Par Hendrina Blais-Rochefort
Lorsqu’il est question de la dispute en mer de Chine méridionale, Beijing est le joueur ayant le plus à gagner, mais aussi le plus à perdre. Dans la situation où d’une part, la Chine se montre de plus en plus agressive face aux autres États revendicateurs, mais de l’autre elle cherche à enfin reprendre la place centrale qu’elle a occupée pendant des siècles en Asie en redevenant l’alliée que tous ses voisins veulent, il y a un dilemme majeur. Quelles possibilités cette puissance montante peut-elle envisager pour mettre fin à son dilemme?
Court historique
Pour commencer, il est important de connaître les grandes lignes des revendications faites par la Chine au fil des années. La ligne à neuf traits que la Chine a dessinée pour illustrer ses frontières maritimes en mer de Chine méridionale est née en 1953, suite à la modification de la ligne à onze traits après avoir laissé le Golf de Tonkin au Vietnam. Cette ligne englobe la grande partie de la région, dont les archipels des îles Paracels et des Spratlys en entier (Buszynski, 2015, p. 6-9). Mais l’intérêt de la Chine pour ces territoires date des années trente, alors que la France et le Japon faisaient irruption sur les Spratlys et les Paracels. Plus tard, après le Conférence de San Francisco et le retrait de ces territoires des mains des Japonais et des autres puissances étrangères, Zhou Enlai, alors ministre des Affaires externes, les a déclarés comme appartenant à la Chine (Buszynski, 2015, p.4-5). Depuis ce temps, tel que présenté dans les articles précédents, la Chine a eu plusieurs accrocs avec les autres États qui réclament eux aussi ces îles, ou une portion de ces îles.
Deux évènements sont particulièrement intéressants lorsqu’il est question du comportement de la Chine en mer de Chine méridionale. D’abord, malgré quelques épisodes de tensions dans le passé, la Chine, jusqu’autour de 2009 (Cheng-Chwee, 2017, p. 167), a toujours été relativement ouverte au compromis et à la discussion avec les autres pays revendicateurs et l’ASEAN. Toutefois, depuis quelques années, elle est de plus en plus ferme sur la question. Comment pouvons-nous expliquer ce changement? Ensuite, alors qu’elle prend cette attitude plus forte sur cette question, elle essaie en même temps d’améliorer ses relations avec ses voisins du Sud-Est. Étant, pour le moment, inflexible sur la question en mer de Chine méridionale, comment croit-elle pouvoir entretenir des relations harmonieuses et fructueuses avec son voisinage?
Différents facteurs à prendre en compte
Pour répondre à la première question, des facteurs internes et externes sont à prendre en compte. Tout d’abord, à l’interne, le Parti communiste chinois est en perpétuelle quête de légitimité face à son peuple. D’abord, la Chine tente de convaincre sa population dès l’enfance que depuis les années -200 des Chinois ont découvert et exploité les ressources et îles en mer de Chine du Sud, et que la seule interruption de leur appartenance à la Chine correspond à l’épisode où des puissances étrangères les ont injustement prises de leurs mains, pour ensuite les récupérer du Japon à la fin de la Seconde Guerre mondiale (Kheng Swe, Hailong et Mingjiang, 2017, p.205). Ainsi, il serait difficile pour eux de perdre la face en acceptant de laisser ces territoires à leurs voisins.
En plus, de nouveaux défis se sont présentés au Parti communiste depuis les années 70, suite à de longues réformes, des inégalités socio-économiques et des tensions au Tibet et au Xinjiang, qui ont eu pour conséquences de mettre en cause la légitimité du Parti. Ainsi, dans un effort pour rester crédible et pour répondre aux attentes de la population de plus en plus nationaliste, Beijing doit se montrer fort et ferme lorsqu’il est question de la mer de Chine méridionale et des territoires qu’elle proclame posséder. Plusieurs spécialistes de la Chine sont en accord avec le fait que la pression venant de l’intérieur du pays pousse le gouvernement à se montrer de plus en plus musclé sur la scène internationale (Cheng-Chwee, 2017 p. 175-176). Ainsi, le Parti communiste chinois récolte ce qu’il sème et doit se montrer cohérent avec le discours qu’il tient depuis plusieurs dizaines d’années.
En ce qui concerne les facteurs externes, quelques-un reviennent souvent, tels que l’importance stratégique du point de vue militaire et économique de la région. Toutefois, cela n’explique pas complètement la raison pour laquelle la Chine a pris une position plus ferme, voire agressive depuis 2009. En 2008, les États-Unis ont connu une grave crise économique qui a momentanément mis en cause leur position comme puissance hégémonique dans l’ordre international. La Chine, puissance émergente, a donc cru que c’était maintenant à son tour de devenir le joueur principal de la région Asie-Pacifique (Cheng-Chwee, 2017, p. 167). Toutefois, les États-Unis se sont relevés, et ont, de surcroît, annoncé en 2011 leur « pivot » vers l’Asie.
Loin d’être charmée par cette nouvelle stratégie de la part des Américains, Beijing a compris ce changement comme une façon d’isoler la Chine et de poursuivre leur stratégie de rebalancement dans la région qui en est une, de fait, pour contenir la Chine, d’une certaine manière. Par exemple, le Partenariat Trans-Pacifique en est un qui regroupe plusieurs pays d’Asie et d’Asie du Sud-Est, en plus de pays des Amériques, mais exclut la Chine. Ainsi, le TPP est perçu par Beijing comme un accord économique majeur qui aurait pour but de freiner la croissance économique de la Chine (Weixing, 2017, p.68-69). Ajoutez à cela les missions américaines pour assurer la liberté de navigation dans la mer de Chine méridionale et l’on obtient une source d’inquiétude de la part de la Chine, ce qui crée un dilemme de sécurité (1).La Chine, devant les pressions exercées sur le Parti communiste pour conserver sa légitimité et celles ressenties par les États-Unis qui s’imposent dans la région, prend donc une position plus campée, plus affirmée et plus menaçante en mer de Chine du Sud.
One Belt One Road, ou plus d’intégration en Asie de l’Est
Toutefois, un second problème naît d’une nouvelle attitude adoptée par la Chine. En effet, Xi Jinping, en 2013, a annoncé devant le Politburo qu’il était hors de question pour Beijing de laisser tomber ses droits souverains sur les territoires terrestres et maritimes en Mer de Chine méridionale, et qu’en même temps, la Chine travaillerait pour assurer un développement stable et paisible de la région en se rapprochant de ses voisins du Sud-Est – dont quatre sont impliqués directement dans la dispute- (Zhang, 2015, p. 73). Il y a donc dilemme.
La relation que la Chine entretient avec les autres pays revendicateurs a été discutée dans les billets précédents, et une tendance vers un rapprochement avec les États-Unis pour assurer un rebalancement de la région peut être observée pour la majorité d’entre eux. Ainsi, comment Beijing pense-t-elle pouvoir inverser le mouvement en sa faveur? En 2013, Xi Jinping a annoncé une nouvelle initiative économique pour améliorer ses relations avec les autres pays d’Asie et encourager le développement stable de la région combinant la « Silk Road Economic Belt » et la « Twenty-First Century Maritime Silk Road », donc le plan « One Belt, one road » (Nie, 2016, p. 423).
En réalisant ce plan, Beijing s’assure l’accès à plusieurs marchés à proximité, diminuant sa dépendance pour le commerce avec les États-Unis, mais aussi réduisant ce même besoin chez d’autres pays d’Asie du Sud-Est, et ainsi devenir la puissance économique centrale de la région (Cheng-Chwee, 2017, p.180). La dispute en mer de Chine méridionale vient toutefois compromettre cette possibilité, malgré la promesse d’un Code de Conduite faite en 2002, COC qui n’avance que très lentement.
Dilemme à suivre
La Chine devra donc faire un choix dans ses priorités, car il y a incohérence dans son plan. Vouloir se faire des amis dans la région et prendre la place des États-Unis comme puissance régionale tout en adoptant une posture de plus en plus rigide et ferme sur la question de la mer de Chine méridionale en construisant des complexes militaires sur des îles artificielles n’est pas tout à fait viable. Ainsi, deux options pourraient être envisagées. Beijing pourrait décider de prioriser ses relations avec les autres États d’Asie du Sud-Est et participer activement à la rédaction d’un Code de Conduite qui serait sinon vague, au moins minimalement satisfaisant pour les autres membres de l’ASEAN, mais le Parti communiste se placerait devant le risque de perdre sa légitimité face à la population qui verrait cela comme une preuve de faiblesse.
Un autre pari plus risqué, mais peut-être plus avantageux constitue une seconde option. La Chine pourrait maintenir sa position sur la mer de Chine, et plutôt compter sur le fait que le nouveau Président des États-Unis, Donald Trump, néglige ses relations avec l’Asie de l’Est et finisse par lui-même de détruire la place de son pays dans la région. De cette façon, si l’on veut être réaliste, les autres pays, plus petits et plus faibles devront nécessairement trouver une nouvelle puissance pour assurer leur prospérité économique et leur défense. Et c’est là que la Chine recueille les fruits de sa patience. Cette idée peut sembler un peu tirée par les cheveux, mais considérant l’imprévisibilité de Trump, ce ne serait pas impossible. Le premier scénario, soit celui qui propose que la Chine participe plus activement à un Code de Conduite, reste probablement celui qui réussira à assurer un minimum de stabilité dans la région, mais ce serait peu probable que Beijing prenne le risque de perdre sa légitimité, et face aux pressions internes et externes qu’il subit, le dilemme n’est pas près d’être réglé.
(1) Le dilemme de sécurité est un concept réaliste en relations internationales qui veut qu’un État augmente ses capacités militaires et s’arme de plus en plus pour garantir sa sécurité, créant ainsi de l’insécurité chez ses voisins, qui le perçoivent comme une menace, et qui vont eux aussi accroître leur arsenal militaire et ainsi de suite.
Bibliographie
Buszynski, Leszek et Roberts, Christopher B. 2015. The South China Sea maritime dispute : political, legal, and regional perspectives. New York : Routledge.
Cheng-Chwee, Kuik. 2017. «Explaining the Contradiction in China’s South China Sea Policy : Structural Drivers and Domestic Imperatives», China : An International Journal, Vol 15, No 1, pp 187-213. [En ligne]. http://muse.jhu.edu/article/650105/pdf
Kheng Swe, Lim, Hailong, Ju et Mingjiang, Li. 2017. «China’s Revisionist Aspirations in Southeast Asia and the Curse of the South China Sea», China : An International Journal, Vol 15, No 1, pp 187-213. [En ligne]. http://muse.jhu.edu/article/650106/pdf
Nie, Wenjuan. 2016. «Xi Jinping’s Foreign Policy Dilemma : One Belt, One Road or the South China Sea ?», Contemporary Southeast Asia : A Journal of International and Strategic Affairs, Vol 38, No 3, pp 422-444. [En ligne]. http://muse.jhu.edu/article/647378/pdf
Weixing, Hu. 2017. «China and the United States in the Asia-Pacific : Towards a New Model or New Normal of Major Power Relations ?», China : An International Journal, Vol 15, No 1, pp 187-213. [En ligne]. http://muse.jhu.edu/article/650100/pdf
Zhang, Jian dans Buszynski, Leszek et Roberts, Christopher B. 2015. The South China Sea maritime dispute : political, legal, and regional perspectives. New York : Routledge.
Iconographie
(A) En ligne. http://www.bbc.co.uk/news/world-asia-pacific-13748349
(B) En ligne. http://french.china.org.cn/china/txt/2014-12/03/content_34216423.htm
(C) En ligne. http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2015/07/31/pekin-etend-son-influence-en-mer-de-chine-avec-des-iles-artificielles/
(D) En ligne. http://www.livemint.com/Politics/MSCU2wKn8KiBToSHbllmdP/Chinas-Xi-Jinping-confident-in-future-of-new-OBOR-effort.html(
E) En ligne. http://www.bbc.com/news/world-us-canada-39517569