Par Maxime Bobba-Gaudreau
Ne vous méprenez pas, la poursuite judiciaire engagée contre l’ex-chef de gouvernement de facto Aung San Suu Kyi sous prétexte de non-respect à la Loi sur la gestion des désastres naturels quelques semaines après son arrestation par l’armée le 1er février 2021 n’était pas motivée par de quelconques convictions écologiques. (1) Le récent coup d’État et prise de pouvoir par le général Min Aung Hlaing n’est pas de bon augure quant à la défense de l’environnement.
Une colline près d’un village au Myanmar, rasée Photo : Barbara Walton/EPA https://www.theguardian.com/environment/2008/apr/09/deforestation-burma
Le retour des militaires à la tête du pays vient miner les efforts faits sous la gouverne de Aung San Suu Kyi de maintes façons, qui pourraient être résumées par l’affirmation générale suivante : l’ouverture et l’attractivité à l’internationale d’un pays sont corrélées à l’élévation du niveau de vie de sa population, qui est intimement liée à la gestion de son environnement. (2) Du fait que le régime imposé par la junte militaire n’est pour le moins que peu populaire auprès de la communauté internationale (l’exclusion du chef militaire du sommet de l’ASEAN se tenant de 26 au 28 octobre 2021 en est un exemple, et la suspension par l’ONU des projets de protection de l’environnement qui nécessite une collaboration avec le gouvernement militaire, en est un autre), on peut s’attendre à une fuite des investissements étrangers et à une baisse des financements des agences de protections de l’environnement dont elles sont dépendantes pour mener à bien leurs activités.
L’effet de la pauvreté sur les limites de la protection de l’environnement s’observe au Myanmar notamment par l’inadéquation de la protection de certaines aires avec le besoin urgent des communautés locales à répondre à leurs besoins les plus urgents. Le cas du Meinmahla Kyun Wildlife Sanctuary dans le delta de l’Irrawaddy est évocateur, du fait que par leur manque de réalisme, les mesures de protection visant à préserver les mangroves, ainsi que les crocodiles, les chats viverrins, les chauves-souris, les crabes et les oiseaux, sont largement outrepassées, car la population locale a besoin de l’accès à ces ressources pour subvenir à ses besoins. Pour remédier à ce problème, la solution qui s’impose nécessite d’une part le renforcement des patrouilles visant à faire respecter le sanctuaire (qui dépend des financements internationaux dus aux ressources insuffisantes), et par ailleurs le développement d’activités durables génératrices de revenus tels que l’écotourisme (3) qui dépend de l’émergence d’une classe moyenne nationale, ou du développement du tourisme international, deux phénomènes intimement liés à l’attractivité du pays à l’extérieure de ses frontières, une junte militaire au pouvoir ne faisant pas partie des critères de séduction.
En plus de l’impopularité des militaires auprès de la population birmane (en octobre 2021, 9 mois après le coup d’État, on assiste à une escalade des violences), les militaires ont un long historique de vision prodigieusement court-termisme de la gestion des ressources naturelles, (4) une habitude qui semble se perpétrée avec l’exploitation non durable des forêts opérée par la junte militaire dans le but de financer son régime oppressif (5) et procèdent à la centralisation des pouvoirs, (6) qui ne fait pas bon ménages avec la protection de l’environnement, par le fait qu’il y a moins de chances qu’une multitude d’institutions cèdent toutes sous des pressions socioéconomiques et politiques, même si elles présentent individuellement le même degré de risque de s’incliner. (7)
Des manifestants jettent des cocktails Molotov par-dessus une barricade lors d’une manifestation anti-coup d’État dans une rue de Yangon, au Myanmar : REUTERS. https://www.reuters.com/news/picture/deadly-violence-mounts-in-myanmar-idUSRTXADCCO
Cela est fort regrettable, car la transition démocratique qui semblait s’opérer laissait entrevoir une transformation du Myanmar orientée vers la protection de l’environnement. En effet, la prise de fonction en 2016 par Aung San Suu Kyi comme chef de gouvernement de facto fut interprétée comme un signal fort par la communauté internationale de la mise sur les rails d’une démocratie libérale et d’un retour peu probable en arrière. Dans ces conditions, les revendications des citoyens gagnèrent en visibilité, la société civile put s’organiser et obtenir une plus large inclusion et participation effective à la gouvernance et à la politique.
En effet, bien que le nombre et l’activité des ONG étaient considérables avant la démocratisation du pays, elles n’étaient, pour la majeure partie, pas enregistrée auprès des autorités, car elles devaient pour cela sacrifier une partie de leur indépendance et se soumettre à des contrôles gouvernementaux en matière de leurs activités et de leurs finances. En conséquence, la majorité des ONG fonctionnaient en périphérie des autorités centrales, n’étant pas incluses dans le processus de gouvernance, et souffrant d’un manque de coopération. (8) Sous la gouverne de Aung San Suu Kyi, les ONG purent mettre en place des programmes visant à documenter, comprendre et soutenir la conservation de la biodiversité, en travaillant en étroite collaboration avec les communautés locales. Cela déboucha notamment sur une initiative inspirée de la solution théorisée par Elinor Olstorm pour désamorcer la tragédie des biens communs : des « Locally Managed Marine Protected Areas », des zones marines protégées qui intègrent la conservation ainsi que le développement durable et qui sont gérées par les communautés locales. (9)
(1) Chaumeau, Christine, en ligne.
(2) Fisher, Janet A, Hari Dhungana, Janine Duffy, Jun He, Mirna Inturias, Ina Lehmann, Adrian Martin, David M. Mwayafu, Rodríguez Iokiñe, et Helen Schneider, p.678-692.
(3) Bax, Narissa, SiuSue Mark et Zau Lunn, en ligne.
(4) Allen, David et Rainer Einzenberger, en ligne.
(5) Heubl, Ben, en ligne.
(6) Kyaw, Nyi Nyi, en ligne.
(7) VanDeveer, Stacy D, et Paul F Steinberg, p.274.
(8) Jaquet, Carine et Kim Wallis, en ligne.
(9) Bax, Narissa, SiuSue Mark et Zau Lunn, en ligne.
Bibliographie
Allen, David et Rainer Einzenberger. 2013. « Myanmar’s Natural Resources: Blessing or Curse? ». Heinrich Böll Stiftung, 11 décembre 2013. https://www.boell.de/en/2013/12/11/myanmars-natural-resources-blessing-or-curse
Bax, Narissa, SiuSue Mark et Zau Lunn. 2021. « Myanmar’s military coup is a blow to democracy, and the nation’s stunning biodiversity ». The Conversation, 21 février 2021. https://theconversation.com/myanmars-military-coup-is-a-blow-to-democracy-and-the-nations-stunning-biodiversity-155209
Chaumeau, Christine.2021. « Après le coup d’État, une mobilisation déterminée mais fragile La jeunesse birmane défie la junte ». Le Monde diplomatique, mars 2021. https://www.monde-diplomatique.fr/2021/03/CHAUMEAU/62831
Fisher, Janet A, Hari Dhungana, Janine Duffy, Jun He, Mirna Inturias, Ina Lehmann, Adrian Martin, David M Mwayafu, Rodríguez Iokiñe, et Helen Schneider. 2020. « Conservationists’ Perspectives on Poverty: An Empirical Study. » People and Nature 2 (3): 678–92. https://doi.org/10.1002/pan3.10098.
Heubl, Ben. 2021. « Myanmar’s military coup linked to illegal deforestation ». The Institution of Engineering and Technology, 23 avril 2021. https://eandt.theiet.org/content/articles/2021/04/myanmar-s-military-coup-linked-to-illegal-deforestation/
Jaquet, Carine et Kim Wallis. 2011. « Local NGOs in Myanmar: vibrant but vulnerable ». Humanitarian Practice Network, septembre 2011. https://odihpn.org/magazine/local-ngos-in-myanmar-vibrant-but-vulnerable/
Kyaw, Nyi Nyi. 2021. « Myanmar’s military junta has long-term power plans ». East Asia Forum, 30 septembre 2021. https://www.eastasiaforum.org/2021/09/30/myanmars-military-junta-has-long-term-power-plans/
VanDeveer, Stacy D, et Paul F Steinberg. 2012. Comparative Environmental Politics. American and Comparative Environmental Policy. Cambridge, Mass.: MIT Press. p.274.