Par Étienne Barre
Marqué par le régime autoritaire de Ferdinand Marcos, le cinéaste Lino Brocka réussit à créer des films très contrôlés, combinant à la fois une mise en scène directe et des relations de pouvoirs définis. Au cœur de ses films, il dénonce l’écart de pouvoir et de contrôle entre les classes aux Philippines. Ce pays a un passé culturel très riche qui a été influencé par son passé en tant que colonie.
Héritage culturel et régime politique
Les Philippines est un pays insulaire qui a été colonisé durant l’ère coloniale en Asie du Sud-Est. Tout d’abord les Espagnols ont pris le contrôle dès 1565 et ont créé la première colonie sur le territoire. Ils vont rester sur le territoire des Philippines pendant environ trois siècles jusqu’au traité de 1898. Après ce traité, les Américains prennent le contrôle de la colonie et deviennent donc les nouveaux colonisateurs des Philippines. Ils vont maintenir le pouvoir pendant une cinquantaine d’années et ensuite les Philippines sera laissées à eux-mêmes. Après des centaines d’années en tant que colonie, l’identité philippines devient difficile à reformuler. Des nouveaux mouvements vont naître et se poser ses questions. Quelques années plus tard, Ferdinand Marcos va prendre le contrôle du pays (1965). Marcos va développer un plan pour améliorer l’économie du pays. Ce plan est basé sur le développement majeur d’infrastructures. Or, seulement les grandes villes, spécialement Manille, avaient droit à ce développement. Cela crée une chaîne de conséquences qui aboutiront à une situation économique, sociale et politique en détérioration. En 1969, les Philippines connaissent un des pires moments de son histoire à ces trois niveaux. En 1972, Ferdinand Marcos passe la loi martiale et le peuple est choqué. Au niveau du cinéma, la loi martiale empêche la liberté cinématographique que les réalisateurs avaient avant 1972. On tombe dans une phase de production de film de propagation du régime politique. Cependant, les réalisateurs réussissent à créer des films qui dénoncent la corruption, la violence et autres vers la fin des années 70. Cela est dû au fait qu’en 1976, Marcos pousse les artistes à créer du contenu qui affecte la conscience sociale. Les cinéastes vont donc prendre ce discours et l’utiliser contre le régime.
Un cinéma ambivalent
Lino Brocka est un réalisateur philippin qui a vécu des années 1939 à 1991. Il est l’artiste le plus connu aux Philippines encore aujourd’hui. Il a eu une énorme influence sur la société en général, mais spécialement dans le domaine du cinéma. Il commence sa carrière en production cinématographique en 1970 et produit une quantité respectable de films jusqu’à sa mort en 1991. Lino Brocka est un génie dans sa mise en scène et invente une nouvelle manière de dénoncer des aspects sociaux et politiques par l’entremise de ses films. En 1975, il produit le film Maynila: Sa mga kuko ng liwanag ou simplement traduit par Manille. Ce film raconte l’histoire d’un homme engagé sur un chantier de construction. L’histoire est très simple, mais également très puissante par sa mise en scène. Lino Brocka ne montre jamais concrètement la violence/la révolution dans ses films, il préfère montrer la condition humaine qui en résulte. Le point le plus important de sa mise en scène à travers ses films est de recontextualiser les relations de pouvoirs à travers certaines communautés. Dans le film Manille, la relation entre le patron du chantier et le personnage principal est très directe. Le patron est supérieur, la caméra derrière va filmer l’employé qui se tient plus bas. Quand l’employé parle, la caméra vient se placer derrière lui et regarde le patron d’un niveau inférieur. Cette mise en scène est très directe et laisse place à l’imagination sur la signification des personnages. Cette dynamique entre les deux personnages ne se tient pas seulement entre les deux, les autres employés vont venir déranger la relation et y prendre part par le fait même. Lino Brocka suggère dans son film que si le peuple se tient les coudes, il va réussir à passer à travers ce chantier de construction. Le film reflète bien une période d’oppression aux Philippines, notamment à travers le régime de Marcos. Le film Manille peut être vu de plusieurs manières, mais son essence reste la même malgré tout. Des employés souffrent ensemble sous les ordres de supérieurs. Cependant, c’est ensemble qu’ils réussiront à s’en sortir. C’est dans cet ordre d’idée que Lino Brocka compose ses films.
Bibliographie
Santiago, Arminda V. (Arminda Vallejo). The Struggle of the Oppressed: Lino Brocka and the New Cinema of the Philippines, thesis, August 1993; Denton, Texas. P 46-86. (https://digital.library.unt.edu/ark:/67531/metadc500765/: University of North Texas Libraries, UNT Digital Library, https://digital.library.unt.edu;
Tesson, Charles. Entretien avec Lino Brocka / Olivier Assayas. Cahiers du cinéma n° 327, septembre 1981