Le tourisme sexuel en Thaïlande

Par Claudia Altamirano

Le tourisme en Asie du Sud-Est prend de plus en plus de l’ampleur, que ce soit pour le tourisme balnéaire, culturel, ou médical, mais celui qui se distingue le plus en termes de croissance est celui du tourisme sexuel. En fait, il est celui qui promet le plus économiquement. Particulièrement en Thaïlande, la destination par excellence dans ce genre d’activité, a connu un essor économique remarquable depuis la fin des années 1970. D’ailleurs, la mercantilisation des femmes dans ce pays n’est pas un phénomène nouveau, bien au contraire, son histoire remonte avant l’époque moderne. (Phongpaichit 1982) Ainsi, cette activité a pris sa véritable expansion à l’époque la guerre du Vietnam. La confrontation entre les Américains et les communistes vietnamiens a causé un déploiement des soldats étasuniens remarquable. Aujourd’hui, loin de prendre une position morale face à cette activité, la prostitution dans le pays a bénéficié plus qu’un acteur. Donc, la question qui se pose est la suivante : qui bénéficie du tourisme sexuel en Thaïlande ? Afin de répondre à cette interrogation, le texte qui suit analysera brièvement les acteurs suivants : 1) l’État ; 2) les ONG ; 3) les clients locaux et étrangers ; et 4) les prostituées.

L’État

Lorsque les militaires américains ont débarqué sur le territoire, la figure de la femme thaïlandaise était l’attrait principal. L’État avec l’aide des campagnes publicitaires du tourisme avait construit l’image de la femme docile, souriante, sensuelle, mystérieuse, etc. La Thaïlande a alors favorisé le développement du tourisme sexuel qui a eu des résultats remarquables, et par conséquent, un essor économique dans les recettes du pays : « En 1995, les revenus de la prostitution en Thaïlande représentaient près de 59 à 60 % du budget du gouvernement. En 1998, l’Organisation internationale du travail estimait que la prostitution constituait 14 % de l’ensemble des activités économiques du pays. (Poulin 2006, 15) Donc, c’est à partir de ce moment que le pays a tenu un profit économique potentiel dans le domaine de la prostitution.  De ce fait, plusieurs acteurs sont donc intervenus dans le pays, comme les organisations non gouvernementales.

Les ONG

Chantawipa Apisuk
Source: Pro-tupikiste

Ainsi, à partir des années 1980, la prostitution a fait l’objet des critiques, notamment de la part des féministes occidentales et thaïlandaises qui affirmaient que ce phénomène avait émergé à cause des inégalités de genre et de la domination masculine. (Roux 2009) C’est dans un contexte intellectuel féministe que l’arrivée des ONG s’est amplement répandue. L’organisation la plus connue est Empower (Education Means Protection Of Women Engaged in Recreation) dirigée par Chantawipa Apisuk. À l’origine, cette organisation se limitait à un soutien « pratique et localisé » principalement des prostituées. Plus tard, cette organisation va soutenir les « droits des travailleurs sexuels ». Avec l’expansion du sida, les autorités du pays vont mettre en place des politiques visant la prévention massive du virus avec l’aide de cette organisation qui s’est autoproclamée, la seule représentante des prostitués au pays. Cependant, le sociologue Sebastien Roux (2007) affirme que cette ONG ne représente pas ce qu’elle se dit être. En effet, il dénonce même qu’elle encourage une forme d’exclusion puisqu’elle sélectionne un groupe minoritaire des prostituées et des danseuses qui ne sont pas exploitées dans les grandes villes touristiques comme Bangkok, Phuket, Mae Sai et Pattaya. La critique se fait lorsque cette organisation cible un type de prostitution, laissant une majorité de côté, tout en jouissant d’une visibilité internationale et d’un soutien financier important. Par exemple, les dons généreux provenant de la fondation Rockefeller. (Roux 2007) Toutefois, Roux soutient que les personnes fréquentant cette organisation se présentaient que pour les cours d’anglais. Le contact avec la clientèle, qu’elle soit prostituée ou non, est perçu comme étant très limité puisque dans les alentours les gens semblent peu familiers avec les rapports d’activité dont se vente tant cette organisation.

Les « Sex Workers »

La majorité des femmes travaillant dans le domaine du sexe viennent du nord du pays d’un milieu très modeste. Elles sont âgées entre 15 et 29 ans et partent de leur foyer à la recherche d’un emploi. Arrivées dans les grandes villes, elles se retrouvent dans ce milieu de prostitutions pour différentes raisons : facilité, argent, demande, faux espoirs, etc. Généralement, la durée qu’exercent les filles dans ce domaine peut aller jusqu’à deux ans, le temps de mettre de l’argent de côté, si elles sont chanceuses. D’autres peuvent se retrouver exploitées. Pour celles qui ont de la « chance », leur objectif est de se marier avec un farang (un étranger) qui pourra les sortir de cette ambiance. Celles qui ne le sont pas sont condamnées à l’esclavage. (Formoso 2001)

Travailleuses du sexe en Thaïlande défendant leurs droits
Source: openDemocracy

Les prostituées thaïlandaises étaient vues à l’époque de l’émergence du féminisme comme des victimes du système qui avait favorisé cette activité économique. Ce n’est qu’au début des années 1990 que ce point de vue change radicalement. L’épidémie du sida qui se propage dans le monde des travailleuses sexuelles fait qu’elles sont perçues comme les coupables de l’introduction du virus dans le pays. Elles sont donc isolées et marginalisées. Cela a provoqué que les autorités thaïlandaises s’intéressent davantage à la quantification des cas du sida et d’une localisation des sujets contaminés, plutôt qu’à s’intéresser à la source du problème et mettre en place des politiques qui viseraient de meilleures conditions de travail et des politiques d’hygiène. La protection sexuelle était destinée à des prostituées « haut de gamme » puisque le prix des préservatifs était élevé, tandis que celles qui étaient catégorisées comme « bon marché » n’avaient pas les fonds nécessaires pour se procurer des moyens de protection. (Roux 2007)

Clients locaux et touristes

Bien que le domaine du sexe connaisse une croissance remarquable depuis les quarante dernières années, il n’est pas nouveau. Les Thaïlandais, eux-mêmes, demeurent les clients représentant la majorité des consommateurs. Cela peut prendre ses origines dans la culture thaïlandaise puisque la polygamie faisait partie dans la classe aristocratique jusqu’au temps de Rama VI (1910-1924). (Formoso 2001) Aujourd’hui, cette coutume a été remplacée par le service qu’offrent les prostituées.

En outre, les touristes étrangers séduits par le stéréotype fabriqué de la femme thaïlandaise se retrouvent dans une ambiance « exotique » à bas prix, mais exposés à des maladies chroniques.

Ainsi, nous avons vu que la Thaïlande est un pays riche dans tous les aspects. Le touriste trouve de tout, allant du plus éthique comme l’écotourisme, jusqu’aux divertissements, comme la prostitution. Cette dernière activité est importante puisque comme nous avons vu, c’est elle qui génère le plus des flux économiques. L’État, les ONG, les clients (étrangers et locaux) et finalement les prostituées ont vu dans l’industrie du sexe une part du gâteau dans la croissance économique. Cependant, les prostituées migrantes, les mineurs exploités sexuellement, les prostitués homosexuels sont ceux qui se retrouvent sans aucune aide économique, sociale, juridique et humanitaire que les acteurs qui en bénéficient sont supposés apporter.

 

Bibliographie

Bozon, Michel. 2011. « Que cache le « tourisme sexuel » ? », La Vie des idées, 29 août 2011. En ligne. http://www.laviedesidees.fr/Que-cache-le-tourisme-sexuel.html (page consultée le 8 juin 2016)

Formoso, Bernard. 2001. « Corps étrangers : tourisme et prostitution en Thaïlande » Anthropologie et Sociétés. Vol. 25. (n° 2) 2001. p. 55-70

Phongpaichit, P. 1982. « From Peasant Girls to Bangkok Masseuses » Genève : International Labour Office. Women Work and Development, 2.

Poulin, Richard. 2006. Le système de prostitution militaire en Corée du Sud, en Thaïlande et aux Philippines. Revue Bulletin d’histoire politique. Vol. 15. (n° 1) 2006, p. 81-92.

Roux, Sébastien. 2007. « Importer pour exister » Lien social et Politiques. (n° 58) 2007, p. 133-144.

Roux, Sébastien. 2009. « Le savant, le politique et le moraliste. Historiographie du « tourisme sexuel » en Thaïlande », A contrario. Vol. 1 (n° 11). 2009. p. 28-42.

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