Les travailleurs dans le tourisme sexuel en Thaïlande: Agence et pouvoir

Par Georgina Kakoseos Marko

La marché de nuit au lieu Patpong, le « red light district » de Bangkok.

Vous avez sûrement entendu parler du tourisme sexuel en Thaïlande, mais savez-vous pourquoi le Thaïlande est parmi les premières destinations pour cette catégorie de tourisme ? Savez-vous pourquoi les travailleurs dans cette industrie l’ont choisi ? Ou pourquoi elles ne vont pas être prise en compte par des ONG américaines ? Et le plus important, où est la ligne entre le travail sexuel choisi et celui qui est à l’origines du trafic humain ?

On ne sait pas le chiffre précis à cause du manque des données officielles, mais on estime que le tourisme sexuel constitue entre 10-12 % du PIB Thaïlandaise [1]. Donc, il est une source de revenu important pour le pays, ainsi que pour les femmes qui travaillent dans ce secteur, subvenant souvent aux besoins de leur famille. En comparant le revenu du travail sexuel avec celui des autres professions comme l’ingénierie ou médecin, le premier est beaucoup plus profitable [2].

Étant une si bonne source de revenus, beaucoup en concluent que la pauvreté est l’une des principales raisons pour lesquelles la Thaïlande a une si grande industrie du sexe. Bien que logique, cette conclusion est trop simpliste. Si la pauvreté était la raison, alors pourquoi la Thaïlande partage-t-elle sa place au sommet des destinations de tourisme sexuel avec les riches Pays-Bas[3] ? Pour savoir comment la Thaïlande est parvenu au sommet, il faut situer la question dans son contexte approprié. Par conséquent, nous retracerons ce phénomène à ses racines historiques, culturelles et économiques.

Des soldats américains en R&R en Thaïlande dans les 1960.

La guerre du Vietnam marque le début de la participation de la Thaïlande à ce qui allait devenir le tourisme sexuel. La Thaïlande est devenue un endroit désigné pour que les soldats américains se reposent et récupèrent (R&R) sur les stations balnéaires avant de retourner au combat [4]. Les travailleuses du sexe locales ont vu l’opportunité et cela s’est transformé en un commerce dont la Thaïlande est finalement devenue dépendante [5]. Il est estimé que en 1970, les soldats Américains dépensaient jusqu’à 20 millions de dollars pendant leur R&R [6].

La persistance de l’industrie a été partiellement rendue possible par la mondialisation, et partiellement par les politiques contradictoires du gouvernement thaïlandais en la matière. Tout en rendant la prostitution illégale en 1960 avec la Prostitution Suppression Act, le gouvernement a fait un suivi six ans plus tard avec la Entertainment Places Act [7]. Cette loi de 1966 permettait l’existence d’endroits où le sexe était vendu, comme les bordels, les bars, les boîtes de nuit et les salons de massage [8]. Cet écart entre les politiques explicites et implicites souligne l’approche ambiguë de l’autorité, en prétendant que l’industrie sexuelle n’est pas soutenue par le gouvernement Thaï.

Outre d’un revenu stable, ce qui pousse les femmes thaïlandaises à se lancer dans l’industrie du sexe, c’est aussi le sens du devoir de soutenir leur famille. Cela peut être considéré comme un aspect culturel, car on attend des filles qu’elles redonnent à leur famille, c’est-à-dire qu’elles remboursent la dette de leur formation [9]. La religion, le bouddhisme Theravada, a également été considérée comme un contexte favorable pour ce type de travail car elle ne condamne pas le sexe de la même manière que les autres religions [10].

 

Des moins bouddhistes thaïlandais.

 

Toutefois, en étant tolérante, la religion a également joué un rôle positif dans la diffusion de l’éducation sur les maladies sexuellement transmissibles. L’un de ces programmes est le projet Sangha Metta, un programme de prévention et de traitement du VIH/sida dirigé par des moines et des religieuses bouddhistes. Il faut prendre en compte le contexte culturel local, ce que les ONG chrétiennes américaines ont été critiquées pour avoir ignoré [11]. En considérant les femmes comme des victimes passives, ces ONG passent à côté d’aspects importants de l’organisation des femmes et peuvent les exposer à des risques accrus, par exemple en étant détenues en justice, en s’endettant auprès de leur famille ou en risquant leur expulsion [12].

Notamment, il faut comprendre la différence entre le travail sexuel volontaire et le trafic sexuel. Il n’existe pas des données exactes, mais parmi ceux qui travaillent en Thaïlande, un nombre relativement faible fait l’objet d’un trafic contre leur volonté[13]. En d’autres termes, la seconde peut être comprise comme de l’esclavage sexuel, terme plus approprié car il met l’accent sur l’aspect humain de la coercition plutôt que sur la « transaction » [14]. Une définition officielle de la traite à des fins d’exploitation sexuelle, ou esclavage sexuel, est « le recrutement, l’hébergement, le transport, la fourniture ou l’obtention d’une personne aux fins d’un acte sexuel commercial » [15].

Cependant, toutes les femmes qui sont impliquées dans l’industrie du sexe en Thaïlande sont loin d’être des victimes du trafic sexuel. Parmi ceux qui le sont, la majorité sont travailleuses sexuels qui ne savaient pas à quoi ressembleraient les circonstances quand elles ont décidé de travailler dans l’industrie [16]. Quoi qu’il en soit, il faut souligner que l’industrie du sexe est pleine de risques, de violations des droits de l’homme et du danger omniprésent des maladies sexuellement transmissibles comme le VIH/sida. Qu’il s’agisse d’une décision indépendante ou non, il est sûr que les femmes qui pratiquent le commerce du sexe soient vulnérables. Néanmoins, il faut prendre conscience de leur rôle plutôt que de les considérer comme des victimes passives. Beaucoup sont des femmes fortes qui subviennent aux besoins de leur famille et qui se soutiennent les unes les autres [17].

 

[1] J.P. Sing et Shilpa A. Hart, p. 160.

[2] J.P. Sing et Shilpa A. Hart, p. 160.

[3] Voir Ann Brooks et Vanessa Heaslip, en ligne.

[4] Cynthia Viejar et Andrew Quach, p. 110.

[5] Cynthia Viejar et Andrew Quach, p. 110.

[6] Jeremy Seabrook, p. 70.

[7] J.P. Sing et Shilpa A. Hart, p. 162.

[8] J.P. Sing et Shilpa A. Hart, p. 162.

[9] J.P. Sing et Shilpa A. Hart, p. 160.

[10] Cynthia Viejar et Andrew Quach, p. 108.

[11] J.P. Sing et Shilpa A. Hart, p. 167.

[12] J.P. Sing et Shilpa A. Hart, p. 166.

[13] Voir Ann Brooks et Vanessa Heaslip, en ligne.

[14] Voir Ann Brooks et Vanessa Heaslip, en ligne.

[15] US Department of State 2012 dans Ann Brooks et Vanessa Heaslip, en ligne.

[16] Voir Ann Brooks et Vanessa Heaslip, en ligne.

[17] J.P. Sing et Shilpa A. Hart, p. 164.

 

Bibliographie

Brooks, Ann et Vanessa Heaslip. 2018. « Sex trafficking and sex tourism in a globalised world ». Tourism Review. En ligne. https://doi.org/10.1108/TR-02-2017-0017 (Page consultée le 20 mars 2019)

Seabrook, Jeremy. 2001. Travels in the skin trade: Tourism and the sex industry. 2e éd. London : Pluto Press.

Singh, J.P., et Shilpa A. Hart. 2007. « Sex Workers And Cultural Policy : Mapping The Issues And Actors In Thailand ». Review Of Policy Research, 24, no. 2 : 155-173.

Vejar, Cynthia, et Quach, Andrew. 2013. « Sex Slavery in Thailand ». Social Development Issues, 35, no. 2 : 105-123.

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