par Anaïs Robeyrenc
Depuis juillet 2020, la jeunesse thaïlandaise milite activement en faveur de la démocratie, des droits de l’Homme et d’une réforme profonde de la monarchie. Aujourd’hui, les manifestants possèdent une arme puissante pour faire valoir leurs droits : les réseaux sociaux. À travers la campagne #FreeYouth, la technologie s’associe à la lutte pour la démocratie en Thaïlande, et l’érige comme enjeu d’ordre transnational.
La jeunesse : principale actrice du militantisme thaïlandais
Le Free Youth Movement est apparu en Thaïlande en février 2020 en réaction à la décision de la Cour Constitutionnelle de dissoudre le parti d’opposition politique « Anakhot Mai »[1]. La justification officielle de la Cour tient au fait que le fondateur et président du parti aurai accordé à son parti un prêt de six millions d’euros avant le dernier scrutin[2]. D’un autre côté, cela est perçue comme une manœuvre politique pour museler le principal parti pro-démocratie en Thaïlande[3]. Anakhot Mai représentait une véritable promesse de renouveau politique. Ce fut donc un véritable coup de grâce pour une grande partie de la population et notamment pour la jeunesse fortement affectée par le passé politique de la Thaïlande. En effet, depuis 1932, la Thaïlande est une monarchie qui vacille entre putschs militaires et processus de démocratisation. La génération du Free Youth Movement est justement née durant la transition démocratique entre 1997 et 2000, et est particulièrement attachée aux valeurs de démocratie et de libertés politiques[4]. Bien plus encore, cette génération, également nommée « Génération Z », émerge et évolue dans une société profondément marquée par les réseaux sociaux[5]. Elle dispose depuis les années 2000 d’un espace d’expression libérée de la sphère étatique et d’un accès plus large à l’information. Exigeante et engagée, la « Génération Z » thaïlandaise se distingue des générations précédentes par son pouvoir d’influence hérité des outils numériques[6]. Ainsi, les manifestations de 2020 furent l’expression de la colère accumulée depuis le coup d’État de 2014 et la réécriture de la Constitution en 2017. Les plateformes numériques constituent alors les catalyseurs de cette colère en Thaïlande.
Les réseaux sociaux : un nouvel outil au service des revendications démocratiques
L’émergence d’Internet et des réseaux sociaux a permis de démocratiser l’accès à la sphère politique en ouvrant un nouvel espace d’échange et d’expression libre. Quelques-unes des personnalités les plus influentes du mouvement #FreeYouth ont affirmé l’importance de Twitter dans la récolte et la diffusion d’informations alternatives à celles du gouvernement, et dans leur motivation à s’engager sur la scène politique[7]. Actuellement, le tweet le plus viral en Thaïlande reprend la devise « Long live the king » et a été détournée en « Long live democracy ! »[8]. Selon les études de Manuel Castells, il est effectivement possible de distinguer clairement le Free Youth Movement avec leurs prédécesseurs de par la structure organisationnelle du mouvement. En raison du rôle pivot que possède Twitter, le mouvement est moins institutionnalisé mais plutôt décentralisé et déconnecté des partis politiques maximisant de fait la participation et l’émergence de nouvelles idées ainsi que l’autonomie du mouvement par rapport au système politique[9].
La transnationalisation de la démocratie par le « hashtag activism »
Le Free Youth Movement est le premier groupe de militant qui est parvenu à provoquer un tel mouvement de protestation contre le gouvernement et en faveur de la démocratie[10]. Les réseaux sociaux, et notamment Twitter, ont joué un rôle essentiel dans le succès de cette campagne de contestation[11]. Pour la première fois dans l’histoire contemporaine de la Thaïlande, le numérique est devenu un outil politique. En effet, le mouvement s’est rapidement diffusé sur Twitter au moyen d’une fonctionnalité propre aux réseaux sociaux : l’hashtag[12]. C’est une technique qui revient à sélectionner un mot ou une phrase clé que l’on précède du symbole dièse[13]. #FreeYouth est donc l’hashtag mise en place pour diffuser les idées du mouvement et mobiliser la population. Cet hashtag est notamment inséré dans un message posté sur Twitter ou un autre réseau social, qui par définition ne possède pas de frontières. Dans ce cas, l’hashtag réunissait majoritairement des messages de mécontentement envers le gouvernement et le premier ministre, des revendications en faveur de la démocratie et la fin de la dictature, et la demande de respect des droits individuels[14]. Plus concrètement, le #FreeYouth est devenu le second hashtag le plus viral en Thaïlande en 2020 prouvant toute la force de l’activisme en ligne[15]. En plus de donner de la force à leurs revendications, l’hashtag a donné une résonance transnationale au mouvement. En effet, les utilisateurs du monde entier ont pu lire les revendications et échanger avec les militants thaïlandais. C’est donc un mouvement qui a transcendé les frontières à travers l’utilisation de l’hashtag amplifiant la visibilité et la légitimité du mouvement.
En Asie du Sud-Est, le « hashtag activism » est donc une forme d’action collective transnationale. En effet, le #MilkTeaAlliance, regroupant les militants de Hong Kong, Taïwan et Thaïlande, s’est formé en avril 2020 sur les réseaux sociaux. Bien plus qu’une fonctionnalité technique, cet hashtag est donc symbole d’une unification des luttes et des revendications pan-asiatiques en faveur de la démocratie[16]. L’écho international provoqué accentue le processus de transnationalisation de la démocratie dans la région et dans le monde, et ce notamment grâce à la force des réseaux sociaux.
[1] Cabot, Cyrielle. 2020. « Les manifestations en Thaïlande en cinq points », [En ligne] https://asialyst.com/fr/2020/11/03/thailande-manifestations-democratie-monarchie/ (Page consultée le 23 octobre 2021)
[2] Philip, Bruno. 2020. “En Thaïlande, la justice dissout l’un des principaux partis d’opposition », Le Monde [En ligne] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/22/en-thailande-le-parti-du-nouvel-avenir-n-a-plus-de-futur_6030466_3210.html (Consultée le 19 décembre 2021).
[3] Ibid.
[4] Boisseau du Rocher, Sophie. 2020. « Manifestations en Thaïlande : la jeunesse face au système », Lettre du Centre Asie, n°85, Ifri.
[5] Gentina, Elodie, and Marie-Eve Delecluse. 2018. « Génération Z: Des Z consommateurs aux Z collaborateurs ». Dunod.
[6] Sinpeng, Aim. 2021. « Hashtag activism: social media and the #FreeYouth protests in Thailand », Critical Asian Studies, 53:2, pp. 192-205.
[7] Sinpeng, Aim. 2020. « Twitter Analysis of the Thai Free Youth Protests » [En ligne] https://www.thaidatapoints.com/post/twitter-analysis-of-the-thai-free-youth-protests (Page consultée le 23 octobre 2021)
[8] Ibid
[9] Castells, Manuel. 2015. Networks of Outrage and Hope: Social Movements in the Internet Age. Cambridge: Polity Press.
[10] Sinpeng, Aim. 2021. « Hashtag activism: social media and the #FreeYouth protests in Thailand », Critical Asian Studies, 53:2, pp. 192-205.
[11] Ibid
[12] Ibid
[13] De La Porte, Xavier. 2016. « #BlackLivesMatter ou comment le hashtag devient un outil politique » [En ligne] https://www.franceculture.fr/emissions/la-revue-numerique/blacklivesmatter-ou-comment-le-hashtag-devient-un-outil-politique (Page consultée le 25 octobre 2021)
[14] Sinpeng, Aim. 2021. « Hashtag activism: social media and the #FreeYouth protests in Thailand », Critical Asian Studies, 53:2, pp. 192-205.
[15] Ibid
[16] Schaffar, W., & Praphakorn, W. 2021. « The# MilkTeaAlliance: A New Transnational Pro-Democracy Movement Against Chinese-Centered Globalization?». Austrian Journal of South-East Asian Studies, 14:1, pp. 5-36.
Bibliographie
Boisseau du Rocher, Sophie. 2020. « Manifestations en Thaïlande : la jeunesse face au système », Lettre du Centre Asie, n°85, Ifri.
Cabot, Cyrielle. 2020. « Les manifestations en Thaïlande en cinq points », [En ligne] https://asialyst.com/fr/2020/11/03/thailande-manifestations-democratie-monarchie/ (Page consultée le 23 octobre 2021)
Castells, Manuel. 2015. « Networks of Outrage and Hope: Social Movements in the Internet Age ». Cambridge: Polity Press.
De La Porte, Xavier. 2016. « #BlackLivesMatter ou comment le hashtag devient un outil politique » [En ligne] https://www.franceculture.fr/emissions/la-revue-numerique/blacklivesmatter-ou-comment-le-hashtag-devient-un-outil-politique (Page consultée le 25 octobre 2021)
Gentina, Elodie, and Marie-Eve Delecluse. 2018. « Génération Z: Des Z consommateurs aux Z collaborateurs ». Dunod.
Philip, Bruno. 2020. “En Thaïlande, la justice dissout l’un des principaux partis d’opposition », Le Monde [En ligne] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/02/22/en-thailande-le-parti-du-nouvel-avenir-n-a-plus-de-futur_6030466_3210.html (Consultée le 19 décembre 2021).
Schaffar, W., & Praphakorn, W. 2021. « The# MilkTeaAlliance: A New Transnational Pro-Democracy Movement Against Chinese-Centered Globalization? ». Austrian Journal of South-East Asian Studies, 14:1, pp. 5-36.
Sinpeng, Aim. 2021. « Hashtag activism: social media and the #FreeYouth protests in Thailand », Critical Asian Studies, 53:2, pp. 192-205.
Sinpeng, Aim. 2020. « Twitter Analysis of the Thai Free Youth Protests » [En ligne] https://www.thaidatapoints.com/post/twitter-analysis-of-the-thai-free-youth-protests (Page consultée le 23 octobre 2021)