Par Ariane Labelle
Ancien comptoir britannique, Singapour figure aujourd’hui parmi les pays les plus développés au monde. En outre, son taux de croissance fait même rêver les pays occidentaux. Cette cité-État moderne située en plein monde malais a fait ses preuves quant à sa puissance économique (Frédéric Bouchon 2012, p.65). Le prochain défi qui se pose à elle concerne son identité. Cosmopolite, Singapour est un pays de migrants. À forte majorité chinoise, les minorités malaises et indiennes forment tout de même une proportion non négligeable de la population. Par ailleurs, avec ces trois communautés ethniques vient s’ajouter une hétérogénéité linguistique (Martin Courmont 2012, p.41). Comment expliquer les politiques gouvernementales face à ce contexte multilinguistique ? De plus, avec autant de diversité, peut-on réellement parler d’une identité singapourienne ?
Depuis son indépendance, Singapour base sa politique linguistique sur le multilinguisme. D’ailleurs, une des premières mesures prises par le gouvernement fut de s’attarder à la question de la langue. À cet effet, quatre langues officielles ont été choisies : le malais, le mandarin et le tamoul, à l’image des trois principales ethnies du pays, suivi par l’anglais, langue de l’héritage colonial (Frédéric Bouchon 2012, p.70). Le multilinguisme a toujours été une priorité pour le gouvernement singapourien et il est même inscrit dans la Constitution que les politiques doivent respecter la diversité des langues (Martin Courmont 2012, p.43). On peut donc déduire que la variété linguistique de Singapour est une de ses caractéristiques clés. Il est donc avantageux pour le gouvernement de vouloir préserver cette diversité, car elle aide à forger l’identité de Singapour en tant que nation. À travers le système d’éducation, celui-ci a d’ailleurs décidé d’imposer l’apprentissage d’une langue secondaire. Ainsi, tous les étudiants peuvent suivre leurs études dans leur langue maternelle tout en apprenant, dès le primaire, une deuxième langue parmi les langues officielles du pays (Martin Courmont 2012, p.43).
Parmi les quatre langues officielles, le malais est la seule langue possédant un statut spécial. En effet, elle est à la fois langue officielle et nationale. Le gouvernement lui a attribué ce statut particulier à cause de l’influence de l’État voisin de Singapour, la Malaisie, et du rôle que celui-ci a joué dans l’ère postcoloniale (Martin Courmont 2012, p.42). Le fait que la langue malaise ait un statut spécial à Singapour démontre que le gouvernement fait des efforts afin d’inclure les Malais au sein de la nation. Cela dit, la reconnaissance du statut particulier de la langue malaise n’est pas la seule politique gouvernementale qui a été mise en place pour inclure les Malais. Ceux-ci se sont fait reconnaître un statut d’indigène et se font aussi accorder certains privilèges pour améliorer leurs conditions économiques (Chua Beng Huat 1998, p.63). Par ces initiatives, le gouvernement singapourien montre l’exemple au gouvernement malaisien en lui prouvant qu’il est possible de fonder une nation sur l’acceptation des différences.
Le mandarin est également une langue officielle. Elle a été choisie due au simple fait que la communauté chinoise représente la vaste majorité de la population. Cela dit, au sein de cette communauté, tout le monde ne parle pas la même langue. En effet, les Chinois de Singapour parlent différentes langues ou dialectes, dépendamment de leur région d’origine en Chine. C’est pourquoi, afin d’unifier la communauté chinoise et de faciliter la communication, le gouvernement singapourien a établi le mandarin comme langue représentative de cette communauté. C’est sous cette optique que le programme « Speak mandarin » fut créé en ayant comme objectif de promouvoir le mandarin comme langue commune des Chinois singapouriens (Martin Courmont 2012, p.42).
À Singapour, l’anglais est perçu comme la langue ayant permis l’essor du pays. Sa place est légitime puisqu’elle est utilisée dans le domaine économique et commercial ainsi que dans le monde des affaires. Sans l’anglais, Singapour ne serait pas la puissance économique qu’elle est aujourd’hui (Stephan Ortmann 2009, p.36). D’un autre côté, l’anglais, étant une langue étrangère, agit comme un langage neutre capable d’unifier toutes les ethnies parlant une langue différente. Il s’agit d’un élément important à la cohésion sociale (Chua Beng Huat 1998, p.71). Pour ces raisons économiques et sociales, le gouvernement encourage fortement les jeunes à apprendre l’anglais comme langue seconde à l’école (Bernard G. 2012). En outre, plus l’importance mise sur l’anglais grandit, plus les personnes qui ne parlent pas la langue (peu importe leur ethnie) se retrouvent désavantagées économiquement, étant plus difficiles de se trouver un travail (Chua Beng Huat 1998, p.73). L’utilisation de l’anglais dans la vie courante a eu comme effet de créer une dérive de celui-ci : le Singlish. Ce patois, caractère représentatif de Singapour, est un anglais qui inclut un mélange de malais, de mandarin et de tamoul. Il permet aux différentes communautés singapouriennes de se comprendre entre elles (Martin Courmont 2012, p.44). Cela dit, le Singlish n’est pas utilisé dans les communications officielles et le gouvernement est contre son utilisation (Frédéric Bouchon 2012, p.70). En effet, il est considéré comme une contrainte à l’apprentissage de l’anglais. En 2000, le « Speak Good English Movement » a justement été lancé par le gouvernement pour promouvoir l’usage d’un bon anglais (Stephan Ortmann 2009, p.36). Néanmoins, plusieurs considèrent le Singlish comme un élément fondamental de la culture et de l’identité singapourienne (Chua Beng Huat 1998, p.73). D’ailleurs, en tant que dialecte singapourien et rassembleur, il participe au processus de création d’un nationalisme.
Essentiellement, le gouvernement singapourien applique des politiques qui sont généralement en harmonie avec le multiculturalisme. Elles cherchent à unifier la société tout en préservant les diversités de chacune des communautés. En effet, ce qui fait la force de Singapour est son multiculturalisme, et c’est justement cette caractéristique qui a le potentiel de définir ce dernier en tant que nation. Toutefois, le terme « nation » se rapporte à un peuple partageant la même langue, culture, histoire et origines ethniques. Pour l’instant, Singapour ne peut s’appuyer que sur l’histoire et, si on inclut le Singlish, sur la langue, pour se qualifier de nation (Martin Courmont 2012, p.45). Néanmoins, de plus en plus de jeunes Singapouriens se considèrent d’abord Singapouriens puis, ensuite se définiront par leur ethnie (Chua Beng Huat 1998, p.76). Ainsi, malgré la jeunesse du pays, le sentiment d’appartenance à Singapour et le fait de se définir comme singapourien gagnent sur les divisions ethniques.
Bibliographie
Courmont, Martin. 2012. « Une identité fondée sur la langue », Monde chinois 30 : 41-46.
Bouchon, Frédéric. 2012. « Paradis tropical aseptisé ou enfer du jeu ? Itinéraires du tourisme à Singapour entre image globale et nostalgie identitaire », Monde chinois 30 : 65-76.
Beng Huat, Chua. 1998. « Culture, Multiracialism and national identity in Singapore », Trajectories: Inter-Asia Cultural Studies. Dir. Kuan Hsing Chen. London, Routledge : 186-205.
Ortmann, Stephan. 2009. « Singapore: The Politics of Inventing National Identity », Journal of Current Southeast Asian Affairs 28 (4) : 23-46.
G., Bernard. 2012. L’harmonie raciale comme fondement social. En ligne. http://singapour.blog.lemonde.fr/2012/02/12/l%e2%80%99harmonie-raciale-comme-fondement-social/ (page consultée le 1er juin 2017).