Par Elisabeth Charron
Depuis l’élection de Rodrigo Duterte en 2016, la « Guerre contre la Drogue » a fait officiellement entre 12 000 et 20 000 morts. En décembre 2018, le gouvernement reconnaît que 5 000 de ces victimes ont été tuées lors des opérations antidrogue entreprises par la police nationale. Les « Death Squats » et les milices non officiels seraient responsables des autres tueries (Ellis-Peterson, 2018). Une investigation menée par la cour pénale internationale pourrait accuser le président Duterte et son gouvernement de crimes contre l’humanité (Kine, 2017). En effet, en encourageant les attaques visant une partie précise de la population philippine, soit les criminels et les toxicomanes, Duterte crée une polarisation sociale qui enfreint le droit universel à la vie (Reyes, 2016).
La « Guerre contre la Drogue » a pour objectif de réduire le taux de criminalité ainsi que le trafic illégal de drogue aux Philippines. Cette initiative prise par Duterte est sujette à la controverse auprès de plusieurs organisations locales et internationales. D’ailleurs, les Nations unies, l’Union européenne ainsi que les Etats-Unis, un allié de longue date, critiquent la violence utilisée lors des opérations menées par la police. De plus, l’organisation Human Right Watch examine présentement plusieurs des meurtres recensés qui seraient liés à des descentes illégales menées ou coordonnées par la police. En effet, bien que la grande majorité des tueries ait été effectuée par des milices non officielles, plusieurs suspectent que ces attaques ont été organisées par les gouvernements locaux (Kine, 2017).
En 2019, Duterte soutient toujours que la « Guerre contre la Drogue » est nécessaire afin de lutter contre la menace que posent les toxicomanes (Kine, 2017). Ses discours radicaux se basent sur une attitude culturelle face à la drogue qui persiste dans l’archipel philippin depuis le début du vingtième siècle. Le terme dérogatoire « Adik è » désigne les toxicomanes et les marginalisent de la société en les associant à des activités criminelles. Cette fausse équivalence sur laquelle s’appuie le président rend le pouvoir sans retenue qui est accordé aux descentes contre la drogue légitime (Ellis-Peterson, 2018). Ainsi, ceux qui consomment de la drogue doivent tous être punis de la même façon. Aux yeux du président Rodrigo Duterte, un criminel ne peut pas être considéré comme un humain. En leur enlevant leur humanité, il justifie ainsi la violence brutale utilisée lors des opérations et il se déculpabilise des accusations qui lui sont adressées. Les droits de l’homme ne sont valident que pour les bons citoyens respectueux de la loi, les toxicomanes en sont donc exclus (Simangan, 2017).
Malgré la critique de plusieurs organisations internationales et locales, le président Duterte a réussi à maintenir une popularité élevée chez la population philippine (Simangan, 2017). Vulgairement, il avait promis lors de sa campagne électorale qu’il n’hésiterait pas à tuer les criminels et les toxicomanes, comme il l’avait fait précédemment durant son mandat en tant que maire à Davao (Kine, 2017). Les enjeux entourant la drogue étaient un problème sérieux dans l’archipel, mais les circonstances dépeintes par Duterte ont amplifié la situation. En exagérant les faits, le discours du président a généré une crise de sécurité nationale bien que les statistiques gouvernementales présentaient une réduction de la consommation de drogue aux Philippines (Thompson, 2016).
La popularité de Duterte s’ancre dans la distance qu’il établit entre lui et les anciens présidents philippins. En établissant une polarisation extrême dans la nation, les bons citoyens contre les criminels, il enracine ses intentions politiques entourant les enjeux de sécurité nationale dans un message clair. Il est également le seul dirigeant qui exécute ses menaces et, de ce fait, remplit ses promesses électorales. En organisant des opérations antidrogue à l’échelle nationale, Duterte transforme graduellement la violence brutale utilisée lors des descentes policières comme une norme, un standard accepté par la population (Reyes, 2016).
Dans tous les cas, la culpabilité de la victime est présumée (Thompson, 2016). Aucun « criminel » n’est condamné aux préalables de la descente, leur punition s’effectuant hors des processus légaux. En effet, aucun procès n’est accordé aux suspects et les officiers agissent en tant que juge, jury et bourreau lors de la condamnation d’un toxicomane (McKirdy, 2016). De plus, la police nationale philippine classifie les meurtres commis depuis le début de la « Guerre contre la Drogue » comme des « homicides en cours d’investigation » malgré l’inaction des forces policières ce qui empêche l’État de dresser un portrait clair de la situation (Human Rights Watch).
La « Guerre contre la Drogue » se manifeste à travers une brutalité extraordinaire : les corps des victimes sont généralement trouvés dans des ruelles, des coins de rue ou sous des ponts. Ils montrent plusieurs signes de torture et des pancartes les identifiant comme des toxicomanes sont déposées près des défunts (Kine, 2017). Afin d’intimider les cibles de la « Guerre contre la Drogue », les corps des victimes sont transformés en un spectacle d’humiliation et de violence. Leur vie devient politisée et leur corps est réduit en un outil par lequel Duterte transmet un message politique. Ces avertissements traduisent son pouvoir et légitiment les actes de violence contre la population marginalisée faisant partie du trafic de drogue. La démonstration de force extrême des opérations antidrogue rend la menace des discours de Duterte réel et tente de dissuader les citoyens d’enfreindre la loi (Reyes, 2016).
Bibliographie
Ellis-Petersen, Hannah. « Duterte’s Philippines drug war death toll rises above 5,000 » The Guardian, 19 décembre 2018, <https://www.theguardian.com/world/2018/dec/19/dutertes-philippines-drug-war-death-toll-rises-above-5000>
Human Rights Watch. « Philippines, Events of 2018 » Consulté le 24 avril 2019 < https://www.hrw.org/world-report/2019/country-chapters/philippines>
Kine, Phelim. 2017. « Philippine President Rodrigo Duterte’s ‘War on Drugs’ » Harvard International Review 38 (3) : 24-27
McKirdy, Euan « ‘Knock and plead’ – On night patrol with Philippines Police. » CNN, 25 août 2016, <https://www.cnn.com/2016/08/25/asia/philippines-police-knock-and-plead-drug-operations/index.html>
Reyes, Danilo Andres. 2016. « The Spectacle of Violence in Duterte’s “War on Drugs” » Journal of Current Southeast Asian Affairs 35 (3) : 111–137.
Simangan, Dahlia. 2017. « Is the Philippine ‘War on Drugs’ an Act of Genocide ? » Journal of Genocide Research 20 (1) : 68-89
Thompson, Mark. 2016. « Bloodied Democracy: Duterte and the Death of Liberal Reformism in the Philippines » Journal of Current Southeast Asian Affairs 35 (3) : 39–68 .