Par Inès Descamps
Le 2 mai 2014, une grave crise éclate entre le Vietnam et la Chine. Celle-ci est provoquée par l’implantation d’une plateforme de forage au sud de l’archipel des îles Paracels. Or, ce secteur est revendiqué par le Vietnam. Comme conséquence directe, de fortes manifestations antichinoises ont eu lieu dans différentes grandes villes du Vietnam, allant jusqu’à la destruction d’usines et l’agression d’ouvriers d’origine chinoise. Comme conséquence indirecte, la crise a mis en lumière un protagoniste majeur des conflits en mer de Chine méridionale, la République socialiste du Vietnam.
Pendant longtemps, le Vietnam a cherché à équilibrer les relations qu’il entretenait avec les grandes puissances via une approche très pragmatique de la diplomatie. Mais la croissance exponentielle de la puissance chinoise et de son poids en Asie a obligé Hanoï à modifier son paradigme d’équilibre en s’opposant frontalement à la Chine dans un contexte de cristallisation des conflits autour de la mer de Chine méridionale.
Il n’est pas étonnant que la mer de Chine méridionale concentre à elle seule autant de conflits en Asie du Sud-Est : c’est un lieu hautement stratégique pour le commerce mondial, et qui recèle d’importantes réserves d’hydrocarbures et autres ressources naturelles. Le contentieux qui oppose la Chine au Vietnam concerne principalement l’archipel des îles Spratleys : la première clame l’avoir conquis en 1988, mais le second le revendique comme son territoire. Bien qu’en juillet 2016, la Cour permanente d’arbitrage de La Haye a jugé que Pékin n’avait aucun « droit historique »1 sur ces eaux, la Chine poursuit sa politique de puissance en y installant diverses plateformes et en règlementant voire interdisant la traversée des flottes étrangères. Or, le Vietnam considère l’espace maritime indispensable à sa sécurité nationale, d’autant que plus de la moitié de la population vietnamienne vit sur les côtes en mer de Chine du Sud.
Afin de comprendre la stratégie adoptée par le Vietnam vis-à-vis de l’hégémonie chinoise, il faut tout d’abord comprendre les différences de ressources financières entre les deux pays en matière de défense : classée deuxième en termes de budget militaire derrière les États-Unis, la Chine alloue en 2021 plus de 209 milliards de dollars à sa défense2. Forte de nombreux porte-avions, porte-hélicoptères, sous-marins, frégates et destroyers, la Chine est largement apte à défendre ses positions en mer de Chine méridionale. A l’inverse, le Vietnam ne dispose que d’un budget inférieur de 30 fois à celui de la puissance chinoise3. Et la course aux armements qui demeure entre cette dernière et les États-Unis contribue régulièrement à creuser encore cet écart.
Autre point qui fragilise la position du Vietnam en mer de Chine méridionale : la perte de deux alliés de poids dans la région. Premièrement, l’arrivée au pouvoir de Rodrigo Duterte aux Philippines a grandement bénéficié à Pékin, le pays étant auparavant un de ses plus fervents opposants en mer de Chine. Au contraire, Duterte a initié le règlement des contentieux via des tribunaux. Deuxièmement, la Malaisie opère également un certain rapprochement avec le géant chinois, en signant de nombreux accords commerciaux d’investissement. Avec sa volonté de s’affirmer dans la région, la Chine isole le Vietnam en diminuant son nombre d’alliés.
Ainsi, le Vietnam n’a pas eu d’autre choix que celui de réviser sa stratégie afin rivaliser avec la Chine. Aujourd’hui, Hanoï fait preuve d’une attitude plus directe envers Pékin, si bien que le Vietnam semble le principal contestataire de la puissance chinoise de la région. Cela s’illustre par exemple dans la dénonciation de l’installation de missiles chinois dans les îles Spratleys en 2018. Le 9 mai, Lê Thi Thu Hang, porte-parole du ministère des Affaires étrangères vietnamien, déclare que ce déploiement de missiles « porte atteinte à la souveraineté [du Vietnam] sur les îles »4, et demande à Pékin de les retirer.
Une autre facette de la stratégie vietnamienne consiste en la conclusion de nouveaux accords avec des puissances telles que les États-Unis, l’Union Européenne, et même l’Inde qui concurrence progressivement la Chine en région Indo-Pacifique. Ces nouveaux accords s’inscrivent dans une nouvelle stratégie géopolitique d’ouverture internationale. En effet, Hanoï a compris que les alliances forgées pendant la guerre froide, de même que l’unique collaboration avec des pays voisins comme les Philippines, le Laos ou le Cambodge, ne suffisent plus à maintenir un bloc solide contre la Chine. L’ouverture au monde est un pilier de la stratégie vietnamienne moderne, l’objectif étant la mise en place d’un réseau d’alliances global en Asie du Sud-Est pour contrecarrer les plans chinois.
Enfin, la stratégie vietnamienne est basée sur le concept d’A2/AD (Anti-access/Aera denial), doctrine d’origine américaine qui implique une posture défensive, dans le but premier de dissuader toute attaque étrangère, ou bien à se défendre et mener une contre-attaque le cas échéant. C’est pourquoi le Vietnam a récemment doté son armée d’un arsenal ultra-moderne, composé notamment de missiles supersoniques russes et de fusées5. Il s’agit d’empêcher le déploiement de l’armée chinoise sur les côtes vietnamiennes, mais également de prévenir un conflit ouvert avec la super puissance.
En somme, la Chine et ses ambitions territoriales en mer méridionale ont contraint le Vietnam à redéfinir aussi bien sa doctrine de défense que sa politique étrangère. Toutefois, bien qu’il sache s’opposer à la Chine de manière frontale au sujet de la mer méridionale, de manière générale le Vietnam semble privilégier les négociations diplomatiques avec cette dernière sur leurs autres contentieux afin de stabiliser les relations entre eux.
1 Voir Mathé, Alexis, Les Mutations de la stratégie vietnamienne face à la Chine : entre développement d’une force militaire régionale moderne et partenariats stratégiques.
2 Source AFP
3 Voir Mathé, Alexis, Les Mutations de la stratégie vietnamienne face à la Chine : entre développement d’une force militaire régionale moderne et partenariats stratégiques.
4 ibid
5 Voir Gédéon, Laurent. 2019. « Vietnam : une géopolitique en mutation au risque d’un dilemme stratégique ? ».
Bibliographie
Courmont, B., & Mottet, É. 2017. « La mer de Chine méridionale : une mer chinoise ? » Diplomatie, 84, 40–44. En ligne.
https://www.jstor.org/stable/26982897
Delalande, Philippe. 2014. « VIETNAM : Le dragon émergent sera-t-il absorbé par l’économie chinoise ? »Diplomatie, 67, 74–77. En ligne.
https://www.jstor.org/stable/26982335
Gédéon, Laurent. 2019. « Vietnam : une géopolitique en mutation au risque d’un dilemme stratégique ? », Moussons, 33, 143-173. En ligne.
https://journals.openedition.org/moussons/5052#tocto2n6
Mathé, Alexis, Les Mutations de la stratégie vietnamienne face à la Chine : entre développement d’une force militaire régionale moderne et partenariats stratégiques. En ligne.
https://www.iris-france.org/wp-content/uploads/2018/07/Asia-Focus-82.pdf