Démocratie au Myanmar : Un faux espoir suivi d’un génocide

Par Jeffrey Aubin

Dans la quête visant à étudier le lien entre la croissance économique et la démocratisation, il peut sembler prématuré de se pencher sur le cas du Myanmar. Ce pays d’Asie du Sud-Est n’a effectivement pas connu un développement économique aussi soutenu que certains de ses voisins, n’ayant encore aujourd’hui qu’un PIB par habitant d’environ 1 500$ (Ministère de l’Économie et des Finances 2018), soit bien loin de la marque des 12 000$ marquant le début de la démocratisation selon certains experts (Boix et Stokes 2003, 537-38). Pourtant, suite à des élections en 2011, le Myanmar avait finalement commencé à s’ouvrir et à se libéraliser. Avec les promesses de paix, de prospérité et de démocratie faites par le nouveau gouvernement, tous les espoirs étaient permis et le monde s’attendait maintenant à voir le pays prendre le chemin du développement démocratique (Prakash 2013, 1-2). Maintenant, près de dix ans plus tard, qu’en est-il?

Le bilan économique est au final plutôt positif. Si le Myanmar est toujours loin d’être un pays riche et développé, son économie connaît un fort taux de croissance soutenu depuis 2011 grâce à de bons atouts économiques. Malgré cela, cette croissance est considérée comme fragile et présente certaines faiblesses majeures (Ministère de l’Économie et des Finances 2018). Dans les premières années suivant la fin du régime militaire, la démocratisation se faisait très lentement. Le nouveau régime provenait encore du militaire, avait été élu suite à des élections douteuses et dirigeait selon une constitution rédigée par l’ancien gouvernement (Stokke et Aung 2019, 2). Néanmoins, certaines réformes de libéralisation ont été apportées entre 2011 et 2015, menant à une élection libre et réellement démocratique dont le résultat fut la défaite du parti en place et une transition pacifique du pouvoir (Stokke et Aung 2019, 2). L’optimisme face à la démocratisation du pays semblait alors justifié, particulièrement compte tenu du fait que la nouvelle présidente était nulle autre que Aung San Suu Kyi, une gagnante du prix Nobel de la paix et une véritable icône de la démocratie au Myanmar (David et Holliday 2018, 1). C’était presque l’équivalent de l’élection de Nelson Mandela en Afrique du Sud, rien ne pouvait plus mettre un frein à la démocratisation du Myanmar. Du moins, c’est ce que la planète croyait.

Photo : Des citoyens du Myanmar attendent les résultats de l’élection de 2015
Crédit : Lauren DeCicca, Getty Images, Novembre 2015

Plutôt qu’une démocratisation, un génocide

Malheureusement, la présidence de Suu Kyi a jusqu’à maintenant eu l’effet d’une douche froide sur les activistes pro-démocratiques. L’optimisme partagé et l’espoir ont maintenant laissé la place à la déception alors que le Myanmar est demeuré dans le statu quo depuis les élections de 2015.  En effet,  selon l’index démocratique développé par le journal The Economist, après avoir connu un pic en 2016 et après avoir été brièvement considéré comme un régime hybride, le pays a régressé et s’est retrouvé au point de départ, c’est-à-dire dans l’autoritarisme (The Economist Intelligence Unit 2020). Cela est surtout dû à une note particulièrement basse au niveau des libertés civiles. Il s’agit d’ailleurs du pays de l’Asie du Sud-Est le moins démocratique en-dehors de l’ancienne Indochine française. Le principal facteur dans cette chute est sans aucun doute relié aux tensions ethniques qui ravagent le pays. Pas moins de huit ethnies y cohabitent en nombres significatifs, et presque chacune d’entre elles militent pour obtenir plus d’indépendance (David et Holliday 2018, 4). Si des efforts ont été faits pour les accommoder, un groupe en particulier s’est retrouvé particulièrement discriminé : les Rohingya. La discrimination envers ce groupe ethnique s’est intensifiée jusqu’à culminer en un véritable génocide en 2017 (David et Holliday 2018, 4), dans un événement qui a détruit les derniers espoirs démocratiques.

Il est difficile de décrire adéquatement la déception que la présidence d’Aung San Suu Kyi représente. C’est l’équivalent, pour le Myanmar, de faire un pas en avant pour ensuite en faire deux en arrière.

Des  »valeurs asiatiques », un réel phénomène?

Comment expliquer une telle déception? Une théorie avance que les peuples asiatiques ont des valeurs distinctes de celles de l’Occident, par exemple la valorisation de la santé de l’économie et de l’ordre social au-dessus des libertés individuelles et des valeurs démocratiques (Subramaniam 2000, 24-5). Si les explications culturelles ont historiquement eu de la difficulté à être crédibles et scientifiquement rigoureuses, celle-ci comporte peut-être une certaine dose de vérité. Un sondage effectué récemment au Myanmar révèle que, même si le support pour la démocratie est très élevé dans le pays, ses citoyens continuent de souscrire à des croyances autoritaires et rejettent les valeurs libérales plus que n’importe quel autre pays de l’Asie du Sud-Est à l’exception du Vietnam (Welsh, Huang et Chu 2016, 134). Par exemple, la grande majorité des citoyens du Myanmar s’opposent à l’idée du pluralisme (Welsh, Huang et Chu 2016, 135).  

Stabilisation en régime hybride

La démocratie sera-t-elle un jour réellement implantée au Myanmar? Rien n’est moins sûr. L’année 2015 représentait une incroyable opportunité de démocratisation, mais c’est plutôt un recul vers l’autoritarisme qui s’est produit, indiquant l’existence d’obstacles profonds à la démocratie au sein de la société du pays. Un obstacle notable est la réticence de la population et sa tendance à blâmer le système démocratique plutôt que le parti en place pour un ralentissement économique (Thompson 2017), indiquant qu’il est possible de voir le pays reculer encore un peu plus en matière de démocratie. Au final, pour l’instant, il semble que le Myanmar se stabilise non en une démocratie, mais en un régime hybride (Stokke et Aung 2019, 17).

Aung San Suu Kyi devrait présenter mercredi la défense de la Birmanie.

Photo : Aung San Suu Kyi
Crédit : Frank Van Beek, Agence France-Presse, date inconnue

Bibliographie

Boix, Charles, et Susan Carol Stokes. 2003. « Endogenous Democratization ». World Politics 55 (no 4) : 517-49.

David, Roman et Ian Holliday. 2018. Liberalism and Democracy in Myanmar. Oxford : Presses de l’Université Oxford.

France. Ministère de l’Économie et des Finances. 2018. Birmanie/Myanmar. En ligne. https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/MM/indicateurs-et-conjoncture (page consultée le 21 mars 2020)

Prakash, Anita. 2013. The Economic Transition in Myanmar : Towards Inclusive, People Centered and Sustainable Economic Growth. Economic Research Institute for ASEAN  and East Asia Policy Brief. En ligne. http://www.eria.org/ERIA-PB-2013-03.pdf (page consultée le 20 janvier 2020)

Stokke, Kristian et Soe Myint Aung. 2019. « Transition to Demcoracy or Hybrid Regime? The Dynamics and Outcomes of Democratization in Myanmar ». European Journal of Development Research. En ligne. https://www.researchgate.net/publication/335868914_Transition_to_Democracy_or_Hybrid_Regime_The_Dynamics_and_Outcomes_of_Democratization_in_Myanmar (page consultée le 22 mars 2020)

Subramaniam, Surain. 2000. « The Asian Values Debate : Implications for the Spread of Liberal Democracy ». Asian Affairs : An American Review 27 (no 1) : 19-35.

The Economist Intelligence Unit. 2020. Democracy Index 2019. En ligne. http://www.eiu.com/Handlers/WhitepaperHandler.ashx?fi=Democracy-Index-2019.pdf&mode=wp&campaignid=democracyindex2019 (page consultée le 14 mars 2020)

Thompson, Neil. 2017. « Economics and Democracy : Myanmar’s Myriad Challenges ». The Diplomat, 27 septembre. En ligne. https://thediplomat.com/2017/09/economics-and-democracy-myanmars-myriad-challenges/ (page consultée le 23 mars 2020)

Welsh, Bridget, Kai-Ping Huang et Yun-han Chu. 2016. « Burma Votes for change : Clashing Attitudes Towards Democracy ». Journal of Democracy 27 (no 2) : 132-40.

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