Par Cléo Voron
Le Laos, à l’instar de nombreux pays d’Asie du Sud-Est, possède une importante diversité ethnique, représentant un véritable défi pour la stabilité du pays et la construction d’un État nation. La tri-classification symbolique des « trois soeurs Lao » représentées sur les billets de banques est aujourd’hui obsolète. Elle a laissé place au recensement de quarante-neuf groupes ethniques divisés en quatre familles ethnolinguistiques, classification permettant un meilleur contrôle gouvernemental. En effet, le Parti Révolutionnaire du peuple laotien, parti unique au pouvoir, exerce encore aujourd’hui une emprise stricte sur sa population et sur les médias audiovisuels (Amnesty International, 2018).Alors que les principes d’unité et d’égalité ethnique sont inscrits dans la Constitution laotienne en 1991 (Rolland, 2017, p.23), le fait est que les minorités, sous-représentées politiquement et socialement exclues, se trouvent écrasées sous la majorité symbolique de l’ethnie Lao. Les Hmongs sont l’une de ces minorités, et font l’objet de violentes persécutions perpétrées depuis plus de quarante ans par le gouvernement laotien, qui agit presque impunément face à la quasi absence de réaction de la part du reste du monde.
Les Hmongs sont un peuple dit « montagnard » qui entretient un rapport distancié particulier avec l’État du Laos. Ce sont des conflits d’échelle internationale qui ont brisé leur isolement relatif. C’est lors de la Guerre d’Indochine que les français sollicitent les Hmongs en tant qu’ancien alliés politiques (Michaud et Culas, 1997, p.80).
En effet, en 1953, d’importantes portions du Laos se trouvaient sous l’emprise du parti communiste vietnamien, le Viet Minh. Les français chargent alors les Hmongs de freiner leur avancée au nord du Laos dans la Plaine des Jarres. Leur alliance prend fin avec la victoire du Viet-Minh lors de la bataille de Dien Bien Phu en 1954 (McCoy, 2002, p.290), marquant la fin de la Guerre d’Indochine.
Mais avec la Guerre du Vietnam (1955-1975), ce sont ensuite les Américains qui sollicitent l’aide des Hmongs. Encore une fois dans le but de repousser « la menace communiste », la CIA, l’agence de renseignement américaine, s’organise pour armer des troupes Hmongs de manière clandestine dans les régions montagneuses du Laos(Rolland, 2017, p.104). Ils forment ainsi en 1958 une force anti-communiste secrèteau service des États-Unis (McCoy, 2002, p.290), qui bombarde le pays afin de bloquer la voie aux communistes. Le Laos devient l’un des pays les plus bombardé durant cette période, affichant un taux de mortalité des plus élevés (McCoy, 2002, p.284). Ils mobilisent ensuite près de 30 000 guerriers Hmongs dans les Plaines des Jarres, qui leur servira de force de guérilla défensive et de source d’information sur les opérations ennemies. Puis en 1969, ils serviront dans l’infanterie américaine lors d’attaques directes.
Mais l’arrivée au pouvoir du parti communiste du Pathet Lao en 1975 crée un exode massif des Hmongs vers les États-Unis d’Amériques, la France et la Thaïlande(Rolland, 2017, p.68). Les considérants comme des opposants au régime du fait de leur contribution aux opérations françaises puis américaines anti-communistes, le Pathet Lao enclenche une campagne de représailles brutales comprenant la destruction de villages entiers, des persécutions sanglantes ainsi que des camps de « rééducation » aux conditions de vie effroyables(Michaud et Culas, 1997, p.96).
Selon certains chercheurs, les Hmongs voulaient en réalité demeurer neutres dans ces guerres. Mais ils durent plier sous la pression d’un camp ou d’un autre sous peine de sévices graves. Ils leur promettaient souvent de garantir leur liberté, les Hmongs paraissant très attachée à l’idée d’indépendance de leur groupe(Michaud et Culas, 1997, p.100).
Ils se seraient réfugiés dans un espace transnational que l’historien W. Van Schendel nomme la Zomia (s’apparente au Massif Sud-Est asiatique) (Michaud, 2010, p.187). C’est une sorte de zone refuge pour des communautés qui semblent vouloir se mettre hors de la portée d’un État, niant en quelque sorte son autorité. Elle comporte ainsi un fort caractère politique, mais ne se définit par aucune unité ethnique ou linguistique (Zomia, géographie négative, 2013). Il faut cependant manipuler ce terme avec précaution, cette théorie restant très discutée.
Mais même en cherchgant à s’éloigner et sans plus montrer aucune velléité, les Hmongs continuent d’être traqués dans une quasi insouciance générale. L’UNHCR avait par exemple tenter de renvoyer des réfugiés Hmongs installés aux États-Unis au Laos(Michaud et Culas, 1997, p.98). Plus récemment, la Thaïlande a renvoyé près de 4 500 Hmongs contre leur gré (Amnesty International, 2010). Le gouvernement interdit l’accès aux montagnes abritant les Hmongs, autant aux habitants qu’aux touristes et aux organismes tels que les Nations-Unies. Refusant le dialogue, le gouvernement laotien continue d’empêcher une trop grande médiatisation du conflit.
Face à cette situation délicate et peu médiatisée se pose la question de la responsabilité des puissances étrangères qui ont entraîné un peuple à prendre les armes contre l’idéologie au pouvoir (Abbouz, 2018). Ni les États-Unis ni la France ne semblent en voie de prendre des mesures d’aide conséquentes (Courrier International, 2009). En 2011, un colonel français qui avait combattu auprès de guerriers Hmongs durant la guerre d’Indochine décide de se suicider en signe de dernière protestation contre le massacre. Dans sa lettre, il explique que pour lui, les Hmongs avaient rejoint les troupes françaises dans un contexte de réelle amitié. Mais après avoir contacté différents hommes politiques influents pour agir en leur nom, il se retrouva désespéré du silence qu’on lui opposait et du prétexte d’ingérence derrière lequel ils se cachaient. Il pointe ainsi les limites de la reconnaissance, de la protection et du devoir de mémoire que la France offre à ces guerriers presque oubliés, voire étouffés.
Sources
Abbouz, Bahjia. Le génocide des Hmong, les « harkis » du Laos. 2018. En ligne. http://alohanews.be/politique/genocide-hmong-harkis-laos(page consultée le 8 février 2019).
Alfred Mc Coy. 2002. « America’s Secret War in Laos, 1955-1975 ». DansA Companion to the Vietnam War. Marilyn B. Young etRobert Buzzanc, 283-313.
Amnesty International. 2018Laos 2017/2018. En ligne https://www.amnesty.org/fr/countries/asia-and-the-pacific/laos/report-laos/(page consultée le 9 février 2019).
Amnesty International. 2010.Rapport 2010. La situation des droits humains dans le monde.En ligne. https://www.amnesty.org/download/Documents/40000/pol100012010fra.pdf(page consultée le 9 février 2019).
Amnesy International. 2007. Les Hmongs, ces oubliés du monde.En ligne. https://www.amnesty.ch/fr/sur-amnesty/publications/magazine-amnesty/2007-2/hmongs-oublies-du-monde(page consultée le 11 février 2019).
Courrier International. Drame silencieux au laos. Pour les Hmongs, la guerre du Vietnam n’est pas finie. 2009. En ligne. https://www.courrierinternational.com/article/2009/02/19/pour-les-hmongs-la-guerre-du-vietnam-n-est-pas-finie(page consultée le 9 février 2019).
Michaud, Jean. 2010. « Editorial – Zomia and beyond ». Journal of Global History (2010) 5 : 187–214 .
Michaud, Jean, et Christian Culas. 1997. « Les Hmong de la péninsule indochinoise : migrations et histoire ». Autrepart. 1997, (3) : 79-104.
Rolland, Vincent. 2017. L’intégration des minorités ethniques et des
régions montagneuses du nord du Laos : Le cas de la province de Luang Namtha, 1995-2015. Mémoire, Maitrise en sciences géographiques. Université de Laval.
Zomia, géographie négative. 2013. En ligne. http://marges25mm.blogspot.com/2013/01/zomia-geographie-negative.html(page consultée le 8 février 2019).
Photos : http://www.asianews.it/news-en/The-Hmong-ask-the-UN-to-stop-their-extermination-11512.html http://alohanews.be/politique/genocide-hmong-harkis-laos