par Cléo Voron
Il n’est pas rare de constater que certains États d’Asie du Sud-Est utilisent des éléments de politique internationale pour servir leurs propres intérêts nationaux. L’environnement, et notamment la préservation de la forêt en Thaïlande, paraît être l’un de ces prétextes.
La création en 1896 du Royal Forestry Department (RFD) et le Forest Care Act de 1913 marquent les premiers pasdu pays en politique environnementale. Mais c’est surtout à partir de 1941, avec le Décret sur les Forêts puis en 1964, avec le Décret sur les Réserves Forestières Nationales, que la Thaïlande affirme ses préoccupations pour la conservation de la forêt. Commencent en effet dans les années 1960 le début de la délimitation de réserves forestières à préserver(Déry, 2008).
Ces velléités environnementales s’inscrivent dans un contexte international favorable au financement de projets environnementaux. Le rapport Bruntland Notre avenir à touspublié en1987 a en effet contribué à multiplier les aides bilatérales dont de nombreux pays de l’Asie du Sud-Est ont bénéficié pour soutenir leurs projets de développement nationaux (Déry, 2008). Les aires protégées ont alors fleurien Thaïlande. Mais loin de faire perdre à l’État-nation son indépendance décisionnelle, les injonctions internationales en matière environnementale ont en réalité permit de justifier des mesures nationales. Elles ont été utilisées comme prétexte d’intervention auprès de populations pour régler des dissensions internes non résolues. La consolidation de l’appareil gouvernemental à en fait permit un contrôle accru sur son territoire(Déry, 2008).
Or ce contrôle s’effectue en défaveur des populations montagnardes, à l’image des Karen, principale minoritémontagnarde de Thaïlande dépossédées de leur droits coutumiers d’occupation des sols. Alors que les touristes écolos et les chercheurs ont accès aux aires protégées, leurs anciens habitants se voient renier ce droit(Déry, 2008). Car ses préoccupations concernant le patrimoine naturel du pays se sont d’abord tournées vers les habitants desdits territoires, notamment les minorités en dépendant directement. Considérées par l’organisme étatique comme sous-développées en comparaison des populations urbaines, ces minorités se sont vues accusées de bien des maux, notamment de par la pratique d’agriculture de l’abattis-brulis. Celle-ci est considérée comme contraire au principe de durabilité, et responsable du déboisement de la forêt. Le RFD estime effectivement que c’est la mauvaise utilisation des terres due à cette pratique inefficace que la forêt s’amoindrit. Pas de mention ici de déforestation à but commercial. De plus, l’abattis-brûlis serait aussi la cause de sédimentation des terres et de détournement de cours d’eau, impactant alors les importantes cultures de riz(Delang, 2005).Encore une fois, le gouvernement n’évoque pas l’impact environnemental de certaines choses comme la construction de routes. Pourtant, la thèse selon laquelle les minorités ethnique montagnardes seraient la cause d’un déboisement de première importance est irrecevable (Leblond, 2011).
La RFD continue donc de défendre sa mission de reforestation, et ce sans réels opposants, les populations montagnardes ne bénéficiant pas vraiment de représentation politique (Delang, 2005). Il devient alors aisé de les blâmer, sans régler réellement le problème de la déforestation, et de l’incompréhension entre les deux parties.
Car il y a là une incompréhension mutuelle de l’autre partie, alimentée par un historique de tensions (opium, immigration illégale, suspicion de déloyauté envers l’État…) n’aidant pas au consensus (Harres, 2009). Un manque de confiance est maintenu par un discours réduit à des stéréotypes par l’État, qui s’évertuerait à dévaloriser les coutumes montagnardes.L’État cherche ainsi à justifier l’accaparement des ressources naturelles,et permettrede mieux assimiler et contrôler ces populations mouvantesconsidérées comme un peu trop autonomes (Rossi, 1998). Pour l’instant, les minorités n’arrivent pas à contrer la nationalisation des forêts qu’elles exploitaient auparavant, ni à changer la vision dichotomique de l’État opposant l’homme à la nature, obligeant les minorités à se déplacer et changer leurs traditions (Vanhooren, 2006).
Alors que l’environnementalisme est devenu un outil de légitimation politique, l’agriculture itinérante basée sur la technique d’abattis-brûlis semble de moins en moins appropriée. Maissi le gouvernement souhaite opérer une transition, il lui faut proposer des solutions viables basées sur un compromis territorial. Ce que l’on remarque pour l’instant, ce sont d’autres moyens mis en place dans le but de contrôler la population, notamment par l’obtention de la citoyenneté, qui nécessite une totale sédentarisation (Déry, 2008). Or la réduction de l’espace agricole et l’augmentation de la densité de population ont créé une situation de compétition pour les terres et les ressources naturelles, causant aussi des conflits entre locaux (Hares, 2009).
Face aux portraits de « bons sauvages » dépeints dans les médias qui s’opposent aux images de montagnards destructeurs de forêts, les populations locales ont elles aussi développé leurpropreenvironnementalisme. Un activisme nouveau se forme, à l’image duregroupement de populations locales Karen Network for Culture and Environment (Déry, 2008).Elles proposent des stratégies créatives et un discours moderne sur la préservation des forêts de la part de ceux qui y vivent. Le but dans la démarche de résolution de conflit est de favoriser une meilleure compréhension des enjeux pour chaque acteur. Il faut user de mécanismes de médiation et négociation sur une base légale, en s’appuyant sur des réseaux de coopération locale. Enfin, des organismes non-gouvernemntaux peuvent aussi jouer un rôle dans l’apport de solutions extérieures et modernes aux problèmes locaux (Hares, 2009).
Sources
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Alfred Mc Coy. 2002. « America’s Secret War in Laos, 1955-1975 ». DansA Companion to the Vietnam War. Marilyn B. Young etRobert Buzzanc, 283-313.
Amnesty International. 2018Laos 2017/2018. En ligne https://www.amnesty.org/fr/countries/asia-and-the-pacific/laos/report-laos/(page consultée le 9 février 2019).
Amnesty International. 2010.Rapport 2010. La situation des droits humains dans le monde.En ligne. https://www.amnesty.org/download/Documents/40000/pol100012010fra.pdf(page consultée le 9 février 2019).
Amnesy International. 2007. Les Hmongs, ces oubliés du monde.En ligne. https://www.amnesty.ch/fr/sur-amnesty/publications/magazine-amnesty/2007-2/hmongs-oublies-du-monde(page consultée le 11 février 2019).
Courrier International. Drame silencieux au laos. Pour les Hmongs, la guerre du Vietnam n’est pas finie. 2009. En ligne. https://www.courrierinternational.com/article/2009/02/19/pour-les-hmongs-la-guerre-du-vietnam-n-est-pas-finie(page consultée le 9 février 2019).
Michaud, Jean. 2010. « Editorial – Zomia and beyond ». Journal of Global History (2010) 5 : 187–214 .
Michaud, Jean, et Christian Culas. 1997. « Les Hmong de la péninsule indochinoise : migrations et histoire ». Autrepart. 1997, (3) : 79-104.
Rolland, Vincent. 2017. L’intégration des minorités ethniques et des régions montagneuses du nord du Laos : Le cas de la province de Luang Namtha, 1995-2015. Mémoire, Maitrise en sciences géographiques. Université de Laval.
Zomia, géographie négative. 2013. En ligne. http://marges25mm.blogspot.com/2013/01/zomia-geographie-negative.html(page consultée le 8 février 2019).
Photos : https://missioncatholiquekaren.org/qui-sont-les-karens/