Laurence Choquette Loranger
Le 25 décembre 2019, la Thaïlande a annoncé la légalisation de la marijuana médicale. Si cette tendance à la légalisation se maintient en Asie du Sud-Est, plusieurs croient que la Malaise sera le prochain pays à faire de même. En fait, précédant l’annonce de la Thaïlande, les médias parlaient d’une « course à la légalisation » entre les deux États[1].
Le 26 décembre dernier, le ministre de la santé malaisien, Dr Lee Boon Chye, a annoncé qu’il serait prêt à considérer la légalisation de la marijuana si son usage médical est reconnu comme étant sûr et efficace pour la santé des patients[2]. Les sociétés pharmaceutiques devront d’abord fournir des preuves comme quoi la marijuana est enregistrée comme un médicament pour lequel des tests ont été effectués et qui se sont avérés concluants. Une fois que le dossier sera soumis et qu’il y aura suffisamment d’informations sur le sujet, le ministère pourra procéder à une réévaluation des lois encadrant le cannabis médical[3].
Cette annonce est particulièrement surprenante provenant de la Malaisie puisque c’est un pays reconnu pour avoir une politique très stricte quant au trafic de drogue. Selon le droit malais, pour une possession de 200 grammes de marijuana ou plus (ce qui équivaut au 2/3 d’une cannette de Coca-Cola), la personne ayant commis l’infraction est automatiquement chargée de trafic de drogue et l’unique sentence que le juge peut donner est la peine de mort[4]. Cultiver un seul plant de cette herbe à la maison peut également justifier l’emprisonnement à vie d’une personne[5]. De plus, le droit malais prévoit que le fardeau de la preuve repose sur les épaules des accusés et c’est donc à eux de démontrer que la drogue ne leur appartient pas[6].
En raison de la stricte juridiction malaise, la majorité des personnes incarcérées au pays y sont en raison de la drogue. Cela représente un peu plus de la moitié des 65 000 prisonniers[7]. Aussi, près des trois quarts des 1 281 condamnés à mort à la fin du mois d’octobre 2018 ont été reconnus coupables de crimes liés à la drogue[8]. La Malaisie garde secret le nombre de ses exécutions, mais selon Amnistie internationale environ la moitié des condamnations à la peine capitale de ces dernières années ont été prononcées pour des infractions liées à la drogue. Les chiffres ne démontrent toutefois pas la part attribuable au cannabis dans ces exécutions.
En octobre dernier, le ministre chargé du droit, Liew Vui Keong, avait annoncé que le gouvernement cesserait d’abroger la peine de mort obligatoire pour les crimes dont elle est la seule sentence exigée. Quelques mois plus tard, soit en mars 2019, le gouvernement est revenu sur sa décision puisqu’il ne voulait pas laisser à la cour la décision de déclarer la peine capitale ou non à un individu ayant enfreint la loi[10]. La législation demeure donc la même pour l’instant.
En 1998, les ministres des Affaires étrangères de l’ASEAN ont conjointement signé la Déclaration commune pour une ASEAN sans drogue d’ici 2020[11]. Cela engageait donc les pays membres à éradiquer la production, la transformation, le trafic et l’abus de drogues illicites d’ici 2020. En 2000, les gouvernements ont décidé d’empresser le pas afin de faire face à la menace et ont devancé l’année cible pour 2015[12]. Pour attendre son objectif, la Malaisie a décidé d’employer des mesures très strictes et punitives. Toutefois, plusieurs recherches récentes ont démontré que la décision de traiter la drogue comme un problème criminel et non pas comme un problème de santé a moins d’impact sur la consommation des utilisateurs[13]. En effet, le nombre de consommateurs en Malaisie est en hausse depuis l’implantation des mesures punitives[14]. Les politiciens continuent de marteler que la drogue est « l’ennemi public numéro un », que « tous les drogués sont des vendeurs de drogue potentiels » et que « l’usage de drogues est l’une des plus grandes menaces qui hantent encore la nation »[15].
En réaction à cela, plusieurs organisations non gouvernementales, professionnels de la santé, et l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (UNDCP) demandent au gouvernement d’instaurer des mesures de réduction des méfaits. Ce n’est qu’en 2006 que la Malaisie a finalement décidé d’introduire de telles méthodes. En 2018, la Banque Mondiale a publié un rapport sur l’efficacité du nouveau programme et les activités de réduction des risques se sont avérées être non seulement efficaces, mais aussi rentables[16].
Même si la Malaisie n’arrivera vraisemblablement pas à éradiquer la drogue d’ici tôt, le pays semble faire des progrès pour limiter les dégâts causés par celle-ci, notamment pas l’assouplissement de ses mesures punitives. Comme c’est le cas dans plusieurs pays, puisque la marijuana est considérée comme illégale, il existe très peu de données sur son utilisation et sa part dans les problèmes liés aux narcotiques. Même si le cannabis est maintenant légal dans plusieurs États du monde, pour plusieurs autres pays, dont la Malaisie, cette plante demeure considérée comme faisant partie des « drogues dangereuses » pour lesquelles le gouvernement doit lutter. Il semblerait toutefois que le gouvernement soit de plus en plus ouvert à l’idée de traiter la marijuana moins sévèrement. Il reste à voir si cette souplesse se traduira par la légalisation du cannabis médical dans le futur…
[1] The Business Times. « Malaysia Races against Thailand to Become First in Asia to Allow Medical Pot », 26 septembre 2018, [En ligne], Consulté le 12 avril 2019. https://www.businesstimes.com.sg/government-economy/malaysia-races-against-thailand-to-become-first-in-asia-to-allow-medical-pot.
[2]Kaur, Manjit. « Legalise medical marijuana? Only if proven safe and effective », The Star Online, [En ligne], Consulté le 12 avril 2019. https://www.thestar.com.my/news/nation/2018/12/26/legalise-medical-marijuana-only-if-proven-safe-and-effective/.
[4] Pinto, S.« Is the Death Penalty the Answer to Drug Crime? », Amnistie internationale, 9 octobre 2015, Consulté le 12 avril 2019. https://www.amnesty.org/en/latest/campaigns/2015/10/is-the-death-penalty-the-answer-to-drug-crime/.
[5] Ponniah, Kevin. « It’s Either Cannabis or Die », 12 novembre 2018, BBC News sect. Asia, [En ligne], Consulté le 12 avril 2019. https://www.bbc.com/news/world-asia-46029635.
[6] Ibid. Pinto, S. (2015).
[7] Mayberry, Kate. « Malaysia death penalty abolition opens door to drug policy review ». Aljazeera, 28 novembre 2018, [En ligne], Consulté le 12 avril 2019. https://www.aljazeera.com/news/2018/11/malaysia-death-penalty-abolition-opens-door-drug-policy-review-181128061558622.html.
[8] Ibid.
[9] Ibid. Pinto, S. (2015).
[10] Dhanapalan, Nisshanthan. « Disappointed with decision – Amnesty International Malaysia », The Star Online, 15 mars 2019, [En ligne], Consulté le 12 avril 2019. https://www.thestar.com.my/opinion/letters/2019/03/15/disappointed-with-decision/.
[11] United Nations Office on Drugs and Crime Regional Centre for East Asia and the Pacific. « Drug-Free ASEAN 2015: Status and Recommendations », 2008.
[13] Volkow, Nora D., Vladimir Poznyak, Shekhar Saxena, et Gilberto Gerra. « Drug use disorders: impact of a public health rather than a criminal justice approach ». World Psychiatry, 16, no 2, juin 2017: 213‑14. https://doi.org/10.1002/wps.20428.
[14] Reid, Gary, Adeeba Kamarulzaman, et Sangeeta Kaur Sran. « Malaysia and harm reduction: The challenges and responses ». International Journal of Drug Policy, Harm Reduction – Coming of Age, 18, no 2, 1 mars 2007: 136‑40. https://doi.org/10.1016/j.drugpo.2006.12.015.
[15] Kuppusamy, B. « Malaysia’s war on social skills draws scepticism ». South China Morning Post, p. 8.
[16] Haning, Herlianna, Cliff Kerr, Adeeba Kamarulzaman, Sutayut Osornprasop, Maznah Dahlui, Chiu-Wang Ng, et David P. Wilson. « Return on Investment of Harm Reduction Program in Malaysia ». The World Bank, 1 août 2018. http://documents.worldbank.org/curated/en/257261534788428714/Return-on-Investment-of-Harm-Reduction-Program-in-Malaysia.