Par Roxanne Larouche
La Birmanie est le second plus grand producteur d’opium au monde après l’Afghanistan et est grandement impliqué dans la production et le trafic de méthamphétamines [1]. En effet, selon le rapport de 2020 de l’Office des Nations unies contre les drogues et le crime (UNODC), en 2020 le Gouvernement de la République de l’Union du Myanmar (GOUM) a saisi plus de 6 506kg d’opium et 1389kg d’héroïne [2].
L’ampleur du problème : niveau majeur !
Le problème primordial de la Birmanie n’est pas la drogue en tant que telle puisque celle-ci a toujours été une partie importante de leur économie depuis l’époque coloniale. Cependant, le problème, devenu majeur, est qu’à partir de son indépendance, la Birmanie s’est élevée au rang de producteur mondial [3]. Par exemple, selon UNODC, elle serait la principale fournisseuse d’opium et d’héroïne dans l’Est et le Sud-Est de l’Asie et de même pour l’Australie [4].
L’importance de l’industrie du narcotrafic comme pilier économique de la Birmanie démontre l’ampleur qu’a prise cette industrie. En 2020, selon la banque mondiale et le rapport du UNODC, le revenu brut total de l’économie de l’opium en Birmanie s’élevait entre 502 millions et 1.58 milliard US$ [5]. Ce montant est l’équivalent de 0.7-2.1% de leur PIB en 2019 [6].
Le Triangle d’or, un espace transnational
Le Triangle d’or est l’un des premiers carrefours au monde pour le trafic d’opium et de méthamphétamine [7]. Celui-ci regroupe trois pays de l’Asie du Sud-Est, soit la Birmanie, la Thaïlande et le Laos. Cependant, ce carrefour international de trafic de drogue n’est pas arrivé du jour au lendemain. La production et la commercialisation illicite d’opium dans cet espace se sont développées de la fin de la Seconde Guerre mondiale au début des années 1990 [8].
Le Triangle d’or à des caractéristiques géopolitiques particulier qui le rend justement propice à l’activité illicite. Il est caractérisé par son espace polyethnique et interétatique, donc qui possède plusieurs frontières avec d’autres états [9]. En d’autres mots, les frontières de cet espace permettent un commerce transnational avec d’autres pays et permet donc une plus grande circulation de la drogue. Puis, cet espace polyethnique entraine des problèmes politiques et des conflits ethniques, ce qui favorise la production et la distribution de méthamphétamine et d’opiums [10]. Par exemple, une grande partie de l’héroïne transportée dans le Triangle d’or passe par les 2400 km de frontière commune entre la Birmanie et la Thaïlande [11].
La « Guerre contre la drogue » ?
Cette menace non traditionnelle que représente le trafic de drogues transnational mobilise l’intérêt de la communauté internationale, de l’ASEAN et des pays de la région directement touchés par cet enjeu. La communauté de l’ASEAN est soutenue par le 2015 ASEAN Drug-Free declaration. De plus, il y a eu des mouvements de coopération et d’organisation multilatérale telle que les UN, UNODC, des forums sur la lutte anti-narcotique [12]. En ce qui concerne la Birmanie, celle-ci a augmenté l’adoption de mesure répressive telle que l’éradication des cultures illégales de pavot, dont l’objectif était l’éradication complète de ces cultures en 15 ans [13].
Pourquoi, malgré la lutte anti-trafic, celui-ci persiste-t-il ?
Cette lutte semble être inefficace vu l’augmentation de la production de drogue et du trafic illégal. Cette continuité peut s’expliquer par plusieurs facteurs, dont le plus important étant la corruption. En effet, la Birmanie est un pays avec un énorme problème de corruption. D’ailleurs, selon l’index de la perception de la corruption dressé par Transparence Internationale, la Birmanie se trouve au 137e rang sur 180 pays et son indice est de 28/100 en 2020 [14]. Il faut tenir compte que 0 équivaut au plus haut niveau de corruption et le 100 équivaut au niveau le plus bas de corruption, soit inexistant. De plus, il y a une présence de réseaux de patronage autour du commerce de la drogue [15]. Malgré les efforts de l’ASEAN pour combattre le trafic et la production de drogue dans le Triangle d’or, la Birmanie ? La lutte anti-trafic se bute à plusieurs obstacles tels que le manque de coopération multilatérale, le manque de ressource et encore une fois la corruption interne [16].
Situation actuelle, avantageuse pour les trafiquants ?
Le 21 février 2021 a eu lieu le coup d’État au Myanmar par la jante militaire. Depuis, le pays sombre dans une crise économique et une crise de sécurité politique. Cette situation préconise et favorise l’industrie illicite et l’augmentation de la production de narcotique. D’une part, la crise économique poussera les habitants encore plus vers la misère et la pauvreté et ils se tourneront vers l’économie illicite. Cette économie illicite représente une « chance » d’emploi et de revenu pour plusieurs. D’une autre part, la crise de sécurité politique entraine un faible encadrement des règlements concernant le trafic illicite et sans compter que plusieurs militaires corrompus participent à celui-ci. Comme Jeremy Douglas, un représentant régional de l’Asie du Sud-Est et du Pacifique de UNODC mentionne : « Nous sommes concernées que la production et le trafic de drogue, déjà étant à un niveau élevé, augmente » [17].
De plus, la violence augmente à l’intérieur du pays. La crise civile et politique motivera les milices et les organisations armées des minorités ethniques à utiliser les revenus économiques du trafic de drogue pour financer leurs activités militaires [18]. Une situation propice et idéale pour l’augmentation du trafic de narcotique. D’ailleurs, plusieurs pays voisins s’attendent à une augmentation de celle-ci et peuvent représenter une menace comme pour la Thaïlande. Pour le trafic de drogue en Thaïlande, vous pouvez aller consulter l’article de Jade Lee Kui qui traite cet enjeu.
Figure 3. Le UNODC averti que la crise politique au Myanmar pouvait potentiellement engendrer une augmentation du trafic de drogue
Référence
[1] Nathan Harper et Nathan Tempra, « Drug trafficking in the Golden Triangle: The Myanmar problem and ASEAN effectiveness », Jurnal Sentris 1 (19 août 2020): 117, https://doi.org/10.26593/sentris.v1i1.4171.116-124.
[2] United Nations Office on Drugs and Crime, « Myanmar Opium Survey: Cultivation, Production and Implications », janvier 2021, ii, https://www.unodc.org/documents/southeastasiaandpacific//Publications/2021/Myanmar_Opium_survey_2020.pdf.
[3] Sarah Éthier-Sawyer, « Dompter le dragon : l’économie politique de la drogue et le conflit armé en Birmanie » (Thèse de maitrise, Département de science politique, Université de Montréal, 2014), 10.
[4] United Nations Office on Drugs and Crime, « Myanmar Opium Survey: Cultivation, Production and Implications », 2.
[5] Ibid., 19.
[6] Ibid.
[7] Harper et Tempra, « Drug trafficking in the Golden Triangle », 117.
[8] Pierre-Arnaud Chouvy, « La frontière, interface des trafics dans le Triangle d’or », L’Espace Politique. Revue en ligne de géographie politique et de géopolitique, no 24 (12 janvier 2015): 2, https://doi.org/10.4000/espacepolitique.3171.
[9] Ibid., 4.
[10] Harper et Tempra, « Drug trafficking in the Golden Triangle », 117.
[11] Ibid.
[12] Rendi Prayuda et al., « Constructions of the Norms and Values of ASEAN towards Drug Trafficking in Southeast Asia », 1 janvier 2019, 270.
[13] Sarah Éthier-Sawyer, « Dompter le dragon : l’économie politique de la drogue et le conflit armé en Birmanie », 36.
[14] « 2020 – CPI », Transparency.org, https://www.transparency.org/en/cpi/2020.
[15] Sarah Éthier-Sawyer, « Dompter le dragon : l’économie politique de la drogue et le conflit armé en Birmanie », 37.
[16] Nathan Harper et Nathan Tempra, « Drug trafficking in the Golden Triangle », 116.
[17] Rupert Stone, « Myanmar Coup Provides Drug Traffickers with Ideal Conditions », Nikkei Asia, 05 2021, https://asia.nikkei.com/Spotlight/Myanmar-Crisis/Myanmar-coup-provides-drug-traffickers-with-ideal-conditions.
[18] Ibid.
Bibliographies
Transparency.org. « 2020 – CPI ». Consulté le 7 octobre 2021. https://www.transparency.org/en/cpi/2020.
Chouvy, Pierre-Arnaud. « La frontière, interface des trafics dans le Triangle d’or ». L’Espace Politique. Revue en ligne de géographie politique et de géopolitique, no 24 (12 janvier 2015). https://doi.org/10.4000/espacepolitique.3171.
Éthier-Sawyer, Sarah. « Dompter le dragon : l’économie politique de la drogue et le conflit armé en Birmanie ». Thèse de maitrise, Université de Montréal, 2014.
Harper, Nathan, et Nathan Tempra. « Drug trafficking in the Golden Triangle: The Myanmar problem and ASEAN effectiveness ». Jurnal Sentris 1 (19 août 2020): 116‑24. https://doi.org/10.26593/sentris.v1i1.4171.116-124.
Prayuda, Rendi, Muhammad Arsy, Ash Shiddiqy, Rio Sundari, et Tito Handoko. « Constructions of the Norms and Values of ASEAN towards Drug Trafficking in Southeast Asia », 1 janvier 2019.
Stone, Rupert. « Myanmar Coup Provides Drug Traffickers with Ideal Conditions ». Nikkei Asia, 05 2021. https://asia.nikkei.com/Spotlight/Myanmar-Crisis/Myanmar-coup-provides-drug-traffickers-with-ideal-conditions.
United Nations Office on Drugs and Crime. « Myanmar Opium Survey: Cultivation, Production and Implications », janvier 2021. https://www.unodc.org/documents/southeastasiaandpacific//Publications/2021/Myanmar_Opium_survey_2020.pdf.
FIGURE:
Figure 1 — United Nations Office on Drugs and Crime, « Myanmar Opium Survey: Cultivation, Production and Implications », janvier 2021, p.27, https://www.unodc.org/documents/southeastasiaandpacific//Publications/2021/Myanmar_Opium_survey_2020.pdf.
Figure 2 — UNODC; Oxford Analytica (oxan.com/Analysis/GA245613/Methamphetamine-is-growing-)
Figure 3 (VIDEO) — The United Nations Office on Drugs and Crime has warned that Myanmar’s political crisis could potentially lead to more illegal drug smuggling across the border into Thailand. https://www.youtube.com/watch?v=MQ11qGlvpEU