Par Naledi Masanabo
L’un des attraits économiques de Singapour est sa politique fiscale favorisant les investissements étrangers. Mais quelle est-elle vraiment ? Pour quelles raisons les plus riches cherchent à déplacer leurs entreprises là-bas ? Nous allons comprendre en détails les avantages fiscaux que présentent la ville-jardin.
Quels éléments la rendent si attractive ?
Le gouvernement singapourien a fixé le taux d’impôt des sociétés à 17%, mais ce pourcentage fluctue en fonction des différents incitatifs fiscaux auxquelles les sociétés singapouriennes sont éligibles (1).
Elle invite les firmes à devenir des résidentes fiscales, c’est-à-dire que leur siège soit à Singapour ou que les décisions stratégiques concernant la compagnie soient prises à Singapour, en offrant divers avantages fiscaux (2). Tout d’abord le gouvernement s’assure une clientèle internationale en signant le Double Taxation Agreements. Ces accords évitent aux firmes une double taxation si elle devienne des résidentes fiscales, c’est-à-dire qu’elles évitent un surplus de taxe sur des revenus étrangers. Comme l’explique le Inland Revenue Authority of Singapore (IRAS), les revenus perçus à l’étranger n’ont pas besoin d’être déclaré (3)
L’application du « one-tier taxation system » est un facteurs attractifs pour les sociétés. Cette formule fiscale inclut un prélèvement que sur les profits fait par une entreprise et les dividendes perçues par les actionnaires ne sont pas taxés.
L’incitation fiscale est la réduction de taxe pour une entreprise dans le but d’encourager un secteur économique précis. Elles peuvent être présentes dans de nombreux domaines tel que la manufacture, les investissements ou les échanges commerciaux (4). Singapour devient donc attrayante pour les multinationales mais pas que, la « Start-Up tax exemption » est un incitatif fiscal qui réduit les taxes des Start-Up à Singapour. Un autre exemple d’incitatif fiscal est le « Development and Expansion Incentive », réduisant les taxes des entreprises qui comptent développer leurs opérations à Singapour ou se développer à l’international (5).
Mais qu’est-ce qu’un paradis fiscal ?
Selon le think tank Oxfam, on peut considérer un État comme un paradis fiscal lorsque ce dernier démontre un choix délibéré d’instaurer des lois et politiques fiscales qui permettent à des particuliers ou entreprises de diminuer au maximum leurs impôts dans les pays où ils sont réellement actifs (6). On retrouve plusieurs caractéristiques communes aux paradis fiscaux : une confidentialité sur l’identité des propriétaires d’entreprises et d’actifs par la mise en place des disposition légales, administratives ou judiciaire ; un taux d’imposition faible ; une absence de transparence liée à un échange non automatique d’informations ; un avantage fiscal sans exigence d’une réelle activité sur place (7).
Toujours selon Oxfam, Singapour serait classé comme le 6ème pire paradis fiscale au monde. Regardons au cas par cas comment Singapour répond à chacun des critères mentionnés ci-dessus. Tout d’abord, à l’exception des informations bancaires, la législation singapourienne n’exige pas l’accès à toutes informations personnelles de la part des institutions financières : elle respecte donc ce critère de confidentialité (8). Deuxièmement, nous avons remarqué plus haut que la cité-État a volontairement mis en place un taux d’imposition bas. Pour ce qui est du troisième critère, Singapour a été à maintes reprises interpellée par l’OCDE ou la Banque mondiale concernant son manque de transparence fiscale et bancaire. Bien qu’elle offre de nombreux avantages aux entreprises qui s’installent fiscalement dans l’enceinte de son État, cette résidence fiscale est facile à obtenir telle que l’IRAS donne un certificat de résidence année par année. C’est-à-dire, si au cours de l’année les réunions du conseil d’une compagnie ont lieu à Singapour, la compagnie sera éligible pour l’obtention du certificat (9). Singapour a bien l’étoffe d’un paradis fiscal, cependant quel est le revers de la médaille ?
Être un paradis fiscal n’est pas de tout repos. Qu’en est-il de ceux qui vivent dans des paradis fiscaux. Comment sont-ils affectés ?
Si une entreprise fait plus de gains, elle paiera plus d’impôts. Ces impôts ensuite sont réutilisés par l’État dans les services publics. Maintenant, si une société décide de s’évader fiscalement, l’État ne percevra pas les impôts qui lui permettront de financer les secteurs publics. Ce manque de financement aggrave la situation financière des classes les plus modestes et creuse l’écart entre les pauvres et les riches (10). L’évasion fiscale empêche le développement d’un État providence, qui subvient aux besoins de sa population. Pour combler ce manque de revenus, l’État peut soit couper ses dépenses publiques ou augmenter d’autres impôts qui touchent le plus souvent les ménages comme la TVA (11). Dans les 2 cas, les groupes qui en pâtissent sont les plus démunis.
Souhaitant rester envers et contre tout un État loin des scandales politico-économiques et des contentieux internationaux, Singapour s’engage à se défaire de cette image de paradis fiscal, l’affaire Cahuzac ayant été comme un déclic pour la cité-État. Cette dernière exposait l’évasion fiscale vers Singapour du ministre du Budget français Jérôme Cahuzac en 2013 (12).
Des suites de cet incident et encouragé par l’OCDE, Singapour a réalisé une révolution fiscale visant à changer la législation afin que l’échange d’informations fiscales soit automatique et non sur demande avec l’aval de la justice locale. Depuis, Singapour fait de son mieux pour s’éloigner de cette image de paradis fiscal, en appliquant les recommandations faites par l’OCDE. Les rapports de cette organisation démontrent les progrès réalisés par Singapour où elle obtient la note de « conciliante » à l’égard du partage d’informations bancaires (13). Bien que le travail ne soit pas complètement achevé les progrès réalisés sont encourageants pour l’avenir.
(1) Investopedia, EN LIGNE
(2) IRAS, EN LIGNE
(3) IRAS, EN LIGNE
(4) Office québécois de la langue française, EN LIGNE
(5) Corporate Services, EN LIGNE,
(6) Oxfam France, EN LIGNE
(7) Oxfam France, EN LIGNE
(8) Banking Act, 107
(9) Corporate Services, EN LIGNE
(10) Oxfam France, EN LIGNE
(11) Oxfam France, EN LIGNE
(12) Public Sénat, EN LIGNE
(13) OCDE, 39
Bibliographie
Assale, Amine. Singapour : un paradis fiscal (blogue), 25 septembre 2016 ; https://redtac.org/asiedusudest/2016/09/25/singapour-un-paradis-fiscal/
« Corporate Tax in Singapore ». Corporate Services, consultée le 8 novembre 2021. https://www.corporateservices.com/singapore/corporate-tax-in-singapore/#residency
Inland Revenue Authority of Singapore. 2021. « The Singapore Tax System ». Inland Revenue Authority of Singapore. 13 janvier 2021. https://www.iras.gov.sg/irashome/About-Us/Taxes-in-Singapore/The-Singapore-Tax-System/
Institut canadien des comptes agréés. Fiche terminologique : incitation fiscale. Office Québecois de la langue française, consultée le 9 novembre 2021. http://gdt.oqlf.gouv.qc.ca/ficheOqlf.aspx?Id_Fiche=505432
Kopp, Carole M. « What makes Singapore a Tax Haven ». Investopedia, 22 mars 2021. https://www.investopedia.com/ask/answers/060716/why-singapore-considered-tax-haven.asp#citation-9
« L’affaire Cahuzac en dix dates ». Public Sénat. 8 décembre 2016. https://www.publicsenat.fr/article/politique/l-affaire-cahuzac-en-dix-dates-51157
Offshore Protection. 2021. « Singapore Offshore Jurisdiction ». Offshore Protection. 27 juillet 2021. https://www.offshore-protection.com/singapore-offshore-tax-haven.
Oxfam France. 2020. « Paradis Fiscal ? Définition Et Liste Des Pays ». 29 novembre 2020. https://www.oxfamfrance.org/inegalites-et-justice-fiscale/paradis-fiscal-quelle-definition-et-quels-pays/.
Singapour. Banking Act. Chapitre 47 à jour au 10 novembre 2021 (2021). Singapour Statutes Online. https://sso.agc.gov.sg/Act/BA1970?ProvIds=pr47-.
The Organisation for Economic Cooperation and Development. 2018. Global Forum on Transparency and Exchange of Information for Tax Purposes: Singapore 2018 (Second Round). Peer Review Report on the Exchange of Information on Request. Paris : OECD. https://doi.org/10.1787/9789264306165-en