La réalité du trafic humain en Malaisie: un problème de mondialisation?

Par Noémie Valdivia

Photo de AFP, 2019. BenarNews

 

Saviez-vous que l’esclavage est formellement interdit par la Déclaration universelle des droits de l’homme? L’article 4 stipule que « nul ne sera tenu en esclavage ni en servitude; l’esclavage et la traite des esclaves sont interdits sous toutes leurs formes » (ONU 1948). Mais saviez-vous que l’esclavage moderne et le trafic d’humain génère environ 150 milliards de dollars américains par année, les rendant donc la troisième activité illégale la plus profitable après le trafic de drogue et le trafic d’armes (Organisation internationale du travail)? Dans cet énorme montant d’argent sale, 51 milliards proviennent de la région Asie-Pacifique, soit plus que toutes autres régions du monde. La Malaisie est un pays touché durement par la traite d’êtres humains, dû à sa position géographique et à ses nombreuses opportunités.

Des étrangers en danger

La Malaisie est un important foyer d’immigration en Asie du Sud-Est, notamment dû à son économie croissante. En 2013, environ 4 millions de personnes ont migrées en Malaisie, de manière légale ou non (Wan Ismail et al. 2017, 213). Ceux-ci, migrant des pays avoisinants plus pauvres, sont attirées par les opportunités d’un meilleur travail et d’une meilleure vie. Les gouvernements philippin et indonésien encouragent même leur population à migrer afin de réduire leurs propres problèmes de chômage (Mahalingam 2019, 4). Ce sont donc les immigrants illégaux, représentant environ 50% des immigrants, qui sont le plus susceptible d’être entraînés dans le commerce du trafic de personne, puisqu’ils ne connaissent pas les procédures d’immigration adéquates. Il ne faut pas oublier que les frontières ne sont pas très sécurisées et qu’il est assez facile de les traverser.

Les trafiquants promettent à certains de s’occuper de leurs démarches d’immigration et leurs offrent des bons emplois payés à Kuala Lumpur; les victimes se retrouvent par contre vendues à travers le pays. (Saat 2009, 144). Les trafiquants, soit des « pimps », des membres de groupes de crime organisés, ou même des membres du gouvernement, gardent le passeport de leurs victimes, donc il leur ait très difficile de s’enfuir sans passeport  (Saat 2009, 139). Si elles réussissent à s’enfuir et qu’elles se font arrêtées, elles seront jugées pour être illégalement au pays et pour participer à des activités illégales, comme la prostitution. Une fois embarqué dans le trafic humain, il est très difficile d’en sortir.  Le rêve d’une vie meilleure n’était qu’en fait un rêve : les promesses des trafiquants ne sont qu’une grosse ruse.

Tout ça grâce à la mondialisation?

Frontière Sabah-Kalimatan (Vert et orange) Source: http://lescostanzoaborneo.unblog.fr/2010/07/04/encore-un-beau-voyage/

Comme mentionné plus haut, l’économie grandissante de la Malaisie attire les travailleurs vers le pays; mais la mondialisation a également son rôle à jouer dans le problème de trafic humain dans le pays. La mondialisation amène le développement des technologies. Il est plus facile de recruter des victimes par Internet (Rohim et Ahmad 2017, 16). La mondialisation ouvre aussi les frontières. Il est beaucoup plus facile de se déplacer de pays en pays. Une fois les victimes « recrutées », les trafiquants utilisent ce qu’ils appellent des « rat routes ». Le gouvernement estime qu’il y a environ 1000 « rat routes » à travers le pays (Mahalingam 2019, 4). Même s’ils passent par des points d’entrées légaux, les contrôles aux frontières ne sont pas très sérieux. Sabah est parfaitement placé pour accueillir des victimes de trafic humain : la frontière indonésienne-malaisienne Sabah-Kalimatan est connue comme étant une frontière importante d’entrée pour les victimes de trafic humain. Le territoire est très vaste, et il y a très peu de surveillance (Mahalingam 2019, 4).

 

Le développement des technologies facilite la promotion du tourisme sexuel, ce qui crée une demande. La loi de l’offre et la demande entre donc en jeu. Les pays doivent répondre à cette demande. L’État malais de Sabah a le plus haut taux de cas de trafic humain au pays (Mahalingam 2019, 2). En 2004, l’Institut interrégional de recherche des Nations unies sur la criminalité et la justice (UNICRI) a effectué une recherche sur les victimes philippines de trafic humain trouvés à Sabah. Quelques années plus tôt, en 2000, 99,8% des 3 123 victimes de trafic humain retrouvées se trouvaient à Sabah (Saat 2009, 138).  Celles-ci se retrouvaient surtout dans des centres de divertissement, comme des bars ou des discothèques. Travailler dans des « centres de divertissement » est quelque peu synonyme de travailler comme prostitué. Environ 58% des cas de trafic humain recensés sont liés à l’exploitation sexuelle (Wan Ismail et al. 2017, 216). Heureusement, les femmes interrogées par l’UNICRI n’ont pas reporté avoir été victime de violence. Toutefois, elles se faisaient parfois vendre à d’autres centres si elles refusaient de travailler.

Mais que fait le gouvernement malaisien pour régler le problème? Le pays a adopté en 2007 la loi contre le trafic de personnes et contre la contrebande de migrants en 2007. Cette loi se concentre surtout sur la prévention du trafic humain, mais n’établit aucun mécanisme d’aide pour les victimes. Les refuges ne sont pas plus accessibles aux victimes. Donc est-ce vraiment une loi aidant les victimes? Il est important de noter que cette loi est la première mise en place au pays adressant le problème de trafic humain. La corruption au pays en serait-il la cause, surtout que le phénomène génère des millions de dollars?

 

Bibliographie

Mahalingam, Ravi. 2019. « Understanding the Market System of Human Trafficking: A Case Study of Sabah, Malaysia ». Malaysian Journal of Social Sciences and Humanities 4 (no 2) : 1-7.

Organisation internationale du travail. « Statistiques sur le travail forcé, l’esclavage moderne et la traîte des êtres humains ». https://www.ilo.org/global/topics/forced-labour/statistics/lang–fr/index.htm.

Organisation des Nations unies. 1948. Déclaration universelle des droits de l’homme. 

Rohim, Nur Zulaikha Afifah Abd et Yarina Ahmad. 2017. « Factors Contributing to Women Trafficking in Malaysia: Perspectives from Policy Maker, Implementers & Non-Governmental Organization ». Journal of Administrative Science 14 (no 3): 1-23.

Saat, Gusni. 2009. « Human Trafficking from the Philippines to Malaysia: The Impact of Urbanism». South Asian Survey 16 (no 1): 137-148.

Wan Ismail,Wan Nur Ibtisam, Raja Noriza Raja Ariffin et Kee Cheok Cheong. 2017. « Human Trafficking in Malaysia: Bureaucratic Challenges in Policy Implementation ». Administrative & Society 49 (no 2): 212-231.

 

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