L’histoire du communisme en Indonésie fut principalement marquée par l’avènement du massacre qui débuta lors de la prise du pouvoir par Suharto le 30 septembre 1965. Les principaux résultats de recherche reliés au PKI, le Parti communiste indonésien réfèrent à cette véritable purge anti-communiste qui suivit la prise de pouvoir du général Suharto et qui produit, selon différentes sources, entre 300 000 et 1 000 000 de personnes sur plusieurs années. Bien que cet événement tragique se doit d’être étudié, moins de travaux furent effectués sur l’influence et les dynamiques de pouvoir qu’engendra le PKI précédant les terribles événements de 1965. Au sommet de sa force, le PKI représenta le Parti communiste le plus populeux en dehors du « bloc socialiste » traditionnel. Il se rapprocha fortement du pouvoir du Président Suharto et contribua à modeler les dynamiques politiques de l’archipel de manière significative. (Blanchard, 1972). (Margolin, 2001).
Un historique de violence, avec une nuance
Le PKI, qui naquit officiellement en 1920 sut rapidement se tailler une place dans la faveur populaire en se plaçant à l’avant-scène du mouvement de libération nationale face à la puissance coloniale néerlandaise. C’est d’ailleurs au cours de ces années que le mouvement connut ses premières rébellions, qui furent durement réprimées, en 1926 et 1927. Le mouvement communiste tenta un autre soulèvement après l’indépendance, en 1948, mais cette rébellion fut également supprimée en peu de temps. (Blanchard, 1972).
Bien que ces épisodes violents portèrent des coups durs au PKI, le Parti parvint toujours à se relever, possédant une base militante impressionnante et des instances locales très actives. Il est également pertinent de mentionner la différence significative dans ce que Margolin appelle le « rapport de violence » entre les rébellions de 1926-1927-1948 et le massacre de 1965. Les rébellions s’organisèrent dans un contexte de conflit civil, où le PKI prit part entière dans les différents combats. Tandis qu’en 1965, où la plupart des sympathisants du Parti et leurs proches furent décimés, on entra dans une logique « d’État répresseur », où l’armée, ainsi que plusieurs groupes de la société civile furent mobilisées dans une logique de poursuite et d’anéantissement du bouc-émissaire qu’était devenu le PKI. (Margolin, 2001).
En constante progression
En clamant rassembler plus de trois millions de membres officiels et environ quinze millions de sympathisants, le PKI représentait l’une des forces politiques indonésiennes majeures lors de l’avènement du massacre de 1965, où son influence arrivait au coude à coude avec celle de l’armée selon plusieurs observateurs. (Blanchard, 1972).
En effet, la stratégie de mobilisation et d’accès au pouvoir du PKI était extrêmement large. Motivé par son grand soutien numérique au sein de la population, le Parti s’efforça, à tort ou à raison, de jouer sur plusieurs fronts de la société indonésienne. Ne possédant que peu d’appui au gouvernement mais ayant des bases solides au sein de la société civile, de quelques factions de l’armée (en particulier l’aviation), et entretenant une relation étroite avec le Président Sukarno, le Parti se sentait assez fort pour se permettre de déclencher des actions unilatérales. Citons en exemple son interprétation arbitraire de l’application de la réforme agraire passée au Parlement ou l’armement et la formation de milices paysannes en brandissant le spectre d’une confrontation possible avec la Malaisie voisine. (Margolin, 2001).
Une appréhension montante.
Cette montée incontestable du PKI, qui au début de l’année 1965, paraissait devenir la force politique incontournable de l’Indonésie, alimenta la nervosité grandissante que pouvait avoir plusieurs secteurs de la société à son égard. Premièrement l’armée, qui voyait d’un mauvais œil le rapprochement de Sukarno de l’emprise du PKI et l’inévitable axe politique Sukarno-communistes auquel elle devrait faire face. Deuxièmement, les riches et en particulier les propriétaires terriens qui voient le potentiel de la perte de leurs grandes plantations par l’appropriation à peine voilée de la réforme agraire par le PKI. Finalement, le mouvement religieux, concentré autour de deux partis politique musulmans, un réformiste et un autre plus traditionnaliste qui vécurent de grandes frictions avec le PKI, autour de l’athéisme des communistes. (Margolin, 2001).
À ce propos, il semblerait pertinent de mentionner que les confrontations entre les forces religieuses et leurs adeptes et les communistes étaient déjà monnaie courante en Indonésie. Où plusieurs îles furent le théâtre d’affrontements violents et ce, malgré l’introduction de certaines notions d’Islam dans le programme du parti pour tenter de calmer la grogne populaire envers l’athéisme de son idéologie de base. (Sadria, 1986).
Une diabolisation
La puissance incontestable que s’était forgé le PKI au sein de la société indonésienne et l’appréhension grandissante qu’elle engendrait chez plusieurs groupes rendit plus aisé la dévolution de la responsabilité du prétendu coup d’État par les responsables militaires sur les communistes. Lors du mouvement du 30 septembre, qui allait marquer le début de la dictature de Suharto et du plus grand massacre de l’Indonésie contemporaine, la propagande anti-communiste n’eut aucun obstacle à infiltrer la mobilisation populaire. Plusieurs mythes d’atrocités commises par le PKI et ses sympathisants entraineront le déclenchement d’une violence spectaculaire qui n’épargna pas grand monde présumé partisan et/ou leurs proches. (Bertrand, 1998).
Bien qu’ayant connu des soubresauts de violence au cours de sa montée vers le pouvoir, le PKI représente un rare exemple de parti communiste de masse ayant opté pour une lutte institutionnelle et pacifique vers le pourvoir. (Le Clerc, 1974). S’étant démarqué, tant dans les luttes nationalistes que dans les applications des politiques de Sukarno, pour avoir imposé le langage de la lutte de classe en Indonésie, l’expérience malheureuse du communisme indonésien en amène à se demander la place que réserve la lutte des classes aux processus politiques pacifiques. À savoir si les forces réactionnaires ne poussent donc pas inévitablement à une confrontation violente et nécessaire dans l’instauration d’un projet politique souhaitant mettre fin à la lutte des classes.
Bibliographie
1 : Bertrand. R. La promesse et la menace. Pouvoir pastoral et traditions de dissidence en Indonésie. Raisons Politiques. Presses de Science Po. 1998. pp 22-48.
2 : Blanchard, F. (1972). Quelques ouvrages sur le Parti communiste indonésien. pp 134-140.
3 : Le Clerc, J. (1974). Françoise Cayrac-Blanchard, Le Parti Communiste Indonésien. Archipel, 8(1), 231-234.
4 : Margolin, J. L. (2001). Indonésie 1965: un massacre oublié. Revue internationale de politique comparée, 8(1), 59-92.
5 : Sadria, M. (1986). L’Indonésie : Interactions et conflits idéologiques avant la Deuxième Guerre mondiale. Études internationales, 17, (1), 49–61. https://doi.org/10.7202/701963ar