par Cédrick Ménard
La colonisation des Philippines par les États-Unis, puis le stationnement de ses troupes sur le territoire ont tous deux été des facteurs significatifs au développement de l’industrie du sexe au pays. Pour les forces armées, les centres de « Rest and Recreation » étaient vus comme une nécessité. Ces centres ont d’autant plus accentué les stéréotypes qu’attribuent généralement aux femmes asiatiques l’armée et l’Amérique du Nord.
L’occupation américaine
Les États-Unis occupent officiellement le territoire des Philippines à partir de 1898. À la suite de la Seconde Guerre mondiale, la souveraineté retourne aux mains du pouvoir local, mais les troupes ne quittent cependant pas le pays. Le gouvernement états-unien et celui des Philippines signent une entente qui y permet leur stationnement. Dans la logique du front capitaliste et de la crainte de l’expansion communiste, les Philippines étaient un emplacement stratégique de choix. Les « G.I. » s’y sont donc stationnés en grand nombre jusqu’à la fin des opérations militaires au Vietnam[1].
Les deux bases en importance, respectivement celle des forces aériennes et navales, étaient la base Clark et la base de Subic Bay. Toutes deux à proximité relative de Manille, elles se trouvaient, encore respectivement, dans les actuelles villes de Angeles et de Olongapo. Les dimensions de la base Clark étaient telles qu’elle occupait une superficie similaire à celle de Singapour[2].
Repos et loisirs
Selon l’armée états-unienne et le général Mac Arthur, le repos et les « loisirs » étaient : « [a] military necessity ».[3] L’explosion de la demande en services sexuels par les troupes stationnées était telle que la population d’Angeles s’est vue se multiplier six fois en 40 ans. Divisée en 32 districts, l’accroissement de la population s’était observé principalement dans cinq d’entre eux, soit les districts limitrophes à la base militaire. Dans ceux-ci, en proportion, c’est plutôt par 20 fois que la population s’était multipliée. Ce sont d’ailleurs ces cinq districts qui forment l’actuel « red light district » de la ville d’Angeles[4].
L’implication militaire dans la prostitution était telle que l’armée s’est engagée à une classification de masse de toutes les prostituées connues. À l’apogée, toutes les prostituées étaient enregistrées, photographiées et traitées contre les maladies vénériennes si malades. De plus, elles étaient classifiées selon leurs clients potentiels. Par exemple, les prostituées de rang 1 étaient réservées aux militaires les plus hauts placés. L’interdiction de rendre « service » à quelqu’un hors de son rang était passible de sanctions[5].
Le prix du stationnement des troupes
Alors que les troupes venaient soi-disant apporter la paix, leur stationnement a plutôt développé les infrastructures prostitutionnelles nécessaires à la traite des femmes et des enfants en plus de l’augmentation de la clientèle locale. L’aménagement de la prostitution au service de l’armée a exigé l’organisation et la régulation des échanges entre prostitués et soldats[6]. Ceci a eu pour cause la création d’un système calqué sur les désirs des soldats états-uniens et leurs habitudes de consommateurs[7].
Le système attribuait donc aux femmes philippines les stéréotypes extrapolés de la relation dominant-dominée en place à l’échelle nationale. Les militaires les dépeignaient comme étant fragiles, dociles, soumises, dépendantes et bien d’autres. Le système en entier avait pour but la satisfaction des attentes et des gouts des soldats afin d’encourager leur consommation. Ainsi, les femmes employées aux centres de repos et de loisirs s’engageaient également aux occupations genrées selon les normes traditionnelles états-uniennes. On pouvait y trouver des serveuses légèrement habillées qui « flirtaient » et qui jouaient de la musique qui s’accordait aux goûts des soldats[8].
Dans la plupart des cas, c’est cependant au niveau d’objet sexuel que le système rabaissait ces femmes, comme en témoigne l’image attachée à ce billet (figure 1). Il s’agit d’une carte d’affaires distribuée aux troupes par un centre de loisirs. Ici, la mention de la femme est complètement omise et seules ses « prouesses » sont ventées. La métaphore du « boot camp » est également utilisée, faisant un clin d’œil à la culture militaire rendant d’autant plus attrayante la publicité à son public cible[9].
Il est évident que l’impérialisme états-unien en territoire philippin a été un facteur significatif dans l’expansion du secteur de la prostitution au pays. L’armée y a organisé un système d’une ampleur telle que les populations locales se sont multipliées. En biais, il a également grandement influencé la culture propre aux lieux. L’occupation du territoire et le stationnement des troupes pendant presque une centaine d’années ont servi à construire nombre de stéréotypes à l’égard de l’Asie qui encore aujourd’hui persistent au sein des populations d’Amérique du Nord.
(figure 1) :Santos, P. (2015, juin). Sexuality, Gender, and Us Imperialism after Philippine Independence : An Examination of Gender and Sexual Stereotypes of Pilipina Entertainment Workers and US Servicemen. University of Oregon. p. 17 https://scholarsbank.uoregon.edu/xmlui/bitstream/handle/1794/19855/URA_Santos_2015.pdf?sequence=1&isAllowed=y
BIBLIOGRAPHIE
Bonnet, F.-X. (2017, mai). From Oripun to the Yapayuki-San: An Historical Outline of Prostitution in the Philippines. Moussons, (29), 41-64. http://journals.openedition.org/moussons/3755
Poulin, R. (2006, automne). Le système de la prostitution en Corée du Sud, en Thaïlande et aux Philippines. Bulletin d’histoire politique, 15(1), 81-92. https://doi.org/10.7202/1056087ar
Santos, P. (2015, juin). Sexuality, Gender, and Us Imperialism after Philippine Independence : An Examination of Gender and Sexual Stereotypes of Pilipina Entertainment Workers and US Servicemen. University of Oregon. https://scholarsbank.uoregon.edu/xmlui/bitstream/handle/1794/19855/URA_Santos_2015.pdf?sequence=1&isAllowed=y
[1] Santos, P. (2015, juin). Sexuality, Gender, and Us Imperialism after Philippine Independence : An Examination of Gender and Sexual Stereotypes of Pilipina Entertainment Workers and US Servicemen. University of Oregon. https://scholarsbank.uoregon.edu/xmlui/bitstream/handle/1794/19855/URA_Santos_2015.pdf?sequence=1&isAllowed=y
[2] Bonnet, F.-X. (2017, mai). From Oripun to the Yapayuki-San: An Historical Outline of Prostitution in the Philippines. Moussons, (29), 41-64. http://journals.openedition.org/moussons/3755
[3] Ibid. 46.
[4] Ibid. 41-64.
[5] Poulin, R. (2006, automne). Le système de la prostitution en Corée du Sud, en Thaïlande et aux Philippines. Bulletin d’histoire politique, 15(1), 81-92. https://doi.org/10.7202/1056087ar
[6] Ibid. 81-92.
[7] Santos, P. Op. cit.
[8] Ibid.
[9] Ibid.