Par Karel Sauvageau
Bien que l’on connait la Corée du Sud comme d’ores et déjà un État excessivement prospère, dans les années 1960, il était extrêmement pauvre. Le PIB par habitant était d’environ 120 $US [1]. La péninsule sud-coréenne était alors bénéficiaire d’une importante aide au développement, et ce notamment en provenance du vaste archipel philippin. Ainsi, alors que les Philippines ont été par le passé un pays donateur d’aide à la Corée du Sud, aujourd’hui ils en sont receveurs. Déjà en 2010, il était question d’un don de 22 millions de dollars[2] à Manille qui a été versé pour des projets d’agriculture, et ce de la part de l’Agence de coopération internationale sud-coréenne, connue sous le nom de KOICA.
Figure 1 : https://fr.123rf.com/photo_59710564_puzzle-avec-le-drapeau-national-des-philippines-et-de-la-cor%C3%A9e-du-sud-sur-un-fond-de-carte-du-monde-il.html.
Ouvriers Philippins
Les Sud-Coréens étant devenus très scolarisés en parallèle du développement économique du pays, ils ont délaissé les secteurs d’activités marginalisés de type 3D[3]. Ainsi, dans les années 1990, le gouvernement sud-coréen a décidé d’instaurer un régime appelé « apprentis techniciens étrangers » (industrial trainee system) afin d’embaucher des travailleurs à moindres coûts, originaires surtout de l’Asie du Sud-Est. Une importante partie de ces travailleurs venaient des Philippines et en moins de 10 ans, cet afflux de travailleurs a augmenté de plus de sept fois[4]. Les conditions de travail de ces travailleurs étrangers étaient très difficiles et leurs droits très limités, c’est pourquoi dans les années 1990, des syndicats et associations des droits de l’homme ont commencé à dénoncer[5] ce régime d’embauches. C’est ainsi qu’après avoir repensé ce régime, le gouvernement sud-coréen a, en 2003, instauré une loi sur l’emploi des travailleurs étrangers (Employment permit system)[6]. Depuis, le programme de recrutement d’ouvriers étrangers étant géré adéquatement, la Corée du Sud accueille des centaines de Philippins chaque année, et ce pour des contrats de travail pouvant être reconduits entre 3 et 5 ans. Pour être sélectionnés, les candidats doivent suivre au minimum 38 heures de cours de coréen et 7 heures de formations en culture coréenne[7], en plus de devoir passer le test de langue coréenne, TOPIK[8].
Quant au développement industriel aux Philippines, il y a près de 100 000 Sud-Coréens s’y étant établis afin d’y développer leurs entreprises ou de travailler au sein des grands conglomérats sud-coréens. Ils considèrent l’archipel comme la destination idéale afin d’effectuer un séjour linguistique à moindres coûts dans ce pays reconnu comme étant anglophone. Les Sud-Coréens peuvent directement y recruter de la main-d’œuvre pour leurs entreprises et leurs sous-traitants qui s’y sont installés. Un homme d’affaires aux Philippines a d’ailleurs affirmé qu’« il est tellement courant de rencontrer des Coréens qui possèdent leur propre société qu’un des premiers mots que les locaux apprennent en coréen est le terme sachangnim (patron) »[9].
Relation bilatérale
Le gouvernement sud-coréen a noué de solides liens diplomatiques avec les Philippines depuis 1949[10], ce même avant le début de la guerre de Corée. Les relations bilatérales, caractérisées par une confiance et un soutien mutuels, ont débuté entre les deux pays lorsque les Philippines sont devenues le cinquième pays à reconnaître la Corée du Sud comme un État à part entière. Les Philippines ont d’ailleurs envoyé des troupes, soit plus de sept mille soldats, afin de défendre la péninsule du sud contre l’invasion du nord en 1950 pendant la guerre de Corée, ce qui démontrait déjà une forte collaboration entre les deux pays. En 1954, la Corée du Sud a envoyé aux Philippines un premier ambassadeur sud-coréen et de même les Philippines avaient envoyé un représentant diplomatique spécial au sein du gouvernement sud-coréen. Leur relation n’a fait que fleurir depuis, et ce avec déjà en 1958[11] une ambassade des Philippines à Séoul.
Les Philippines sont actuellement un partenaire commercial majeur de la Corée du Sud. La Corée du Sud était en 2006 le premier expéditeur de visiteurs dans l’archipel, avec plus d’un demi-million d’entrées[12]. Les deux gouvernements ont instauré de concert diverses ententes, entre autres concernant la délivrance de permis de travail des deux côtés. Les Philippines sont un partisan actif du processus de paix dans la péninsule coréenne quant aux efforts de réconciliation. Ils se sont joints à l’ambition internationale pour la dénucléarisation de la péninsule et voient cela comme une étape cruciale pour la sécurité et le développement économique continu de l’Asie. Ils préconisent une solution diplomatique à la question nucléaire nord-coréenne, cela par le biais d’un dialogue de collaboration multilatéral[13].
Malgré le contexte de la pandémie, les liens tissés entre les deux pays restent solides et ils souhaitent même renforcer leur entraide mutuelle en regard des efforts menés pour la paix dans la péninsule coréenne[14]. C’est d’ailleurs la Corée du Sud qui a soutenu les Philippines en matériel de protection pour contrer la pandémie de la COVID-19. Aussi, en réponse au typhon Goni qui a frappé l’Asie du Sud-Est, la Corée du Sud a déclaré en novembre 2020 qu’elle fournirait une aide humanitaire de 200 000 dollars[15] à l’archipel philippin. Il faut donc dire que la Corée du Sud a créé une relation de coopération très solide avec les Philippines et c’est ce qui lui permet de l’avoir comme allié majeur relativement à un ensemble important de décisions diplomatiques.
Figure 2 : https://m-fr.yna.co.kr/view/PYH20180504023900884?section=search.
Ainsi, la Corée du Sud aura bénéficié de la main-d’œuvre en provenance des Philippines pour son propre développement économique et aujourd’hui il est question de proposer une aide au développement à l’archipel. Cela afin de valoriser une coopération nouvelle, mais qui en soi reste dans le but de servir ses propres intérêts de développement et d’expansion de son influence. On peut d’ailleurs constater qu’aujourd’hui, lors de contextes difficiles, c’est bien la Corée du Sud qui aide les Philippines et non l’inverse.
[1] Tudor, Korea: The impossible country, 74.
[2] Tudor, 288.
[3] Dirty, Difficult, Dangerous, « sale, difficile, dangereux ».
[4] Kim, Sur le « multiculturalisme » à la coréenne, 157.
[5] Kim, 157.
[6] Kim, 158.
[7] Kim, Le Soft Power Sud-Coréen en Asie du Sud-Est : Une théologie de la prospérité en action, 29-30.
[8] Test of Proficiency in Korean.
[9] Kim, 38.
[10] Kim, 13.
[11] Embassy of the Republic of the Philippines, Philippine – Korean relations.
[12] Embassy of the Republic of the Philippines.
[13] Embassy of the Republic of the Philippines.
[14] Agence de Presse Yonhap, La Corée du Sud et les Philippines vont renforcer la coopération dans la défense.
[15] Agence de Presse Yonhap, Séoul fournira une aide de 200.000 dollars aux Philippines frappées par un typhon.
Bibliographie
Agence de Presse Yonhap. « La Corée du Sud et les Philippines vont renforcer la coopération dans la défense » 19 octobre, 2020. https://fr.yna.co.kr/view/AFR20201019003600884.
Agence de Presse Yonhap. « Séoul fournira une aide de 200.000 dollars aux Philippines frappées par un typhon » 5 novembre, 2020. https://fr.yna.co.kr/view/AFR20201105002100884.
Embassy of the Republic of the Philippines. « Philippine – Korean relations » s.d. Consulté le 7 avril 2020. http://www.philembassy-seoul.com/rp_rk_relations.asp.
Kim, Hui-yeon. Le Soft Power Sud-Coréen en Asie du Sud-Est : Une théologie de la prospérité en action. Bangkok : Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine, 2014. http://www.doi.org/10.4000/books.irasec.194.
Kim, Tae-Soo. « Sur le « multiculturalisme » à la coréenne ». Hérodote 2, no. 141 (2011) : 151–160.
Tudor, Daniel. Korea: The Impossible Country. Rutland : Tuttle Publishing, 2018.