La ville mondiale et son pragmatisme contradictoire: La lutte des droits LGBT à Singapour

Par Georgina Kakoseos Marko

Singapour.

La République de la Singapour, parfois décriée comme le « Disneyland with the death penalty »[1], est une cité-État particulière avec plusieurs contradictions. La ville hyper moderne mélange avec la culture traditionnelle confucianiste, l’ouverture économique se contraste par un gouvernement autoritaire et finalement, il est récemment nommé la nouvelle capitale gaie d’Asie malgré la criminalisation des activités homosexuelles [2].

En dépit d’aspirer être une société moderne et progressive, le pays est une des rares en Asie du Sud-Est, gardant encore la vieille loi coloniale, appelé Section 377A, qui criminalise des activités homosexuelles [3]. Cependant, depuis les années 2000, une nouvelle approche plus tolérante du gouvernement est apparue où l’État voulait se distancer de l’image autoritaire. Pourquoi ? Étant un petit pays sans beaucoup d’autres ressources que sa population et des affaires internationales, attirer les « classes créatives » était devenue un objectif principal au temps mondialisé, car avec lesquels la ville prospérait [4].

Néanmoins, les classes créatives se trouvent dans des espaces diversifiés, tolérants et ouverts. L’État singapourien a autorisé les établissements commerciaux LGBT à fonctionner de manière plus visible, les descentes de police ont cessé et les restrictions en matière de censure ont été considérablement relâchées [5]. Pourtant, l’approche se caractérise d’une certaine ambiguïté et d’une culture pragmatique, car la vieille loi coloniale anti-homosexuelle demeure malgré plusieurs propositions par des groupes progressifs de l’abolir [6].

 

 

D’un côté, l’État peut être vu comme faisant seulement ce qui est nécessaire pour satisfaire les opinions différentes dans la société, comme des groupes conservateurs confucianistes, chrétiens et musulmans qui s’opposent au changement de loi, en même temps qu’il donne à la scène gaie l’espace nécessaire pour opérer librement [7]. En 2007, le parti unitaire de Singapour, qui se nomme le Parti d’Action Populaire (PAP), a décidé de garder la Section 377A, tout en promettant de ne pas l’appliquer activement [8]. L’argument de premier ministre à l’époque, M. Lee, était que la société de Singapour est conservatrice et que lorsque l’opinion publique changera, la loi serait supprimée [9].

D’un autre côté, le point de vue ambigu de l’État protège également la valeur culturelle de la famille nucléaire hétérosexuelle qui est profondément ancrée dans l’identité nationale singapourienne et qui est considérée comme une pierre angulaire essentielle du développement futur de l’État [10]. Cela peut être attribué à l’importance de maintenir un taux de natalité élevé, comme mentionnée précédemment, sans des ressources telles que la terre ou une population nombreuse, le contrôle démographique a été une priorité importante depuis les dernières années coloniales.

Dès 1940, l’administration britannique a commencé à localiser les ménages et à poursuivre la famille nucléaire hétérosexuelle comme modèle idéal [11]. Au moment de l’indépendance en 1965, le gouvernement du PAP a rapidement adapté les politiques de logement et les subventions destinées à l’ingénierie sociale de la nouvelle société, en mettant l’accent sur la planification familiale stricte et la régulation des naissances [12].

Dans les années 1980, le taux de natalité avait tellement baissé que les politiques ont dû être complètement inversées. Le gouvernement a commencé à promouvoir la procréation en organisant des campagnes annuelles s’appelant « Romancing Singapore » ainsi que des politiques telles que des avantages fiscaux pour avoir des enfants [13]. L’unité familiale est ainsi devenue un outil de développement central, où l’image officiellement acceptée est qu’une famille stable signifie une économie stable et une nation prospère.

PinkDot 2017. Photo: BBC.

 

L’approche pragmatique mentionnée plus haut n’est pas seulement celle du gouvernement, mais aussi celle du mouvement national LGBT. Un exemple est le plus grand événement annuel appelé PinkDot qui a eu lieu depuis 2009. PinkDot n’est pas un événement ouvertement sexuel ou radicalement politique. Ses organisateurs soulignent qu’il ne s’agit ni d’une protestation ni d’un défilé, mais plutôt d’un grand piquenique familial [14]. En rendant les LGBT conformes aux valeurs nationales, PinkDot se présente comme non menaçant pour la société singapourienne centrée sur la famille.

Cependant, en se plaçant dans le même discours que l’État répressif utilise contre eux, on peut soutenir que PinkDot perd une partie de son pouvoir en se réfugiant dans l’image du « queer respectueux » [15]. Cela va bien avec d’autres parties de la culture confucéenne et rend le mouvement très singapourien, car il ne conteste pas officiellement l’autorité, ce qui ne serait pas pratique [16]. De plus, l’approche peu radicale de PinkDot a attiré des entreprises multinationales en tant que sponsors, telles que Google et Twitter [17].

Voilà qui résume bien le pragmatisme de la société singapourienne. L’État accorde au mouvement LGBT l’espace dont il a besoin pour attirer de grands commanditaires multinationaux et présenter la ville comme une ville tolérante et florissante sur le plan créatif. En même temps, le gouvernement et les groupes conservateurs parviennent à maintenir la loi de Section 377A et la trajectoire de développement nationale basée sur la famille nucléaire hétérosexuelle n’est pas vraiment remise en cause.

 

[1] Voir William Gibson, « Disneyland with the Death Penalty ».

[2] Robert Philips, p. 47.

[3] Yulius et al., p. 183

[4] Natalie Oswin, p. 413

[5] ibid.

[6] Yulius et al., p. 186.

[7] Robert Philips, p. 48.

[8] Yulius et al., p. 186.

[9] ibid.

[10] Yulius et al, p. 185.

[11] ibid.

[12] Natalie Oswin, p. 421.

[13] ibid.

[14] Natalie Oswin, p. 414.

[15] Robert Philips, p. 51.

[16] Robert Philips, p. 58.

[17] Yulius et al, p. 190.

 

Bibliographie

Gibson, William. 1993. « Disneyland with the Death Penalty ». En ligne. http://www.wired.com/wired/archive/1.04/gibson.html. (Page consultée le 16 mars 2019)

Oswin, Natalie. 2014. « Queer Time in global city Singapore: neoliberal futures and the ‘freedom to love’ ». Sexualities. 17 (4) : 412-433.

Phillips, Robert. 2014. « “And I Am Also Gay” : Illiberal Pragmatics, Neoliberal Homonormativity and LGBT Activism in Singapore. » Anthropologica. 56 (1) : 45-54.

Yulius, H., Tang, S., et Offord, B. 2018. « The Globalization of LGBT Identity and Same-Sex Marriage as a Catalyst of Neo-institutional Values: Singapore and Indonesia in Focus ». Dans Winter, B., Forest, M., et Sénac, R., dir., Global Perspectives on Same-Sex Marriage. Global Queer Politics. Cham : Palgrave Macmillan, 171-196.

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