distincte.

Repartir à zéro

À la chute du régime des Khmers Rouges, le nouveau gouvernement qu’est la République populaire du Kampuchéa (RPK) autorise à nouveau les pratiques religieuses. Alors que les Cham retrouvent leur liberté religieuse, l’absence de mosquées et de livres religieux freinent leur processus de reconstruction. Pour ces raisons, la communauté cham requiert l’aide de la communauté internationale islamique. Le processus s’avère complexe en raison du manque de confiance de la Banque Islamique de Développement (BID) envers le gouvernement de la RPK. À priori, la BID décide d’aider les réfugiés chams situés en Thaïlande et en Malaisie. Le Cambodge réussit tout de même à recueillir des dons du BID pour du matériel scolaire et pour reconstruire des mosquées. Néanmoins, l’aide internationale demeure limitée jusqu’à la fin des années 1980 (Bruckmayr, 2017). Ce n’est qu’en 1993 que l’Islam prend un nouveau visage au Cambodge. En raison de la tenue d’élections législatives au Cambodge orchestrées par l’Organisation des Nations unies (ONU), de nombreuses organisations internationales islamiques non gouvernementales provenant des pays arabes et de la Malaisie offrent leur assistance quant au développement de l’Islam au pays. Ces processus de paix et de réconciliation favorisent le retour de plusieurs réfugiés chams au Cambodge. Toutefois, l’émergence de nouvelles idées et de mouvements religieux du Golfe, de l’Inde et de la Malaisie amènent des nouveaux courants de l’Islam au Cambodge. En somme, la création de la Fondation cambodgienne pour le développement des musulmans, l’implication de nouveaux acteurs étatiques comme le Koweït, la Société de la reconnaissance du patrimoine islamique (RIHS) et les organisations saoudiennes permettent la préservation de l’Islam sur le territoire cambodgien. En parallèle, l’amélioration des relations entre la Malaisie et les Cham avantage spécifiquement la reconstruction de la culture cham (Bruckmayr, 2017).

Les enjeux des contributions internationales

Cette présence internationale est motivée par deux facteurs principaux, notamment « la nécessité de reconstruire l’identité de la communauté islamique après une période troublée passée ainsi que le désir des jeunes Cham de renforcer leur lien avec la communauté islamique internationale » (Sabeone, 2017). Spécifions que l’Islam et les Cham ne constituent pas des synonymes. C’est pourquoi les contributions de la communauté internationale pour le développement de l’Islam au Cambodge soulèvent des enjeux importants sur la préservation de la culture Cham. Les nouvelles mosquées islamiques remplacent les traditionnelles mosquées-pagodes antérieure au régime Pol Pol. De plus, la nouvelle génération cham adopte des choix vestimentaires influencés par la communauté islamique internationale (comme le port du jilbab et du purdah noir) (Bruckmayr, 2017). L’influence des contributeurs internationaux affecte les relations des différentes communautés musulmanes au pays, plus particulièrement entre les traditionnalistes et les modernistes. À ceci s’ajoute la rivalité entre les milieux urbains et ruraux, un sentiment de redevance aux contributeurs internationaux et une perte d’influence cham au Parlement (Bruckmayr, 2017). Ce nouveau climat de tensions entre les diverses communautés et ces récentes formes de démonstration religieuse témoignent de l’influence externe grandissante sur la communauté musulmane au Cambodge. L’abolition des croyances religieuses durant le régime Khmer Rouge crée un vide important pour la culture cham. Pour cette raison, celle-ci se retrouve dans une situation de vulnérabilité quant à la pression de la communauté internationale islamique. Cela dit, l’absence de leaders islamiques et de littérature cham suscitent une avidité auprès de sa nouvelle génération d’entretenir des liens avec la communauté internationale islamique. La fragilité de leur culture se repose donc sur leur religion distincte des autres cambodgiens. La reconstruction de la mémoire collective cham demeure possible en raison de la considération et du soutien international.

En bref, cette vulnérabilité des Cham amène son lot de défis contemporains. La précarité économique du Cambodge le rend dépendant à l’aide internationale (BNP PARIBAS, 2022). D’ailleurs, cette dépendance économique peut accroître le sentiment de redevance envers les acteurs impliqués. Que ce soit les investissements de la Chine ou des Émirats arabes unis, ces influences étrangères peuvent affecter les différentes cultures cambodgiennes. En ce qui a trait de la culture cham, il est intéressant d’analyser le jeu de pouvoir auquel les acteurs extérieurs participent. Le territoire cambodgien devient-il vulnérable aux guerres de proxy en raison des influences extérieures divergentes ?

Bibliographie

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Killean Rachel, Hickey R., Moffet L. et Viejo-Rose D. (2018) Cham Culture & History Story of Cambodia. Phnom Penh : Documentation Center of Cambodia. 47 pages. https://www.academia.edu/44253117/CHAM_CULTURE_and_HISTORY_STORY_OF_CAMBODIA

Sabeone, Federico (2017) Islam in Cambdia : The fate of the Cham Muslims. E-U Asia at a Glance. European Institute for Asian Studies. En ligne. https://www.eias.org/wp-content/uploads/2016/03/EU_Asia_at_a_Glance_Sabeone_Cham_Cambodia_2017-1.pdf. (Consulté le 28 octobre 2022)

TED-Ed (2022) Ugly History : The Khmer Rouge murders – Timothy Williams. Youtube. En ligne. https://www.youtube.com/watch?v=8_TYFfkc_1U (Consulté le 28 octobre 2022)

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