Par Madeleine Rouleau-Dumas
Les Chinois-es ne représentent que 24 % de la population de Malaisie[1], mais contrôlent la majorité des richesses du pays. Pourtant, selon une étude de l’Université d’Oxford publié en 2017 sur les Sino-malaisien-ne-s, la moitié des répondant-e-s sont prêt à quitter le territoire s’ils-elles le peuvent.[2] De même, le Département de Statistique de Malaisie suggère que la diaspora chinoise va baisser de 20 % d’ici 2040. [3]
Cet exode des cerveaux marque la conséquence de décennies de mesures pour diminuer la part disproportionnée des richesses malaisiennes aux mains des Chinois-es.
L’ère coloniale
En 1795, les troupes britanniques s’emparent de l’ile de Malacca, puis de l’ile de Singapura. Rapidement, elles y installent un style de gouvernance indirecte, soit une fusion entre l’autorité traditionnelle et légale-rationnelle. En d’autres mots, il s’agit d’un caractère hybride de force d’autorité qui appartient à l’État tel que construit dans la société britannique, avec des officiers qui représentent l’État et la Couronne. Dans ce cas, la gouvernance indirecte se fait via les sultans. Étant une colonie de commerce, les politiques économiques divisent le travail et spécialisent certains secteurs. Les Bumiputera (Malaysien-ne-s indigènes appelé-e-s aussi Malais-es) sont fermier-ère-s et certain-e-s ont accès à des postes dans l’administration. Les Chinois-es, quant à eux-elles, sont commerçant-e-s et se spécialisent dans l’extraction d’étain et les industries locales. Conséquemment, ces dernier-ère-s se concentrent surtout dans les secteurs urbains et détiennent un grand poids économique. [4]
L’Alliance et l’indépendance
Les élections de 1952 représentent le premier suffrage populaire de Malaise. [5] Le United Malay National Organisation (UNMO), incarnant l’aristocratie et la masse populaire Bumiputera, et le Malaysian Chinese Association (MCA), représentant la chambre de commerce, la bourgeoisie d’affaires et les travailleur-e-s chinois-es, coopèrent pour assurer la stabilité du pays. [6] Lors des élections suivantes, en 1955, les deux partis font un pas de plus en formant une alliance (l’Alliance), ce qui leur permet de gagner une majorité de siège. Grâce à leur légitimité et leur force, en 1957, l’ile de Malacca obtient son indépendance. Quelques années après, en 1963, la Malaisie est fondée en annexant les États de Borneo du Sabah et Sarawak.[7]
Les élections de 1969
Lors des élections de 1969, le visage politique change pour la première fois. Le 13 mai, l’opposition, le Democratic Action Party (DAP), soutenu principalement par la population chinoise, obtient nombreuses circonscriptions auparavant à l’Alliance. Cette dernière perd, ainsi, le contrôle des deux tiers de la Chambre, ce qui lui empêche de modifier la Constitution.
En signe de victoire, la diaspora chinoise sort dans les rues de Kuala Lumpur pour fêter. De leur côté, les Bumiputera manifestent leur appui à l’UMNO. Malheureusement, les tensions entre ces deux groupes montent et des émeutes sanglantes éclatent; les quartiers chinois sont attaqués et font des centaines de morts. L’État d’urgence est déclaré le jour suivant.
Malgré le refus gouvernemental de mener des enquêtes sur ce qui s’est réellement passé lors de ce fatidique 13 mai 1969, les défis économiques sont souvent rattachés à cette escalade. En effet, la population critique le Parlement de favoriser l’élite économique, principalement chinoise, au détriment des Malaysien-ne-s pauvres majoritairement Bumiputera.
Le New Economic Policy
Suite à ces évènements, le New Economic Policy (NEP), un système de discrimination positive, est implanté pour essayer de redresser la pauvreté relative de la population malaise et encourager la croissance de la classe entrepreneuriale Bumiputera. L’un des objectifs est d’augmenter leur part de capacité de stockage local de 4 % à 30 % [8], pour limiter le quasi-monopole des richesses du pays aux mains des Chinois-es. De plus, des quotas dans la fonction publique et les universités sont fixés, afin de les avantager et permettre plus d’opportunité d’emplois. Ces mesures sont efficaces et font baisser le taux de pauvreté chez cette communauté de 62 % en 1970 à 20,8 % en 1990. [9]
Cependant, le NEP n’avantage pas toute la population. En 1985, les Bumiputera représentent 67 % des étudiant-e-s, contrairement au ratio établi de 60 %. [10] La compétition entre non-malais-es est donc grande et peu réussissent à entrer dans les écoles. Les riches Chinois-es se tournent alors vers le système privé très dispendieux et les universités étrangères. Malheureusement, cette pratique désavantage énormément la classe moyenne qui se voit contrainte à un accès limité au public et peu de ressources pour payer le privé.
Malgré les différentes barrières économiques et sociales à l’égard de la population chinoise en Malaisie, celle-ci continue à s’enrichir. Ipso facto, plusieurs se tournent vers l’étranger afin d’avoir moins de restrictions et plus de possibilités. Entre janvier 2008 et juin 2009, l’exode des cerveaux touche 300 000 Malaysien-ne-s, dont une majorité étant Chinois-es. Le gouvernement doit donc rapidement trouver une solution à ce problème grandissant, avant de voir sa population et son économie diminuer drastiquement.
La place des Sino-malaisien-e-s au sein de la démocratie malaisienne
Contrairement à l’Indonésie, en Malaisie, pour assurer une représentativité au sein du gouvernement, les minorités ethniques et religieuses mettent leurs différents de côté et forment des coalitions politiques. Toutefois, ces groupes restent minoritaires et sans grandes forces décisionnelles. Conséquemment, depuis quelques années, le pays est à la marge d’un nouveau conflit ethnique. Les parlementaires se voient obliger de favoriser les Bumiputera majoritaires au risque d’être accusé-e-s de ne pas défendre leurs intérêts et, en même temps, prendre des décisions avantageant l’élite chinoise afin d’éviter leur exode. [11]
[1] Ming Hua, C. (2011) The Impact of Ethnicity on the Regional Economic Development in Malaysia (Thèse de doctorat, Graduate School of Social Sciences, Hiroshima University)
[2] Hookway, J. (17 mai 2018). Affirmative action drove many chinese malaysians abroad. now they’re thinking about coming home. mahathir mohamad’s new ruling coalition pledges level field after decades of affirmative action for ethnic malays. Wall Street Journal (Online)
[3] Idem.
[4] Seah, D. (2000) « Malaysia: dilemmas of intergration » Parliamentary Affairs 53 (janvier), p.191
[5] Beaulieu, I. (2005) Stabilité politique, autoritarisme et État rentier: le cas de la Malaisie. (Thèse de Doctorat. Département de science politique. Université de Montréal.) p.120
[6] Idem. p.112
[7] Ming Hua, C. (2011) The Impact of Ethnicity on the Regional Economic Development in Malaysia (Thèse de doctorat, Graduate School of Social Sciences, Hiroshima University)
[8] Seah, D. (2000) « Malaysia: dilemmas of intergration » Parliamentary Affairs 53 (janvier), p.193
[9] Ming Hua, C. (2011) The Impact of Ethnicity on the Regional Economic Development in Malaysia (Thèse de doctorat, Graduate School of Social Sciences, Hiroshima University)
[10] Jomo, K. S., & Sundaram, J. K. (2004). « The new economic policy and interethnic relations in Malaysia ». United Nations Research Institute for Social Development, p.16
[11] EugTan, E.K.B. (2001) From sojourners to citizens: managing the ethnic Chinese minority in Indonesia and Malaysia, Ethnic and Racial Studies, 24(6), p.967
Bibliographie
Beaulieu, I. (2005) Stabilité politique, autoritarisme et État rentier : le cas de la Malaisie. (Thèse de Doctorat. Département de science politique. Université de Montréal.)
Ching, J. (2001) « Malaysian Chinese Politics in the 21st Century: Fear. Service and Marginalisation” Asian Journal of Political Science. 2(9) (décembre), 78–94.
Hookway, J. (17 mai 2018). Affirmative action drove many chinese malaysians abroad. now they’re thinking about coming home. mahathir mohamad’s new ruling coalition pledges level field after decades of affirmative action for ethnic malays. Wall Street Journal (Online)
Jomo, K. S., & Sundaram, J. K. (2004). “The new economic policy and interethnic relations in Malaysia”. United Nations Research Institute for Social Development
Ming Hua, C. (2011) The Impact of Ethnicity on the Regional Economic Development in Malaysia (Thèse de doctorat, Graduate School of Social Sciences, Hiroshima University).
Seah, D. (2000) “Malaysia: dilemmas of intergration” Parliamentary Affairs 53 (janvier), 189–197.
Shukri, S. F. M. (2017). The Role of Ethnic Politics in Promoting Democratic Governance: A Case Study of Malaysia. Intellectual Discourse, 25(2), 321-339.
Sung, K.K. (2007) “Racial conflict in Malaysia: against the official history”. Race and class. 49 (3): 33–53.
EugTan, E.K.B. (2001) From sojourners to citizens: managing the ethnic Chinese minority in Indonesia and Malaysia, Ethnic and Racial Studies, 24(6), 949-978.