Tensions et défis en mer de Chine méridionale: La Malaisie, un joueur différent des autres

Par Hendrina Blais-Rochefort

Alors que le Vietnam et les Philippines ont toujours été plus vocaux lorsqu’il était question de la dispute en mer de Chine méridionale, la Malaisie, un autre état revendicateur, a plutôt choisi de jouer la carte de la discrétion. De fait, cette dernière ayant des relations très serrées avec la Chine, des facteurs différents sont à prendre en compte. En quoi la Malaisie est-elle différente des autres États impliqués dans la dispute, et quelles sont les perspectives pour l’avenir dans son cas?

La Malaisie a fait son entrée dans la dispute vers 1978, après avoir publié une carte délimitant le territoire malaisien dans la zone maritime de Sarawak et de Sabah, sans toutefois en donner les coordonnées exactes, et réclamant ainsi le plateau continental de cette zone. Plus tard, en 1984, elle a annoncé les limites de sa zone économique exclusive (ZEE), encore une fois sans en donner les coordonnées ou proposer sa ligne de base. L’année précédente, la Malaisie a transformé Terembu Layang Layang en zone touristique et a occupé cinq des onze endroits qu’elle réclame (Buszynski, 2015, p.9-10). Le danger pour elle réside dans le fait que la ligne à neuf traits qui englobe les réclamations de la Chine couvre 80%  de la ZEE de la Malaisie. Ainsi, le jugement publié par la Cour d’arbitrage internationale en juillet 2016, qui rejette cette ligne, présente de nouveaux défis pour la Malaisie, qui se voit confirmer son droit à sa ZEE, mais qui, en même temps, dépend de la Chine au niveau économique (Parameswaran, 2016, p. 375-376). Ainsi, trois facteurs sont à prendre en compte par la Malaisie pour évaluer son futur en mer de Chine méridionale.

Plus près de la Chine…

(A) Revendications territoriales de la Malaisie (en jaune)

D’abord, il y a sa relation avec la Chine, plus étroite que celles que d’autres pays revendicateurs entretiennent avec elle. Pour la Malaisie, contrairement au Vietnam et aux Philippines, sa politique lorsqu’il était question de la mer de Chine méridionale a longtemps été la discrétion.  De fait, elle avait une approche « playing it safe » lorsqu’il était question de ses relations avec la Chine. La Malaisie préfère s’entretenir avec la Chine en privé lorsqu’il est question de la mer de Chine du Sud, à l’opposé d’autres États impliqués dans la dispute, qui vont choisir d’étaler leurs doléances devant le monde entier, dénonçant la Chine et réclamant publiquement qu’elle respecte leur souveraineté territoriale (Parameswaran, 2016, p. 376).

(B) Xi Jinping et le Premier ministre malaisien Najib Razak en 2014

Ainsi, même après le jugement qui a déclaré que la ligne à neuf traits n’était pas légalement valide la Malaisie, qui a accepté la décision tout en prenant en compte le fait que la Chine n’y accorde aucune valeur et que les Philippines semblent garder un profil bas sur la question, a continué de travailler pour conserver de bonnes relations avec la Chine. De fait, entre septembre et novembre 2016, de nouveaux accords économiques ont été signés entre les deux pays, avec comme objectif d’augmenter le commerce de 60 milliards de dollars US jusqu’en 2019 (Parameswaran, 2016, p. 379). On remarque aussi que la Chine et la Malaisie entretiennent une relation d’autant plus importante que la première est le plus grand partenaire économique du second, mais aussi que la Malaisie a été le premier pays de l’ASEAN à normaliser ses relations avec la République Populaire de Chine en 1974. Le traitement spécial que cette dernière réserve à la Malaisie lorsqu’il est question de mer de Chine méridionale est évident : la Chine est beaucoup plus douce avec celle-ci qu’avec, par exemple, le Vietnam et les Philippines (Parameswaran, 2015).

…approchée par les États-Unis

Mais d’un autre côté, il y a aussi les États-Unis qui courtisent la Malaisie. En 2014, Obama a fait un saut à Kuala Lumpur, qui s’est soldé par un partenariat entre les deux pays qui prenait en compte l’implication de la Malaisie dans la stratégie de balancement de la région. De plus cette dernière comptait beaucoup sur le TPP, étant concentrée sur son développement économique et y voyant une opportunité. Lorsqu’il est question de mer de Chine du Sud, les deux pays s’entendent sur quelques points, dont le rejet de la ligne à neuf traits de la Chine, mais leurs opinions divergent sur d’autres cas. Par exemple, lorsqu’il est question de « hard power », la Malaisie refuse de prendre part à des activités militaires conjointes avec les États-Unis dans la région, comme cela a été le cas en 2004 et en 2014. De fait, elle préfère se joindre à la Chine lorsqu’il s’agit de telles activités (Tow, 2016, p. 40-41).

(C) Visite d’Obama en Malaisie en avril 2014

De plus, la Malaisie étant un pays pratiquant majoritairement l’Islam, le premier ministre malaisien a déclaré qu’il rejetait l’ingérence des pays étrangers (lire ici les États-Unis) dans les affaires du monde islamique, constatant les résultats dévastateurs de ces interventions. Et avec l’arrivée de Trump, l’avenir peu probable du TPP, considérant que ce dernier l’a déjà enterré, n’encourage pas la Malaisie à approfondir ses relations avec les États-Unis (Varkkey, 2017, p. 212-213).

Ainsi, un rapprochement avec les États-Unis dans le but d’un éloignement de la Chine, comme le Vietnam, les Philippines (avant Duterte) et plusieurs pays membres de l’ASEAN choisissent de faire, n’est pas une option que la Malaisie considère. De fait, elle privilégie les rapprochements avec la Chine, y voyant plus d’avantages. Elle ne rejette toutefois pas l’importance des États-Unis pour assurer la stabilité dans la région, mais la Malaisie est beaucoup moins emballée par le projet lorsqu’il est question d’impliquer la dimension militaire dans l’affaire (Buszynski, 2015, p. 159).

Se tenir debout malgré tout

Un dernier facteur à prendre en compte lorsqu’il est question des politiques de la Malaisie en mer de Chine du Sud est le fait que malgré son ton plus doux et ses relations moins tendues avec la Chine, la Malaisie tient tout de même à protéger son territoire et n’entend pas le céder pour le simple plaisir de la Chine (Parameswaran,2015). De plus, considérant que depuis quelques années, les accrocs entre les deux pays lorsqu’il est question de la Mer sont en causse, la Malaisie pourrait considérer revoir son approche face à Beijing (Parasmeswaran, 2016, p. 376). En effet, si la Chine continue de se comporter comme elle le fait et menace la souveraineté de la Malaisie, cette dernière se verrait probablement dans le devoir de prendre des mesures pour protéger son territoire (Parasmeswaran, 2016, p. 379-80).

(D) La Malaisie a présidé l’ASEAN en 2015

La Malaisie se distingue donc des autres pays revendicateurs grâce à sa relation avec la Chine. Comme mentionné, Beijing adopte souvent un comportement plus modéré avec Kuala Lumpur qu’avec Hanoi ou Manille. Toutefois, cela ne l’empêche pas de considérer qu’une grande proportion de la ZEE de la Malaisie lui appartient. Ainsi, de nombreux défis attendent la Malaisie dans l’avenir. D’abord, elle pourrait, dans une certaine mesure, durcir le ton face à la Chine pour protéger les zones maritimes qui lui appartiennent. Il y aurait un risque, puisqu’économiquement, la Malaisie dépend énormément de la Chine, mais considérant qu’elle n’est pas en train d’effectuer un rapprochement significatif vers les États-Unis, Beijing pourrait y voir une opportunité de conserver un allié dans la région qui l’aiderait à sinon négocier des mesures plus modérées en mer de Chine méridionale. Une autre possibilité, peu probable, serait que la Malaisie tente de faire comme d’autres pays de l’ASEAN et se tourne vers les États-Unis pour peser plus lourd dans la balance lors des négociations pour le Code de Conduite. Toutefois, considérant ses inclinations plus pacifistes et surtout ne cherchant pas à transformer sa relation avec la Chine, cette option ne restera vraisemblablement qu’une idée. Ce qui serait d’une possibilité plus grande est un maintien du statu quo de la Malaisie dans ses relations avec la Chine et les États-Unis, tout en profitant des efforts et des résultats obtenus par les autres pays revendicateurs, dans une stratégie de « bandwagoning ». Ainsi, les risques pris seraient minimes, et les résultats, probablement concluants.

Bibliographie

Buszynski, Leszek et Roberts, Christopher B. 2015. The South China Sea maritime dispute : political, legal, and regional perspectives. New York : Routledge.

Chow Bing, Ngeow. 2015. «Comprehensive Strategic Partners but Prosaic Military Ties : The Development of Malaysia-China Defense Relations», Contemporary Southeast Asia: A Journal of International and Strategic Affairs, Vol 37, No 2 (August 2015), pp 269-304. [En ligne]. http://muse.jhu.edu/article/591883/pdf

Parameswaran, Prashanth. 2015. «Malaysia’s South China Sea Policy : Playing it Safe». The Diplomat, 6 Mars. [En ligne]. http://thediplomat.com/2015/03/malaysias-south-china-sea-policy-playing-it-safe/

Parameswaran, Prashanth. 2016. «Malaysia in 2015 : Crises of Confidence», Southeast Asian Affairs, Vol 2016, pp 183-197. [En ligne]. http://muse.jhu.edu/article/627458/pdf

Parameswaran, Prashanth. 2016. «Malaysia’s Approach to the South China Sea Dispute after the Arbitral Tribunal’s Ruling», Contemporary Southeast Asia: A Journal of International and Strategic Affairs, Vol 38, No 3 (Décembre 2016), pp 375-381. [En ligne]. http://muse.jhu.edu/article/647375/pdf

Tow, William T. 2016. «U.S.-Southeast Asia Relations in the Age of the Rebalance», Southeast Asian Affairs, Vol 2016, pp 35-53. [En ligne]. http://muse.jhu.edu/article/627449/pdf

Varkkey, Helena. 2017. «Malaysia in 2016 : Persistent Crises, Rapid Response, and Resilience», Southeast Asian Affairs, Vol 2017, pp 203-219. [En ligne]. http://muse.jhu.edu/article/658021/pdf

 

Iconographie

(A) En ligne. https://en.wikipedia.org/wiki/Territorial_disputes_in_the_South_China_Sea

(B) En ligne.http://news.xinhuanet.com/english/china/2014-11/10/c_133778622.htm

(C) En ligne. http://www.thestar.com.my/news/nation/2014/12/07/visafree-travel-to-the-us/

(D) En ligne. http://economictimes.indiatimes.com/slideshows/nation-world/asean-2015-summit-begins-in-kuala-lumpur-malaysia/asean-2015-summit-begins-in-kuala-lumpur/slideshow/49871970.cms

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