Par Frédéric Provost
Selon un sondage mené en 2017, seulement 10 % de la population vietnamienne avait une opinion favorable de la Chine (1). Il faut dire que dans les dernières années, une rhétorique nationaliste anti-chinoise s’est développée au sein du pays. Pour causes, la dépendance économique du pays avec son voisin du nord, l’attitude de plus en plus agressive de la Chine dans la mer de Chine méridionale et, dans une moindre mesure, le ressentiment d’une occupation chinoise qui a duré quelque 1000 ans.
Or, contrairement à l’idée reçue que le Parti communiste vietnamien (PCV) est foncièrement nationaliste, le gouvernement de Hanoï a plutôt sévi contre les protestataires. En fait, cela évoque le jeu difficile d’équilibriste du PCV qui, d’une part, doit maintenir sa légitimité nationaliste en lien avec les luttes anti-coloniales qui ont marqué son histoire, et d’autre part, maintenir des relations économiques et cordiales avec la Chine, le plus important partenaire commercial du pays. Ce tiraillement est bien visible lorsqu’on étudie les différentes politiques mises en place par le PCV au fil du temps concernant son voisin.
Les politiques anti-chinoises du PCV
L’une des premières expressions du sentiment anti-chinois s’est développée au courant des années 1974-1978. On était alors dans les derniers moments de la guerre du Vietnam, où les forces communistes de la République démocratique du nord Vietnam étaient appuyées par Pékin dans son combat contre les Américains. C’est à ce moment que la Chine a commencé ses premières expansions territoriales au Vietnam, en particulier en réclamant les îles Paracel dès le retrait des forces de la République du Sud Vietnam en 1974 (2). De nombreuses escarmouches ont ainsi éclaté entre les deux voisins à leur frontière commune et c’est dans ce contexte que Hanoï a exacerbé de façon plus insistante les discours nationalistes anti-chinois. Les leaders vietnamiens ont ainsi rappelé à la population les héros nationaux qui ont combattu les envahisseurs chinois dans le passé et évoqué le danger d’une menace venant du Nord, ce qui a mené à des actes anti-chinois dans la population vietnamienne (3). Il faut dire qu’à cette époque, la notion de “nation” était imbriquée avec le communisme et le parti, ce qui explique en partie le succès de la rhétorique anti-chinoise du PCV (4). La position de Hanoï s’est raffermie davantage, en instituant l’assimilation forcée des populations chinoises, puisqu’on craignait que leur allégeance soit plutôt à Pékin (5). Cette politique d’assimilation reconnaissait aux populations chinoises une unique citoyenneté vietnamienne, et non la double nationalité sino-vietnamienne, et a permis aussi de nationaliser certaines entreprises capitalistes détenues par des marchands chinois (6). À la lumière de ces événements, la politique du Parti communiste vietnamien envers la population chinoise – et la Chine – était donc résolument nationaliste. Or, au fil des ans, notamment par l’ouverture économique du pays et un rapprochement commercial entre les deux pays, le PCV n’est plus aussi critique de Pékin, comme on peut le constater dans quelques cas récents.
Manifestations anti-chinoises
Dans les dernières années, quelques franges de la population vietnamienne ont ainsi pris la rue pour dénoncer ce qu’ils considèrent être des comportements prédateurs de la Chine. Une des manifestations récentes de cette rhétorique anti-chinoise s’est développée lors du financement de mines de bauxite au centre du pays, dont les impacts sur l’environnement étaient considérables (7). En 2014, par exemple, des démonstrations de taille variée ont eu lieu suite à l’établissement d’une plate-forme pétrolière chinoise dans les eaux vietnamiennes (8). Démonstrations qui ont été tolérées pendant un certain temps par le PCV, le temps de faire monter la pression sur la Chine et de faire réagir la communauté internationale, mais qui ont ensuite été durement réprimées (9). Plus récemment, l’annonce de trois zones économiques spéciales avec des baux de 99 ans a soulevé l’ire de la population vietnamienne qui craint que ces zones soient fortement financées par des entreprises chinoises, ce qui renforcerait donc la dépendance avec le voisin (10). Selon certains critiques, ces zones économiques représentent en fait un danger pour l’indépendance durement acquise du Vietnam, comme le soulignait un dissident : « this is one kind of selling our land to foreigners under the so-called SEZs » (11).
Par conséquent, le PCV est dans une position difficile à tenir. D’un côté, le parti s’est servi pendant un certain temps d’un nationalisme anti-chinois pour assurer sa légitimité et défendre la nation. De l’autre, il est aujourd’hui « pris au piège » de par son ouverture économique et sa dépendance à la Chine. Ainsi, la population, qui a toujours en tête les incursions chinoises et la guerre de 1979, est toujours méfiante à l’égard de son puissant voisin. Pendant ce temps, le PCV, lui, accueille les investissements chinois à bras ouverts pour développer le pays et doit donc conserver des relations cordiales avec Pékin. Or, il faut reconnaître que le PCV profite aussi un peu de la situation pour jouer sur les deux tableaux. Selon l’ISEAS, le parti analyse les commentaires anti-chinois publiés en ligne pour orienter sa politique vis-à-vis de la Chine et, jusqu’à un certain point, les stimuler et en profiter pour raffermir sa légitimité (12). Le nationalisme anti-chinois exprimé par les Vietnamiens est ainsi perçu davantage comme une ressource à utiliser par le PVC que comme une réelle posture idéologique, le parti étant somme toute conciliant avec son puissant voisin, car le développement économique du pays repose en grande partie entre ses mains.
(1) Pew Research Center, « Depending on the country, U.S. or China is the more favored nation »
(2) Kosal Pathl, 2011, « The Sino-Vietnamese dispute over territorial claims, 1974–1978: Vietnamese nationalism and its consequences. » p.196
(3) Ibid., p. 201
(4) Tuong Vu, 2014, « The Party v. the People: Anti-China Nationalism in Contemporary Vietnam. », p.38
(5) Path, p.203
(6) Ibid.
(7) Tom Fawthrop, 2018, « Vietnam Mass Protests Expose Hanoi’s China Dilemma »
(8) Tuong Vu, p.14-17
(9) Ibid.
(10) Bennett Murray, 2018, « Vietnamese see special economic zones as assault from China »
(11) Ibid.
(12) Dien Nguyen An Luong, 2020, « How Hanoi is Leveraging Anti-China Sentiments Online »
Bibliographie
Murray, Bennett. 2018. « Vietnamese see special economic zones as assault from China », South China Morning Post, https://www.scmp.com/week-asia/politics/article/2149785 /vietnamese-see-special-economic-zones-assault-china (Page consultée le 24 mars 2021)
Path, Kosal. « The Sino-Vietnamese dispute over territorial claims, 1974–1978: Vietnamese nationalism and its consequences. » International Journal of Asian Studies 8, no 2 (2011): 189–220.
Vu, Tuong. « The Party v. the People: Anti-China Nationalism in Contemporary Vietnam. » Journal of Vietnamese Studies 9, no. 4 (2014): 33-66.
Fawthrop, Tom. 2018. « Vietnam Mass Protests Expose Hanoi’s China Dilemma », The Diplomat, https://thediplomat.com/2018/06/vietnam-mass-protests-expose-hanois-china -dilemma/ (Page consultée le 28 mars 2021)
Pew Research Center. 2017. « Depending on the country, U.S. or China is the more favored nation ». https://www.pewresearch.org/fact-tank/2017/08/23/in-global-popularity-contest-u-s-and-china-not-russia-vie-for-first/ft_17-08-11_china_us_russia_table/ (Page consultée le 28 mars 2021)
Luong, Dien Nguyen An. « How Hanoi is Leveraging Anti-China Sentiments Online », ISEAS – Perspective, no. 115 (2020): 1-11.