Les raisons derrière l’injustifiable génocide des Rohingya en Birmanie

(Photo: Reuters/Jorge Silva)

Par Camille Tétreault

En Birmanie se déroule un nettoyage ethnique envers la minorité musulmane des Rohingya, encouragée par l’ordre bouddhiste de la province de Rakhine [1].  L’état va jusqu’à interdire les mariages interreligieux et à contrôler les naissances, sans oublier l’encouragement qu’il offre à des campagnes de haines et pogroms contre la minorité [2]. Ces actes génocidaires sont inimaginables considérant la nature paisible du bouddhisme.  En réalité, cette situation n’est pas un conflit religieux, mais un conflit historique dans lequel la religion est utilisée pour justifier des attitudes nationalistes racistes [3]. Plutôt que d’élaborer sur les évènements actuels, cet article explore les racines de ce conflit pour comprendre comment est-ce que la Birmanie en est arrivée jusque-là.

Les Rohingya habitent sur le territoire depuis longtemps, même avant l’indépendance birmane.  La mention la plus ancienne de leur existence sur le territoire birman date de 1799.  Dans les années 50, un district spécial au nord de l’état de Rakhine fut établi, et les Rohingya y habitaient : ils étaient même inclus dans la déclaration d’indépendance de 1948 [4].  Pourtant, la population Rohingya fut expulsée de la Birmanie à deux reprises (1977 et 1992), pour s’établir au Bangladesh puis se faire renvoyer en Birmanie des années plus tard [5].  Qu’est-ce qui explique ce changement?

Des origines historiques

C’est lorsque le général Ne Win prend le pouvoir en 1962 que tout devint différent.  Celui-ci établit le bouddhisme comme religion d’état, et son gouvernement décide d’évincer le nom des Rohingya de la loi sur la nationalité en Birmanie en 1982 : à partir de ce moment, les nationalistes commencent à justifier et encourager la discrimination envers les Rohingya [6]. La loi revendique qu’ils ne sont pas birmans, mais des réfugiés du Bangladesh [7].

L’établissement du bouddhisme en tant que religion d’état a possiblement une raison historique.  Durant l’ère de la colonisation britannique, la Birmanie était en fait victime de double colonisation : elle n’était pas dirigée par des britanniques, mais plutôt des hommes de pouvoir de la colonie indienne assignés à diriger la Birmanie.  Cela a pu contribuer à la création d’un sentiment anti-indien et à un désir d’avoir un État birman bouddhique [8].  Ne Win lui-même admit qu’il considérait tout individu « étranger » ou de « sang mixte » comme résultat de la colonisation britannique, et non de réels birmans [9] : l’idéologie raciste véhiculée par son règne est ancrée dans l’histoire.

Le prétexte religieux

La religion est utilisée pour justifier la méfiance envers les Rohingya.  Le gouvernement craint que le bouddhisme soit éventuellement éclipsé par l’Islam à travers une invasion musulmane. Cette crainte est exprimée tant par une partie de la population que par les moines : ayant vu des pays comme le Pakistan et la Malaysie devenir à majorité musulmane malgré une population bouddhiste importante dans le passé, ils croient que cela pourrait arriver à la Birmanie [10].  Cette peur se reflète à travers certaines mesures, tel le contrôle des naissances de nouveaux individus Rohingya.  Même pour se marier, ils doivent appliquer pour un permis et offrir des pots-de-vin aux autorités, faisant du mariage une chose difficile à accéder.  Selon la Cour pénale internationale, ce type de contrôle de la population relève du génocide [11].

D’autres évènements dans l’histoire de la Birmanie expliquent cette peur. À la suite de l’indépendance de 1948, il y eut des tentatives de sécession de la part de certain territoires musulmans, et les bouddhistes pensent que l’histoire pourrait se répéter [12]. De plus, ils voient la minorité musulmane comme incapable de s’adapter à la Birmanie bouddhique, comme une force qui veut imposer sa religion.

Ces craintes et les gestes posés envers les Rohingya sont justifiés à travers certaines croyances bouddhistes : selon le sangha ou ordre des moines bouddhistes est censé agir comme gardien de la religion bouddhiste [13].  Cette responsabilité de protéger la tradition motive donc les moines radicaux nationalistes à commettre ces actes contre les Rohingya, et peut leur permettre de radicaliser les plus modérés au nom de la religion.

Cependant, il y a des incongruités entre les préceptes bouddhistes et la façon à laquelle ils sont interprétés: même si le sangha doit protéger la religion, la non-violence est primordiale pour terminer le cycle des réincarnations, but principal de la pratique, et les pratiquants doivent aussi travailler pour alléger les souffrances des autres [14]. Cela est contraire à la violence prêchée envers les Rohingya.  Le bouddhisme est instrumentalisé pour justifier ce crime contre l’humanité.

La situation est morbide : le conflit est ancien, et les attitudes agressives envers les Rohingya sont ancrées dans toutes les strates de la population au nom de la protection de l’identité birmane.  Depuis 2012, des pogroms anti-Rohingya et des campagnes de haine sont planifiés par l’armée, et tant la société civile que les religieux y participent.  Leurs propriétés sont détruites, leur peuple est massacré, et ce phénomène commence même à affecter des bouddhistes de l’État de Rakhine qui aident les Rohingya : ils sont humiliés sur les places publiques, accusés de trahison [15].

Les conflits ethniques dans ce pays ne sont pas rares, mais ce peuple restera maltraité et à la dérive entre le Bangladesh et son chez-soi historique de Rakhine tant et aussi longtemps que les différences religieuses et ethniques ne seront pas tolérées par le peuple et l’État.

 

 

Bibliographie

[1] Kipgen, Nehginpao. 2013. « Conflict in Rakhine State in Myanmar: Rohingya Muslims’ Conundrum ». Journal of Muslim Minority Affairs 33 (2) : 298-310

[2] Zarni, Maung, and Alice Cowley. 2014. « The slow-burning genocide of Myanmar’s Rohingya ». Pacific Rim Law & Policy Journal 23 (3) : 683-754.

[3] Biver, Emily. 2014. Religious nationalism: Myanmar and the role of Buddhism in anti-Muslim narratives. Thèse de maîtrise. Département de science politique. Université de Lund.

[4] Op. cit., Zarni & Cowley

[5] Op. cit., Kipgen

[6] Op. cit., Zarni & Cowley

[7] Op. cit., Biver

[8] Op. cit., Zarni & Cowley

[9] Idem.

[10] Op. cit., Biver

[11] Op. cit., Zarni & Cowley

[12] Idem.

[13] Idem.

[14] Idem.

[15] Op. cit., Zarni & Cowley

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