Par Hendrina Blais-Rochefort
Washington ne revendique ni territoire ni espace maritime en mer de Chine méridionale. Toutefois, l’issue de la dispute aura des conséquences majeures sur l’avenir des États-Unis en tant que puissance dans la région. Et cet avenir dépend beaucoup de la relation sino-américaine ainsi que des alliances entre les pays d’Asie du Sud-Est et Washington. Ainsi, comment la présidence de Trump à la présidence affectera-t-elle la politique des États-Unis dans la région? Deux scénarios, présentés plus bas, offrent les voies les plus vraisemblables que pourrait prendre le pays au cours des prochains mois. Un premier voudrait que les politiques entamées par Obama persistent, considérant que Trump soit ouvert aux propositions et à l’expérience de son équipe en matière de défense et de sécurité. Un second scénario proposerait, à l’inverse, que Trump ait procédé à l’exécution de ses promesses de campagnes, mettant ainsi en péril l’équilibre économique et sécuritaire fragile de la région. Ces propositions seront expliquées en détail plus loin dans l’article.
« Pivot » vers l’Asie
Sous Obama, les États-Unis ont amorcé une politique de « pivot » vers l’Asie, afin de maintenir la balance des puissances dans la région. De fait, devant l’émergence de la Chine comme nouvelle puissance, Washington se doit de tout faire pour conserver une position dominante en Asie-Pacifique, tout en assurant une croissance paisible et stable de la Chine. Ainsi, la vision du cabinet Obama sur la question au début de son mandat voulait que les États-Unis laissent la Chine croître et gagner en puissance tout en coopérant avec elle sur les intérêts que les deux pays avaient en commun. Toutefois, cette idée n’a pas duré longtemps et en 2011, on annonçait le « pivot ». (Weixing, 2017, p. 66)
En 2012, la Chine devenait la seconde plus grande économie mondiale et aussi le principal partenaire économique de la plupart des pays est-asiatiques, remplaçant les États-Unis qui conservaient cette position de choix depuis plus de vingt ans. Pour tenter de renverser la vapeur, Hilary Clinton, alors Secrétaire d’État, a lancé l’idée du « pivot », qui se voulait à la fois militaire, économique et diplomatique. Cela s’est traduit, dans le cas de la mer de Chine méridionale, en un remaniement du personnel militaire dans la région et en opération de liberté de navigation (FONOPs), ce qui n’a, de toute évidence, pas plu à la Chine (Weixing, 2017, p. 67).
De plus, du point de vue économique de la stratégie, Washington a annoncé la négociation d’un traité de libre-échange dans la région, le Partenariat Transpacifique (TPP), entre douze pays, dont six d’Asie de l’Est. En pleine crise économique, les États-Unis ont vendu le projet comme étant essentiel à la reprise, considérant que les pays d’Asie-Pacifique en plein essor fourniraient un marché de choix pour de nouveaux investissements et pour le commerce en général (Marston, 2017, p. 48). Toutefois, l’élection de novembre dernier a définitivement annoncé un changement autant du point de vue des politiques internes des États-Unis qu’en ce qui concerne ses relations étrangères.
Donald Trump, lors de sa campagne, en a inquiété plus d’un avec sa rhétorique qui démontrait une incompréhension profonde des bases de la diplomatie et des relations internationales. Ainsi, deux scénarios seraient plausibles pour tenter de déterminer comment la situation de la dispute en mer de Chine méridionale se déroulera dans les années à venir. Certains s’entendent pour dire que le statu quo devrait plus ou moins être maintenu, à condition que les experts et conseillers de Trump arrivent à raisonner ce dernier et à la guider vers une continuité des politiques de Washington envers la Chine. D’autres, au contraire, croient que la région d’Asie-Pacifique pourrait devenir de plus en plus instable, le nouveau Président défiant déjà l’ordre établi après seulement six mois en fonction.
Deux scénarios en vue
Dans un premier scénario, la continuité, voire l’amélioration, des politiques enclenchées par Obama seraient fortement encouragées auprès de Trump, à condition de relever quelques défis auparavant. En effet, le Président est entouré d’anciens généraux, dont James Mattis, Secrétaire à la défense, ainsi H.R. McMaster et John Kelly, qui ont eu et pourraient continuer d’avoir un impact sur la manière dont Trump voit les relations étrangères. Ces derniers pourront, si le Président s’ouvre à leur opinion, influencer grandement la direction que prendra l’attitude de Washington face à la mer de Chine méridionale et à l’Asie de l’Est en général. Il serait alors bien surprenant que la stratégie de rebalancement du pivot soit jetée aux ordures pour prendre un ton plus belliqueux (Khong, 2017, p. 24).
De fait, un important think-tank gouvernemental chinois a prédit que même si la stratégie de Trump adopte un autre nom, les bases du rebalancement lancé par Obama devraient être maintenues, et que les alliances forgées depuis plusieurs dizaines d’années allaient être entretenues. De plus, les dépenses militaires dans la région seront probablement augmentées, comme c’est souvent le cas, selon les experts, lorsqu’un gouvernement républicain prend le pouvoir. Ainsi, les FONOPs devraient être maintenues, considérant les enjeux économiques et sécuritaires dans la région et la présence des États-Unis devraient être inchangés (Shepherd et Macfie, 2016).
Toutefois, alors que d’un point de vue de sécurité, l’équipe de Trump a une chance de le convaincre de la nature fallacieuse de ses propos, il pourrait ne pas en être de même pour les questions économiques. De fait, étant un homme d’affaires « accompli », du moins selon sa propre vision des choses, Trump croit connaître tout ce qu’il y a à savoir sur le commerce et l’économie (Khong, 2017, p. 23). Sa vision des choses considère le libre-échange comme un « zero sum game » où les États-Unis semblent toujours perdants. Ainsi, le TPP étant déjà mort et enterré, et le Japon ainsi que Singapour ne désirant pas rouvrir les négociations suite à la nouvelle élection, il serait très peu probable que Trump se lance dans des discussions pour un nouvel accord (Marston, 2017, p. 49-50).
Un ou plusieurs accords économiques seront cependant essentiels pour maintenir la stratégie de rebalancement en Asie-Pacifique, puisque sans cela, la Chine pourra et a déjà commencé à gagner du terrain auprès des nations sud-est asiatiques. Ainsi, pour qu’une continuité soit assurée dans la stratégie de balancement de Washington, non seulement l’aspect militaire devra être poursuivi, mais aussi ceux économiques et diplomatiques. De fait, des relations plus étroites devront être forgées avec des pays émergents, tels que le Vietnam ou l’Indonésie, et Washington devra reformuler ses engagements envers l’ASEAN pour rassurer ses membres de l’implication toujours aussi active des États-Unis dans le futur (Marston, 2017, p. 54). Ce premier scénario dépendra donc de l’habileté de l’entourage de Trump à l’influencer et de sa propre ouverture à s’informer et à considérer de nouvelles options, voire reconnaître que certaines personnes sont mieux qualifiées que lui pour prendre ces décisions.
Un second scénario, à l’inverse du premier, voudrait en fait que Trump n’ait fait qu’à sa tête, sans prendre en compte les conseils de son entourage qualifié, et aient porté à exécution ses promesses de campagne. D’un point de vue économique, cela se traduirait par des mesures plus dures et promouvant le protectionnisme sur les échanges entre les États-Unis et la Chine, qui pourraient réduire de beaucoup les investissements et les exports/imports entre les deux pays. Au bout du compte, cela réduirait les importations provenant des pays sud-est asiatiques vers la Chine et en retarderait la croissance économique. Si la Chine croît moins vite, il en sera de même pour ses voisins du Sud. Une guerre tarifaire n’est donc avantageuse pour personne. De plus, avec l’abandon du TPP par les États-Unis, les États d’Asie du Sud-Est pourraient se rapprocher de la Chine, ce qui les rendrait beaucoup plus dépendants de celle-ci que du premier, et aurait pour résultat de renforcer la position de Beijing dans la région, ce qui serait dramatique pour Washington (Khong, 2017, p. 27-28). La stabilité dans la région de la mer de Chine méridionale et de l’Asie de l’Est en général dépend autant des relations économiques que militaires entretenues entre les pays de la région et les États-Unis. Pour maintenir sa présence et conserver son statut d’hégémon, Washington doit être impliqué économiquement en Asie de l’Est.
Ensuite, si les États-Unis sont incapables de renouveler et consolider les relations déjà existantes, une peur d’abandon pourrait être créée chez les pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est ayant des traités de sécurité avec Washington, tels que le Japon, la Corée du Sud et les Philippines. Dans le cas des deux premiers, même si cette crainte existe, les bases américaines situées sur leur territoire sont trop stratégiquement importantes pour les États-Unis pour que ces derniers les abandonnent complètement en cas de crise. Toutefois, lorsqu’il est question des Philippines, Duterte, élu président il y a presque un an, est beaucoup plus enclin à se rapprocher de la Chine qu’à prendre le pari risqué de se mettre au côté des États-Unis. Cette vision des choses pourrait alors être transférée aux autres plus petits pays de la région, ayant pour résultat, encore une fois, une perte de puissance pour Washington dans la région (Dalpino, 2017, p. 7).
Dans les deux scénarios, des tensions sont inévitables. Dans le premier cas, alors que la stratégie de rebalancement de l’administration Obama inquiétait la Chine et la poussait à sans cesse tester les limites de l’implication des États-Unis en mer de Chine du Sud, poursuivre dans cette lignée serait certainement source d’accrocs et de conflits. Ce serait encore plus coûteux si la Chine décidait de maintenir cette attitude dans la région et de garder un statu quo au lieu d’envisager de se calmer et de réévaluer la situation. Atteindre ces coûts serait toutefois beaucoup trop exigeant pour Washington (Chong, 2017, p. 11) et surtout pour Trump, qui promettait en campagne que la défense des pays du Pacifique ne devrait pas être la seule responsabilité des États-Unis et qui s’était montré plutôt froid à l’idée d’envoyer encore plus de troupes dans la région. Ainsi, Beijing va continuer de mettre à l’épreuve Washington, comme elle le fait depuis quelques dizaines d’années.
Dans le second cas, les dommages seraient beaucoup plus considérables que dans le premier sur la position qu’occupent les États-Unis en Asie-Pacifique. De fait, perdre la confiance des États sud-est asiatiques augmenterait leur dépendance pour la Chine. Ainsi, alors que le but des États-Unis, ultimement, est de contenir cette dernière et de conserver une position de pouvoir avantageuse dans la région, il serait dommageable pour Washington de perdre les alliés qu’il a et pourrait avoir au profit de Beijing. De plus, économiquement parlant, la relation entre ces deux puissances en est une d’interdépendance. Il n’y aura aucun gagnant, contrairement à ce que s’imagine Trump, si la relation économique entre les États-Unis et la Chine frôle une guerre commerciale.
Finalement, aucun des deux scénarios ne représente une situation parfaite pour les États-Unis, mais lorsqu’il est question de mer de Chine méridionale, et surtout du maintien de leur présence et de leur importance dans la région, une est, de toute évidence, beaucoup plus avantageuse que l’autre. Avec le premier scénario, le « pivot » amorcé par Obama verra une continuité et permettra aux États-Unis de maintenir une présence et un poids important dans la région de l’Asie-Pacifique, permettant de freiner dans une certaine mesure et non sans tensions les ambitions de la Chine.
Épilogue
À la lumière de cette série de billets sur la dispute en Mer de Chine méridionale, il est évident que la pluralité d’acteurs impliqués directement ou indirectement rend le conflit très complexe. Ce n’est pas qu’un conflit territorial, mais aussi une rivalité entre puissances, et les enjeux sont grands. L’aboutissement du Code de conduite écrit par l’ASEAN avec la collaboration entière de la Chine constitue la piste de solution la plus probable et la plus viable lorsqu’il est question de la dispute. Toutefois, des tensions sont inévitables, considérant la lutte entre Beijing et Washington pour le contrôle de la région. Il sera donc important de prêter attention aux décisions prises par le Président Trump, qui auront un effet domino sur la situation. Si le pivot est maintenu, les États de l’Asie du Sud-Est seront rassurés et portés à créer ou renforcer leur alliance avec les Américains, ce qui fera perdre en influence la Chine et favorisera la résolution de la dispute au travers des institutions internationales. Sinon, le contraire pourrait vraisemblablement se produire, et ce sont les Chinois qui auront la main haute sur l’issue du conflit. Il s’agit maintenant de voir comment les pièces seront jouée et lequel des deux aura le dernier mot.
Bibliographie
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Iconographie
- (A) En ligne. http://www.lopinion.fr/edition/international/etats-unis-strategie-pivot-l-asie-a-plomb-dans-l-aile-113756
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