Par Lucile MULLER
Le 4 décembre dernier, dans le cadre d’une conférence de presse organisée à la suite du nouvellement créé Comité de haut niveau Malaisie-Chine, le ministre des Affaires étrangères malaisien Datuk Saifuddin Abdullah a déclaré s’être mis d’accord avec la Chine pour maintenir la paix en mer méridionale de Chine, qualifiant les différents territoriaux d’un « petit hic » dans ses relations bilatérales fusionnelles avec la puissance. En utilisant une expression quelque peu euphémique, le ministre démontre une volonté de favoriser sa coopération avec la Chine aux dépens de ses revendications territoriales.
Pourtant, il y a six mois de cela, le gouvernement malaisien avait réagi au survol de seize avions militaires chinois au large de l’État oriental du Sarawak en statuant ceci : « La position de la Malaisie est claire : avoir des relations diplomatiques amicales avec n’importe quel pays ne signifie pas que nous ferons des compromis sur notre sécurité nationale ». La position de la Malaisie apparaît alors comme étant quelque peu ambivalente : le gouvernement, selon le moment, soutient plus ou moins ses revendications territoriales ; ne souhaitant froisser aucune partie du conflit. On tâchera ici d’éclaircir cette politique.
Il est important de noter tout d’abord que l’implication de la Malaisie dans les conflits territoriaux en mer méridionale de Chine est relativement récente contrairement à certains de ses voisins comme le Viêtnam. Ce n’est en effet qu’à partir de 2013, lorsque des informations ont fait état de la présence de « quatre navires de la marine chinoise de l’Armée populaire de libération (PLAN) dans les eaux entourant James Shoal » [1] que l’intégrité territoriale et les intérêts nationaux de la Malaisie ont été ouvertement remis en question. L’État occupait jusqu’alors une position d’observateur distant. Cette intrusion chinoise, bien que violant la législation internationale et marquant un tournant dans les conflits territoriaux en Malaisie, n’a curieusement pas provoqué de réactions particulières chez le gouvernement malaisien. La seule réaction notable qui soit advenue fut celle du chef des forces de défense malaisiennes, Zulkifeli Mohd Zin : il avait affirmé que les navires chinois du PLAN, étant revenus dans la même zone pour un « serment de souveraineté », « s’étaient égarés dans les eaux malaisiennes lors d’un passage innocent » [2]. En minimisant ainsi l’incident, l’État malaisien démontre une réelle volonté de ne pas se mettre la Chine à dos publiquement, dépendant économiquement de la puissance [3].
Cette manière de gérer les conflits territoriaux est d’ailleurs particulièrement appréciée par l’État chinois : « en novembre 2014, le président chinois Xi Jinping a explicitement fait l’éloge de la « diplomatie discrète » adoptée par la Malaisie pour aborder la question de la mer de Chine méridionale au lieu de s’en remettre à la confrontation ou l’arbitrage international » [4].
Cependant, on pourrait alors penser que cette défense de la Chine par la Malaisie provoquerait certains mécontentements au sein de la communauté des pays d’Asie du Sud-Est, s’opposant eux clairement pour la plupart aux actions chinoises dans leurs eaux nationales. C’est pourtant là que réside l’aspect zéro risque de la politique malaisienne : tout en ne s’opposant pas publiquement à la Chine, l’État soutient les initiatives de réglementation de l’expansion chinoise par l’ASEAN et travaille avec l’organisation pour « forger un front uni contre la coercition » [5]. La Malaisie n’irrite alors aucun autre pays de la région puisqu’elle se place d’une certaine manière comme un allié pour les deux camps : sa stratégie de ne pas prendre de risques est alors particulièrement notable.
Ceci est également mis en lumière par sa mobilisation du droit international. En effet, le 12 juillet 2016, le tribunal arbitraire prévu par l’annexe VII de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM) de 1982 a rendu sa sentence en faveur des Philippines par rapport à la Chine et ceci a provoqué chez le gouvernement malaisien des sentiments partagés. D’une part, « la Malaisie a reconnu que la sentence avait renforcé le droit international ainsi que ses propres revendications qu’elle cherche à protéger face à l’affirmation croissante de la Chine » [6] et félicita alors cette initiative légale. D’autre part, l’État soutint également le rejet de cette sentence par la puissance chinoise, énonçant que « toutes les parties concernées peuvent trouver des moyens constructifs de développer des dialogues, des négociations et des consultations sains tout en maintenant la suprématie de l’État de droit pour la paix, la sécurité et la stabilité de la région » [7]. La Malaisie emploie alors ici une stratégie que l’on peut décrire comme « hedging » [8], soit de couverture : elle se place au milieu des puissances en tâchant de défendre ses intérêts ; alors que la Chine est ici légalement condamnée.
En somme, le gouvernement malaisien évite au possible de prendre parti dans les conflits territoriaux. En adoptant en effet d’une part une diplomatie discrète, exprimant son mécontentement en privé à la Chine, mais également une politique de couverture, se plaçant au milieu des puissance ; la Malaisie préserve ses intérêts en ne prenant aucun risque. Néanmoins, dans le cas d’une possible expansion chinoise, la Malaisie se verra sûrement contrainte de prendre un parti et donc de se mettre à dos soit la Chine soit l’ASEAN.
A voir aussi : La Malaisie, élève modèle des interventions maritimes en Asie du Sud-Est
[1] Noor, Elina. “Understanding Malaysia’s Approach to the South China Sea Dispute.” p.21
[2] Noor, Elina. p.23
[3] Lockman, Shahriman, and Institute of Strategic and International Studies. “The 21st Century Maritime Silk Road and China-Malaysia Relations.” p.2
[4] [5] Parameswaran, Prashanth. “Playing It Safe: Malaysia’s Approach to the South China Sea and Implications for the United States.” p.6
[6] Parameswaran, Prashanth “Malaysia’s Approach to the South China Sea Dispute after the Arbitral Tribunal’s Ruling.” p.376
[7] Parameswaran, Prashanth. “Malaysia’s Approach to the South China Sea Dispute after the Arbitral Tribunal’s Ruling.” p.377
[8] Cheng-Chwee Kuik “The Essence of Hedging: Malaysia and Singapore’s Response to a Rising China”
BIBLIOGRAPHIE
Textes scientifiques
Cheng-Chwee, Kuik. “The Essence of Hedging: Malaysia and Singapore’s Response to a Rising China.” Contemporary Southeast Asia 30, no. 2 (2008): 159–85. http://www.jstor.org/stable/41220503. (Consulté en ligne le 08/12/21)
Lockman, Shahriman, and Institute of Strategic and International Studies. “The 21st Century Maritime Silk Road and China-Malaysia Relations.” ISIS Focus: May 2015. Institute of Strategic and International Studies, 2015. http://www.jstor.org/stable/resrep13552.1. (Consulté en ligne le 08/12/21)
Lockman, Shahriman, and Institute of Strategic and International Studies. “The 21st Century Maritime Silk Road and China-Malaysia Relations.” ISIS Focus: May 2015. Institute of Strategic and International Studies, 2015. http://www.jstor.org/stable/resrep13552.1. (Consulté en ligne le 08/12/21)
Noor, Elina. “Understanding Malaysia’s Approach to the South China Sea Dispute.” Edited by Murray Hiebert, Gregory B. Poling, and Conor Cronin. In the Wake of Arbitration: Papers from the Sixth Annual CSIS South China Sea Conference. Center for Strategic and International Studies (CSIS), 2017. http://www.jstor.org/stable/resrep23138.5. (Consulté en ligne le 08/12/21)
Noor, Elina. “Foreign and Security Policy in the New Malaysia.” Lowy Institute for International Policy, 2019. http://www.jstor.org/stable/resrep19795. (Consulté en ligne le 08/12/21)
Parameswaran, Prashanth. “Playing It Safe: Malaysia’s Approach to the South China Sea and Implications for the United States.” Center for a New American Security, 2015. http://www.jstor.org/stable/resrep06196. (Consulté en ligne le 08/12/21)
Parameswaran, Prashanth. “Malaysia’s Approach to the South China Sea Dispute after the Arbitral Tribunal’s Ruling.” Contemporary Southeast Asia 38, no. 3 (2016): 375–81. http://www.jstor.org/stable/24916762. (Consulté en ligne le 08/12/21)
Articles de presse
Amy Chew « South China Sea: why Malaysia and Indonesia differ in countering Beijing’s maritime claims”, South China Morning Post, 28/10/21 South China Sea: why Malaysia and Indonesia differ in countering Beijing’s maritime claims | South China Morning Post (scmp.com) (Consulté en ligne le 08/12/21)