Première nation des Philippines, les Aetas

Par Taibou Diallo

Par ignorance, le continent asiatique est souvent stigmatisé par l’image d’une population ethnique homogène. Pourtant, l’Asie du Sud-Est est caractérisée par de nombreux pays avec des populations aux multiples origines ethniques. À cette image, la diversité ethnique est une facette incontournable du peuple philippin.  En effet, Les Philippines regroupent de nombreux groupes ethnolinguistiques avec plus de 110 groupes indigènes différents (McHenry, Anwar-McHenry, Balilla et Parkinson 2013). L’intégration est le défi principal des peuples indigènes. Or, dans la majorité des cas, ces peuples indigènes sont les premiers habitants des pays où ils sont marginalisés. Les Aetas, premiers habitants des Philippines, incarnent ce paradoxe. Comment expliquer leur exclusion alors même qu’ils constituent les Premières Nations des Philippines ?

Une minorité indigène qui diffère considérablement du reste de la population.

Des membres de la communauté Aetas
Source: Quora, 2021

Quelle surprise de « découvrir » les Aetas, minorité et premiers habitants des Philippines, qui contrastent avec l’idée type du Philippin. Les Aetas sont un peuple à la peau noire, les cheveux bouclés et crépus et de petite taille (Philippine History). Aux Philippines, dans le langage commun, on utilise l’appellation « Negritos» pour faire référence aux Aetas, soit les petits noirs quand on traduit de l’espagnol. Les Aetas contrastent significativement d’autres groupes ethniques philippins, à tel point qu’on pourrait les assimiler à une population étrangère immigrée, comme la communauté chinoise. Or, il n’en est rien ! Les Aetas sont les premiers habitants des Philippines.

En effet, les progrès de la recherche en anthropologie ont permis d’identifier l’origine des Aetas (McHenry, Anwar-McHenry, Balilla et Parkinson 2013). Grâce aux recherches scientifiques, les anthropologues ont pu établir que les Aetas sont les premiers habitants des Philippines. Cette contribution scientifique est conséquente pour les Aetas, elle légitime leur identité. Ces preuves objectives permettent d’envisager plus sérieusement leurs droits, notamment ceux concernant leurs terres. La reconnaissance de ces droits est indispensable à leur survie. Les Aetas font partie des populations indigènes qui sont particulièrement attachées à leurs terres ancestrales, elles ont une forte valeur symbolique. D’autre part, leur mode de vie les contraint à exploiter directement les ressources naturelles de ces terres pour leur subsistance. Les Aetas entretiennent leurs traditions par les activités de la chasse et de la cueillette pour subsister (Tindowen 2016). Leurs terres sont leurs richesses, ils dépendent entièrement d’elles.

En plus de faire partie de la minorité, les Aetas se distinguent physiquement du reste de la population. Ils font donc l’objet d’une double discrimination, un fardeau bien difficile à porter, qu’ils trainent depuis maintenant longtemps. Stigmatisés par leur couleur de peau, ils font l’objet d’un certain mépris de la part des populations majoritaires (McHenry, Anwar-McHenry, Balilla et Parkinson 2013) . Par ailleurs, leur isolement géographique n’améliore en rien leur condition. Au contraire, cela alimente l’ignorance et les clichés autour de leur peuple.

Les terres ancestrales des Aetas, source de convoitise

Les terres ancestrales des Aetas sur l’île de Luzon
Source: Université McGill

Cet isolement géographique ne s’est pas fait naturellement. À l’origine, les Aetas demeuraient dans les provinces de Bataan, Zambalas, Pampanga et Tarlac. Ils ont au fur et à mesure été expulsés de ces terres jusqu’à leur location actuelle soit au centre, à l’Est et au sud de Luzon et des iles Visayas (McHenry, Anwar-McHenry, Balilla et Parkinson 2013). Cette délocalisation a particulièrement contribué à leur appauvrissement, ces territoires disposent en effet de moins de ressources et sont beaucoup plus isolés. En plus du manque de ressources, cet isolement géographique les a écartés du développement économique des Philippines (McHenry, Anwar-McHenry, Balilla et Parkinson 2013 ; Tindowen 2016). De ce fait, ils n’ont pas facilement accès aux biens publics tels que l’éducation, ou les biens en santé. Ceux qui se situent non loin des grandes villes se voient dans l’obligation de mendier. Aujourd’hui, le peu de territoires qui leur reste est à nouveau menacé par le développement urbain et une des majorités, les Tagalog (McHenry, Anwar-McHenry, Balilla et Parkinson 2013). Ces derniers souhaitent étendre leurs activités agraires aux territoires des Aetas.

Depuis longtemps maintenant, les Aetas subissent une véritable exclusion sociale. En plus d’être une minorité, leur apparence les marginalise davantage du reste de la population. Cependant, l’élément qui contribue le plus à leur exclusion sociale, économique et culturelle est le fait que leurs intérêts entrent en contradiction avec ceux de la majorité et par-dessus tout, avec le développement économique du pays. Les Aetas sont attachés à leur patrimoine ancestral qui fait partie intégrante de leur identité.

Le gouvernement a bien fini par reconnaitre leurs droits et leurs territoires avec l’acte de 1997 : The Indigenous People Right Act (Tindowen 2016 ; Thompson 1998). Cet acte est censé reconnaitre : leurs domaines ancestraux, leur identité culturelle, leur droit d’autogouvernance et leurs droits humains à travers la justice (Thompson 1998). Cependant, cette loi est loin d’être mise en œuvre ou appliquée. Les procédures d’attribution des terres demeurent un long processus. En 2015, sur 5 millions de demandes de propriété, seulement 180 ont été attribuées. D’autre part, de nombreux investisseurs privés tentent d’arnaquer les communautés avec des titres de propriété fallacieux aux prix dérisoires, alors que les territoires ancestraux ne peuvent être vendus (LaCroix 2015).

Les autorités politiques ont par ailleurs du mal à reconnaitre la valeur des recherches scientifiques, attestant que les Aetas sont les premiers habitants des Philippines (McHenry, Anwar-McHenry, Balilla et Parkinson 2013). Cela serait admettre la légitimité de leurs droits et de leur territoire. La reconnaissance des droits des Aetas, comme pour celles des autres peuples indigènes, dépend entièrement de la bonne volonté des décideurs de politiques. Or l’attention de ces décideurs de politiques dépend fortement de leur bonne volonté, de l’intérêt national et surtout des intérêts économiques. Les minorités ont moins de chance de se faire entendre dans les pays en voie de développement, qui cherchent souvent à s’enrichir par le biais de leurs ressources naturelles. Les Aetas se battent pour la reconnaissance de leurs droits, alors même que la population représentant la majorité se retrouve dans des conditions de pauvreté.

Bibliographie

AFP. 2015. « Philippines: la minorité Aeta contrainte à « squatter » ses terres ancestrales » . La Croix, 12 août En   ligne http://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Philippines-la-minorite-Aeta-contrainte-a-squatter-ses-terres-ancestrales-2015-08-12-1343641. (Page consultée le 10 juin)

McHenry Mark P, Julia Anwar-McHenry,Vincent S. Balilla et Riva Marris Parkinson. 2013. « The Indigenous Aetas of Bataan, Philippines: Extraordinary genetic origins, modern history and land rights ». Singapore Journal of Tropical Geography : November

Spirit of Asia: The Aeta … the Dark Complected People of Luzon. Talentmassmedia, Thai PBS. En ligne. https://www.youtube.com/watch?v=kn9NgqcHIpI (Page consultée le 10 juin)

Tindowen Dain Jan C .  2016. « The Economic Life of the Aetas of Northern Philippines » Khazar Journal of Humanities and Social Sciences Volume 19, Number 4, The First “Filipinos”. Philippine History. Enligne. http://www.philippine-history.org/early-filipinos.htm (page consultée le 11juin)

Thompson, Patricia. 1998. « Philippines Indigenous Peoples Rights Act.(1998 Yearbook) » . Colorado Journal of International Environmental Law and Policy, Fall, 1998, p.179-198

Trip Down Memory Lane. 2012. Aeta People : One of the first African Natives of Asia and the original inhabitants of Philippines. En ligne.  https://kwekudee-tripdownmemorylane.blogspot.ca/2012/10/aeta-people-one-of-first-natives-of.html. (page consultée le 11juin)

Lien pour marque-pages : Permaliens.

Les commentaires sont fermés