LE VIETNAM AUX QUATRE VENTS
Par Ryan Hochberg
Pour beaucoup d’expatrié, il est normal de chercher quelconque moyen pouvant faire ressentir une certaine nostalgie de sa terre natale. Le pouvoir qu’un simple phô peut avoir sur un vietnamien loin de chez lui est loin d’être négligeable, que ces derniers soient au Nouveau Monde, dans l’Ancien Monde ou tout simplement de l’autre côté de la frontière vietnamienne. En effet, dans le cas du Canada, la diaspora vietnamienne présente dans le pays du Grand Nord était la cinquième plus importante du pays en 2001.1 Cependant, on voit parmi les seconde et troisième générations d’immigrants un regain d’intérêt pour la mère patrie. Une question se pose alors. Quelle est la relation entre le Vietnam et sa diaspora ?
Tout d’abord, on désigne la diaspora vietnamienne sous le nom de Việt Kiều. Ce terme sino-vietnamien désigne toute personne d’un pays allant vivre dans un autre, vivant comme ou devenant citoyen de celui-ci; excluant de fait les étudiants ou travailleurs étrangers.2 On retrouve ce terme à la fois au sein de la culture populaire, comme dans la chansonSaigonde l’artiste George Ka, et dans les documents officiels du gouvernement vietnamien.
Les Việt Kiều sont une diaspora de plus de « 4 millions de Vietnamiens établis aujourd’hui dans un peu plus d’une centaine de pays étrangers, sur une population actuelle d’environ 90 millions d’habitants ».3 Cette population constituait en 1975, et constitue toujours pour le Vietnam, un vivier économique sur lequel s’appuyer. En effet, une large partie des familles ayant fui le Vietnam à la suite de la Deuxième Guerre indochinoise furent séparées par ce même conflit.
De ce fait, les Việt Kiều sont enclins à envoyer de l’argent ainsi que des biens à leur famille rester au Vietnam.4 Ces différents transferts d’argent s’effectuent non sans peine par ces expatriés qui ont fait le sacrifice de quitter une terre familière pour se lancer dans l’aventure d’une vie nouvelle, souvent difficile mais bénéfique pour leur famille rester au pays.
De plus, il existe au sein des populations Việt Kiều un phénomène d’érosion du sentiment anticommuniste ayant marqué une partie des immigrants vietnamiens à l’étranger.5 En effet, loin de rappeler le soutien au gouvernement communiste de la période pré-1975 6, les deuxièmes, voir troisièmes générations de migrants s’éloignent de la position anticommuniste de l’élite sud-vietnamienne ayant fui le pays avant, pendant et après la chute de Saïgon. Dans un défaut de survie, leurs parents et grands-parents n’ont pas forcément transmis l’héritage culturel et historique de leur pays d’origine. Cependant, ces derniers sont liés par leurs racines au Vietnam et de facto la Deuxième Guerre indochinoise7.En quête d’une identité et d’appartenance 8, ils se tournent vers la terre de leur père, mère ou grands-parents là où leur culture d’adoption ne suffit pas à répondre à leurs questions.
Il existe ainsi un vivier de population aux atouts socio-économiques sur lequel le Vietnam peut s’appuyer à l’étranger. Cependant, cet appui, même si notable et au potentiel non négligeable, ne fut pas immédiatement utilisé par le gouvernement vietnamien.
En effet, il faudra attendre 1994 et la fin de l’embargo américain sur le Vietnam afin que les premières lois, dressées par le Comité des Vietnamiens de l’étranger, fussent mise en vigueur et que les premiers Việt Kiều furent autorisés à s’installer définitivement au Vietnam.9 Cependant, le gouvernement vietnamien, aux sorties de son isolement diplomatique, n’hésite pas à tisser sa toile diplomatique autour des pays à forte concentration diasporique vietnamienne.10 Ainsi, la volonté d’attirer la diaspora vietnamienne vers la mère patrie reste fondamentale dans la politique étrangère du Vietnam, cela à travers des liens nationaux qu’entretiennent les différentes diasporas vietnamiennes, bonnant malant.
En effet, lors de la crise sino-vietnamienne du printemps 2014, l’appartenance à la nation vietnamienne prit le dessus sur les positions politiques de chacun des groupes, et tous se manifestèrent pour « la commune défense de l’intégrité territoriale du pays des ancêtres ». 11 Cet évènement est révélateur du lien qui unit encore et toujours les populations vietnamiennes d’outre-mer avec celles continentales.
Ainsi, nous pouvons donc dire que la diaspora vietnamienne ou Việt Kiều possède de nombreuses cordes à son arc. Économiquement, elle représente une force de par les liens qui unissent les familles séparées par la Deuxième Guerre indochinoise. Diplomatiquement, elle constitue un point d’appui sur lequel le Vietnam peut se projeter à l’international. Culturellement, par les enfants de migrants en quête de leurs racines ancestrales. Enfin, stratégiquement de par un sentiment d’appartenance à la nation vietnamienne qui, après trois guerres et un isolement politique et international, subsiste dans le cœur de beaucoup de ces Việt Kiều.
Ils sont vietnamiens. Envers et contre tout
1 Voir Statistiques Canada, p.9
2 Voir Phong Dan, p.185
3 Voir Journaud Pierre, p.97
4 Voir Phong Dan, p.187
5 Voir Tran Quan Tue, p.35
6 Voir Phong Dan, p.185
7 Voir Koh Priscilla, p.116
8 ibid, p.117
9 Voir Journaud Pierre, p.104
10 ibid, p.105
11 ibid, p.108
Bibliographie :
Cooking With Morgane. (2021, 15 Février). Pho : Soupe vietnamienne au bœuf et aux pâtes de riz, la plus aimée en Asie du sud-est [vidéo]. Youtube. https://www.youtube.com/watch?v=n5GpAW0bNzU
Duong, Lan. 2016. « Việt Nam and the Diaspora: Absence, Presence, and the Archive ». In Looking Back on the Vietnam War, édité par Brenda M. Boyle et Jeehyun Lim, 64‑78. Twenty-first-Century Perspectives. Rutgers University Press. https://www.jstor.org/stable/j.ctt1c3gx00.9.
George Ka. (2019, 19 Octobre). Saigon [vidéo]. Youtube. https://www.youtube.com/watch?v=To5wgj9mMnQ
Gouvernement du Canada, Statistique Canada. 2021. « La communauté vietnamienne au Canada ». Consulté le 25 novembre 2021. https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/89-621-x/89-621-x2006002-fra.pdf.
Journoud, Pierre. 2015. « Les relations ambivalentes entre l’État-parti vietnamien et les Vietnamiens de l’étranger ». Hérodote 157 (2): 97‑111. https://doi.org/10.3917/her.157.0097.
Koh, Priscilla. 2015. « Return of the Lost Generation?: Search for Belonging, Identity and Home among Second- Generation Viet Kieu ». In Transnational Migration and Asia: The Question of Return, édité par Michiel Baas, 115‑34. Amsterdam University Press. https://doi.org/10.1017/9789048523306.008.
« Overseas remittances to Vietnam continue increasing ». 2018. SGGP English Edition. 28 décembre 2018. Consulté le 25 Novembre 2021. https://sggpnews.org.vn/content/NzY1ODg=.html.
Phong, Dang, Laurence Husson, et Yves Charbit. 2000. « La Diaspora Vietnamienne : Retour et Intégration Au Vietnam ». Revue Européenne Des Migrations Internationales 16 (1): 183‑205. https://doi.org/10.3406/remi.2000.1713.
Tran, Quan Tue. 2016. « Broken, but Not Forsaken: Disabled South Vietnamese Veterans in Vietnam and the Vietnamese Diaspora ». In Looking Back on the Vietnam War, édité par Brenda M. Boyle et Jeehyun Lim, 34‑49. Twenty-first-Century Perspectives. Rutgers University Press. https://www.jstor.org/stable/j.ctt1c3gx00.7.