La démocratisation de la Thaïlande

Le royaume de Thaïlande est une monarchie constitutionnelle qui, est gouvernée par un système politique similaire au système de Westminster.  Cependant, les similarités sont largement superficielles, car si sur papier la Thaïlande est une démocratie, dans les faits, l’armée, la monarchie et les différentes bureaucraties en place se sont habitué à systématiquement renverser tout gouvernement populaire qui remet en question leur pouvoir (Fung et al, 2014).

La démocratisation de la Thaïlande

L’histoire politique thaïlandaise est ponctuée de coups d’États, 20 au total depuis 1932 où le pays passe officiellement de monarchie absolue vers un régime constitutionnel (Brousseau 2010). L’omniprésence de coups d’États est un facteur explicatif quant à l’instabilité politique que le pays a connu et du ressac autoritaire que celui-ci est entrain de  vivre (Fung et al. 2014). En un sens, les coups d’États sont très révélateurs de la nervosité des institutions monarchistes et démontre une certaine incapacité de celles-ci à résoudre ses conflits par les urnes (Le Gal 2014).

Crédits photo: France-Presse PORNCHAI KITTIWONGSAKUL – Manifestation des chemises rouges en 2010

Dans cette optique, les partis politiques subissent une pression constante de la part de ces acteurs qui désirent avant tout garder mainmise sur le pouvoir. Ainsi, dès que les projets des élus politiques entrent en conflit avec ceux de la monarchie, ou l’armée, ces derniers risquent de se faire renverser (Fung et al, 2014). Malgré ces entraves, le désire d’établir de solides bases démocratiques a progressé au fil du temps. Une nouvelle Constitution a été introduite en 1997 dont l’objet était de « renforcer la stabilité gouvernementale, combattre la corruption et mettre en place des organisme indépendants » (Brousseau 2010).

Toutefois, la montée au pouvoir en 2001 de Thaksin Shinawatra, un ex-lieutenant-colonel de police, marque un recul considérable des modestes avancées démocratique que le royaume thaïlandais a connu. Durant son mandat, Thaksin a continué à miner les réformes démocratiques introduites par la constitution de 1997 en mettant en place des tactiques visant à intimider les médias et à marginaliser ses opposants politiques (Brousseau 2010).  En dépit de cela, Thaskin représente aujourd’hui l’une des figures les plus importantes dans l’histoire politique récente thaïlandaise. Voyant en lui une figure populiste – grâce à plusieurs réformes réalisées durant son mandat – sa base électorale a réussi à faire de lui une figure clé du mouvement qui préconise que le pouvoir politique doit émaner de l’urne et non pas de figures légitimistes tel que la monarchie, l’armée ou tout autre « autorité morale » (Baker et al, 2013).

L’élection de 2011 est généralement considérée comme étant la dernière élection légitime que le royaume a tenue. Celle-ci, après plusieurs élections annulées, a rétablie la validité des élections comme méthode légitime de transmission du pouvoir politique (Baker et al, 2013). En second lieu, ces élections ont démontré une véritable division idéologique et un indéniable attachement aux partis politiques et pour la quatrième fois, les électeurs ont délivré une nette victoire à un parti politique lié à Thaksin.

Toutefois, comme il est coutume en Thaïlande, en 2014, un coup d’État mené par l’armée et la bourgeoisie thaïlandaise est venu interrompre les progrès réalisés et surtout suspendre toute pratique démocratique pour plusieurs années (Philip 2019). C’est dans cet esprit que les « chemises jaunes », des militants ultraroyalistes, conscients de leur infériorité électorale, boycottent les élections et exigent qu’un « conseil du peuple » représentant les élites remplace le gouvernement (Le Gal 2014). Quelques mois après, la justice destitue Yingluck, accusée d’abus de pouvoir et le général Prayuth Chan-ocha prend le pouvoir.

Prayuth Chan-ocha, le 26 mai 2014 à Bangkok. Photo: Erik de Castro/Reuters

L’État de la démocratie thaïlandaise

Crédits photo: Battaya Mail 2019

Malgré l’organisation d’élections en 2019, le fonctionnement démocratique demeure artificiel. Non seulement les auteurs du coup d’État militaire ont réussi à préserver le pouvoir, ils ont réécrit la Constitution en leur faveur et ont créé un nouveau parti pour se conférer plus de légitimité auprès de l’électorat et de la communauté internationale (Philip 2019).

Le nouveau monarque, Rama X, jouit de plus de pouvoirs que son prédécesseur. Le nouveau gouvernement, ouvertement royaliste, l’a autorisé à modifier la Constitution lui donnant ainsi le droit de promulguer des ordres sans avoir recours à l’approbation du parlement (Defranoux 2019). Les libertés d’expression sont de plus en plus limitées. Les critiques envers le régime, ou la monarchie, sont traitées de la même manière que des menaces à la nation elle-même. Bref, la démocratie va mal au Royaume de Thaïlande.

L’existence de clivages sociaux importants entre zone rurales et urbaines, est sans doute un facteur qui explique la fragilité des institutions démocratiques thaïlandaises. D’une part, la monarchie tend à privilégier les intérets des familles de la grande bourgeoisie thaïlandaise puisque son soutien politique, voir sa survie, dépend largement de ces élites. D’une autre part, la politiciens élus visent principalement les zones rurales – étant donné l’alliance entre bourgeoisie et structures politiques traditionnelles – pour assurer leur victoire aux élections. En ce sens, les élites de Bangkok profitent pleinement quand la monarchie est en place et les zones rurales vivent mieux sous un gouvernement élu (Glassman 2010).

Pour apaiser ces tensions, l’État organise des élections suite auxquels un gouvernement élu émerge; la durée de vie de celui-ci dépend largement, voir entièrement, de sa capacité à introduire les réformes qui vont satisfaire sa base électorale, sans empiéter sur les intérêts des élites de Bangkok. Dans un système politique où la démocratie dépend de la bonne volonté d’une puissante minorité, il est difficile d’imaginer que les choses vont évoluer pour le mieux.

Tant que les dynamiques du pouvoir politique restent inchangées, les provinces vont continuer à élire des gouvernements que Bangkok va continuer à renverser.

 

Bibliographie:

Baker, Chris. Phongpaichit, Pasuk. 2011. « Reviving Democracy at Thailand’s 2011 Election ». Asian Survey 53(4) : 607-628

Brousseau, François. 2010. « Analyse – Comment la Thaïlande en est arrivée là ». [En ligne] https://www.ledevoir.com/monde/asie/289040/analyse-comment-la-thailande-en-est-arrivee-la (page consultée le 2 avril 2020)

Defranoux, Laurence. 2016. « En Thaïlande, le retour de la démocratie n’est pas pour demain ». [En ligne] https://www.liberation.fr/planete/2016/05/05/en-thailande-le-retour-de-la-democratie-n-est-pas-pour-demain_1448043 (page consultée le 2 avril 2020)

Fung, Edmund S.K et DRAKELEY, Steven, Democracy in Eastern Asia : Issues, problems and challenges in a region of diversity, London and New Yorl : Routledge , 2014

Glassman, Jim. 2010. « The Provinces Elect Governments, Bangkok Overthrows Them: Urbanity, Class and Post-democracy in Thailand » Urban Studies. Vol.47. no.6 pp.1301-1323.

Le Gal, Adrien. 2014. « Le coup d’État, une spécialité thaïlandaise ». [En ligne] https://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2014/06/03/le-coup-d-etat-une-specialite-thailandaise_4430619_3216.html (page consultée le 2 avril 2020)

Philip, Bruno. 2019. « Aux confins de la Thaïlande, pas d’illusions sur le retour à la démocratie ». [En ligne] https://www.lemonde.fr/international/article/2019/03/04/aux-confins-de-la-thailande-pas-d-illusions-sur-le-retour-a-la-democratie_5431147_3210.html (page consultée le 1 avril 2020)

 

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