Les Philippines face aux trafics de produits illégaux : une véritable « guerre aux drogues » déclarée

Par Coline Hondermarck

Le trafic de médicaments contrefaits et de stupéfiants illicites est un phénomène qui touche les Philippines et représente un combat de longue haleine pour le gouvernement national et pour la communauté internationale. L’archipel est dans une situation urgente face à la montée des réseaux clandestins et des crimes transnationaux qui mettent en lumière l’existence d’une véritable économie parallèle et d’un marché où un ensemble d’acteurs internationaux interagissent entre eux. L’ancienne colonie des États-Unis, désormais considérée comme un lieu économique dynamique en Asie et également un lieu stratégique situé entre l’Orient et l’Occident, fait face à une accélération du trafic illégal.

 

Quelques données chiffrées…

Quelques données chiffrées permettent de mettre en lumière ce phénomène. En 2019, à la suite d’un rapport sur la criminalité transnationale en Asie, réalisé par l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime[1], les Philippines étaient considérées comme le pays le plus concerné dans la falsification des médicaments dans la région. Entre 2013 et 2017, elles enregistrent un incident de contrefaçon et de trafic illégal de 193 sur les 460[2] . De plus, l’archipel est connu pour avoir le taux de consommation de stupéfiants le plus important en Asie du Sud-Est, plus particulièrement en ce qui concerne les méthamphétamines. De ce fait, en 2019 un rapport d’Amnesty international alertait sur la situation d’urgence qui sévit dans le pays et a fait l’état de nombreuses victimes liées à ce trafic.

 

Un phénomène transnational

Même si les Philippines sont encore loin d’atteindre le niveau de production et de distribution illégale de médicaments et de drogues face à des pays tels que la Chine ou l’Inde, elles restent quand même impliquées dans de nombreuses affaires criminelles transnationales. Par exemple, elles ont été engagées dans pas moins de douze affaires illégales concernant la distribution de faux médicaments qui ont circulé par la suite en Allemagne, au Japon et aux États-Unis. Les puissances occidentales jouent ainsi un rôle important et poussent des pays sous-développés comme les Philippines et ses réseaux clandestins à s’enrichir via ce commerce illégal. L’archipel représente ainsi une véritable plaque tournante du trafic international de produits illicites, notamment due à sa proximité avec la Chine, grande productrice et distributrice de ce type de produits (que ce soit pour les médicaments contrefaits que pour les drogues). L’archipel est ainsi un véritable point géographique stratégique pour la nation chinoise qui peut facilement produire et exporter des médicaments contrefaits ou des drogues à destination de ses voisins asiatiques. Ainsi, ce trafic représente un véritable gain financier pour les organisations criminelles qui prennent de l’ampleur au niveau régional, mais également au niveau international. Cela participe à la création du grand marché illégal qui dépasse les frontières asiatiques et où les acteurs de ce trafic sont interdépendants entre eux.

 

Une « guerre aux drogues » qui soulève de réelles interrogations

une politique répressive dans le cadre de la « guerre aux drogues »(loeildelaphotographie.com)

De ce fait, la lutte contre les stupéfiants est synonyme de réel défi pour les Philippines. L’archipel est relativement connu pour être le théâtre d’un combat incessant contre le trafic illégal, mais particulièrement celui des stupéfiants. Force est de constater que le gouvernement philippin, pour répondre à cette urgence sanitaire, a mené une véritable « guerre aux drogues » aboutissant à des actes répressifs et des homicides. Cela a par ailleurs été dénoncée par la communauté internationale, remettant en question les relations entre les puissances occidentales et la région sud-asiatique. Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU est ainsi intervenu afin de réclamer une résolution faisant état des lieux de la situation des droits humains aux Philippines, face à la préoccupation des homicides illégaux qui sont justifiés par cette « guerre contre la drogue ». Nicholas Bequelin, directeur régional d’Amnesty International pour l’Asie de l’Est déclarait en 2019 : « Les Philippines n’ont pas amené les responsables de violations à rendre des comptes au niveau national. La résolution du Conseil des droits de l’homme adresse un message clair : la communauté internationale ne détournera pas le regard tandis que des exécutions extrajudiciaires et d’autres violations graves des droits humains sont commises en toute impunité. »[3].

Cette politique peut donc coûter très cher au pays si l’ensemble de la communauté internationale se montre sévère envers elle et que leurs relations deviennent compromises. Il est également possible de constater que la coopération bilatérale a été privilégiée par les pays de la région (des traités bilatéraux ont été signés entre les Philippines, la Thaïlande, l’Indonésie et la Malaisie), mais l’ASEAN semble en difficulté pour apporter des décisions communes basées sur le consensus.[4]

Ainsi, le trafic de médicaments et de drogues est un phénomène qui dépasse les frontières que ce soit au sein de la région asiatique qu’à travers le monde. Les difficultés économiques et politiques, la corruption et les failles structurelles qu’ont connu les pays d’Asie du Sud-Est ont montré que le trafic de produits illicites est particulièrement ancré dans les dynamiques du processus de mondialisation. Les économies criminelles représentent de véritables marchés rentables pour les réseaux clandestins. Cependant, cela pose des enjeux fondamentaux en matière de sécurité régionale et internationale, mais également pour la santé publique. La santé publique de pays en développement comme les Philippines étant déjà mise à rude épreuve dans le contexte de la pandémie de Covid-19[5], le commerce illégal ne fait donc qu’accentuer ce phénomène.

[1] Rapport mondial sur les drogues par l’ONUDC en 2019 : b2_F.pdf (unodc.org)

2 « Prolifération de médicaments de contrefaçon aux Philippines », Illicit Trade : https://www.illicit-trade.com/fr/2019/08/proliferation-medicaments-de-contrefacon-philippines/

3 Tiré d’un article d’Amnesty International « Philippines, l’ONU accroît la pression sur la guerre contre la drogue » publié le 11 juillet 2019.

4 Ralf Emmers (2003) “ASEAN and the securitization of transnational crime in Southeast Asia”, The Pacific Review, 16:3, 419-438, DOI: 10.1080/095127403200008565

5 “Philippines. Crise sanitaire et des droits humains un an après le début de la pandémie de COVID-19”, Amnesty International, [en ligne] : https://www.amnesty.org/fr/latest/news/2021/04/philippines-faces-health-human-rights-crisis-covid/

 

Bibliographie

« Philippines, il faut mettre fin à la « guerre contre la drogue » », Amnesty International, 14 octobre 2019 [en ligne], consulté le 15 octobre 2021 : Philippines, il faut mettre fin à la « guerre contre la drogue » – Amnesty International Belgique

– « Philippines, les homicides liés au trafic de stupéfiants doivent cesser », Amnesty       International, 6 novembre 2019 [en ligne], consulté le 18 septembre 2021 : Philippines, les homicides liés au trafic de stupéfiants doivent cesser – Amnesty International Belgique

– Bate Roger, “Making a Killing. The deadly implications of the counterfeit drug trade,  by the American Enterprise Institute for Public Policy Research, Washington, D.C, 2008

– Przyswa Eric, « Contrefaçon de médicaments et organisations criminelles », rapport pour l’Institut de Recherche International Anti-Contrefaçon de Médicaments (IRACM), Septembre 2013

– Ralf Emmers, « ASEAN and the securitization of transnational crime in Southeast Asia », The Pacific Review, 16:3, 419-438, 2003

 

 

 

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