de Stephanie Melody Yan
En 2004, l’État de Penang est arrivé en tête de la liste des meilleures cuisines de rue en Asie du magazine TIME (TIME Magazine, 2004). Grâce à cette reconnaissance internationale, le gouvernement de Penang a cherché à protéger et à maintenir sa réputation. La cuisine de rue était devenue le patrimoine culturel immatériel de Penang et en 2016, une nouvelle loi instaurée interdit à tous les travailleurs étrangers de cuisiner dans les kiosques de rue. Le gouvernement a estimé qu’il était nécessaire de protéger le goût de la cuisine locale et que la confection de plats traditionnels par des travailleurs étrangers nuirait à son authenticité. En 2018, le reste du pays risque d’emboîter le pas, car le ministère des Ressources humaines a proposé que seuls les locaux soient recrutés dans les restaurants également.
Une limite à la diversité
La Malaisie est un pays incroyablement multiethnique et multiculturel. Sa cuisine est le résultat d’un mélange d’influences malaisiennes, chinoises, tamoul musulmanes et thaï. Les racines de la cuisine de rue malaisienne sont liées au colonialisme, à l’urbanisation et à la migration. En tant que canal d’échange, Penang en particulier a attiré de nombreux commerçants et migrants de Chine et d’Inde. Plus tard dans les années 80 et 90, la mondialisation et les pénuries de main-d’œuvre ont entraîné une vague entrante de migrants en provenance d’Indonésie, du Bangladesh et des Philippines (Khoo, 2013). Chaque groupe a ses propres pratiques culturelles et ses différences ethniques dans la préparation et la consommation des aliments, ce qui a fondé un creuset unique qui est maintenant connu comme étant la cuisine malaisienne.
Le rojak, un mélange de fruits et légumes coupés, garni d’une sauce tamarin, serait originaire de l’ancien temps malaisien. Une variété de cultures se mélange pour créer une cuisine originale que le gouvernement cherche à protéger à tout prix.
(crédit photo: Penang Global Tourism, 2016)
L’authenticité : uniquement malais
Lorsqu’il est confronté à des accusations de xénophobie et de discrimination, le gouvernement de l’État se défend en suggérant que les travailleurs étrangers devraient s’en tenir à travailler comme étant serveurs ou assistants dans les étals, tant qu’ils ne sont pas les principaux chefs (Cheng, 2017). Cependant, les lignes floues de la loi ne différencient pas explicitement les fonctions d’un chef principal et d’un assistant de cuisine. Un travailleur étranger ne devrait-il pas être autorisé qu’à couper des légumes ? Peut-il mélanger les sauces ? Peut-il frire les ingrédients apprêtés par son superviseur ? La loi est assez subjective, car elle implique que seul un chef local a la capacité de préparer des plats authentiques et qu’un cuisinier migrant, même après des années de formation, ne serait jamais à la hauteur de reproduire les mets avec justesse.
La succession en jeu
La viabilité de l’industrie de la cuisine de rue malaisienne est menacée en empêchant de nouveaux employés avides de prendre la relève. Le travail dans le secteur informel est associé à un faible statut social et la plupart des vendeurs de rue contemporains rejettent l’idée que leurs enfants poursuivent l’entreprise familiale (Chong, 2019). La profession est trop exigeante et laborieuse. Les générations plus âgées ont suffisamment sacrifié pour que leurs enfants mènent une vie meilleure. De plus, l’enseignement supérieur étant de plus en plus important, les jeunes Malaisiens se tournent vers des emplois de bureau plus chic dans un bâtiment climatisé. Alors, qui prendrait le relais des cuisiniers de rue ? Les longues heures de travail et les faibles marges de profit n’attireraient que les travailleurs migrants peu instruits et ayant peu d’options de carrière. Avec le vieillissement des vendeurs existants, l’interdiction des chefs immigrés et aucun plan de succession, l’avenir de la cuisine de rue malaisienne parait sombre.
Un couple âgé sert une large gamme de spécialités malaisiennes. Ils se réveillent au petit matin pour préparer leur assam laksa, nouilles de riz dans une soupe de poisson. La vente de rue exige un travail acharné et un dévouement que les jeunes malais ne veulent pas entreprendre.
(crédit photo: Matthew Brooks, 2015)
Quant aux restaurants, après avoir suggéré une prohibition générale des chefs étrangers, le ministre des Ressources humaines a reçu un contrecoup de restaurateurs citant des pénuries de main-d’œuvre locales dans le secteur alimentaire (Free Malaysia Today, 2018). Le ministère a retiré sa proposition initiale et comme compromis, a permis aux chefs migrants de cuisiner des mets uniquement de leur propre pays d’origine. Si tel est le cas, leurs chefs adjoints doivent être malaisiens. Bien que les associations de restauration aient accepté cette nouvelle proposition, cet accord ne résoudra pas la pénurie de personnel malaise dans l’industrie. Selon un restaurateur, « aucun Malaisien ne fera le travail, car il est considéré comme un travail 3D, dirty, dangerous and difficult (sale, dangereux et difficile). Ils ne sont tout simplement pas intéressés. » (South China Morning Post, 2018) Alors que le gouvernement semble être plus préoccupé par la préservation de l’authenticité du goût, des problématiques plus urgentes telles que le manque de main-d’œuvre locale devraient être priorités. L’incertitude des conditions d’emploi des migrants suffit à ces derniers pour envisager de s’installer ailleurs, en dehors de la Malaisie (Cheng, 2017). Dans ce cas, le pays n’aura plus personne sur qui compter pour combler les lacunes.
Bibliographie
Cheng, Khoo Gaik (2017) « The cheapskate highbrow and the dilemma of sustaining Penang hawker food. » SOJOURN: Journal of Social Issues in Southeast Asia 1 (32) : 36-77.
Chong, Nicholas (2019) « Making Food Hawking in Penang Sustainable. » Penang Institute Issues (3) 1.
Free Malaysia Today (2018) ‘Foreign cooks’ solution doesn’t fix labour problem, say restaurateurs. https://www.freemalaysiatoday.com/category/nation/2018/08/22/foreign-cooks-solution-doesnt-fix-labour-problem-say-restaurateurs/ (consulté le 20/03/2020)
Khoo, Salma Nasution (2013) « George Town, Penang: Managing a Multicultural World Heritage Site. » dans Catching the Wind: Penang in a Rising Asia. Francis E. Hutchinson et Johan Saravanamuttu (dir.) Pp. 20-41. Singapour: Penang Institute.
South China Morning Post (2018) Migrant cooks in Malaysia restaurant trade feel the heat after minister suggests banning them. https://www.scmp.com/lifestyle/article/2170922/migrant-cooks-malaysia-restaurant-trade-feel-heat-after-minister-suggests (consulté le 20/03/2020)
Time Magazine (2004) « Best of Asia. » Time Magazine (164) 20.