Par Mikaelle Hotte
Bien que les premiers battements d’ailes du mouvement d’émancipation sexuelle soient répertoriés dans les années 1960 à l’échelle mondiale, dans plusieurs pays de l’Asie du Sud-Est, la question de la sexualité a commencé à prendre de l’importance dans le débat public à la fin du 20e siècle (Scornet 2016, 141). Contrairement à l’occident, où le débat de démocratisation et l’accès à la contraception s’est construit autour des discours féministes et en rapport avec les droits des homosexuels, au Vietnam, le débat s’inscrit plutôt autour de la question de la santé sexuelle (Scornet 2016, 144). Comment la libération des normes sexuelles s’est opéré au Vietnam ? Quels ont été ses impacts sur la perception sociale et politique du fait homosexuel, surtout en cas de crise de l’épidémie du VIH au début des années 2000 ?
La question de la sexualité qui s’éloigne du tabou
C’est surtout par le biais de l’implémentation des politiques de limitation des naissances dans les années 1990 que les femmes peuvent enfin différencier leur vie sexuelle et l’objectif impératif de procréer, d’où la pertinence de la revendication à un meilleur accès aux contraceptifs (Scornet 2016, 142). En effet, l’emphase des revendications est surtout mise sur le lien entre l’aspect santé sexuelle, qui, par le fait même, pousse le débat issu de la sphère autrefois privé et matrimonial à se transformer en un débat politique (Scornet 2016, 142).
À partir de ce moment, le concept de sexualité aux fins de reproduction est progressivement remplacé par le concept de vie sexuelle (Scornet 2016, 141). Pour la nouvelle génération qui débute leur vie de jeune adulte au début des années 2000, la socialisation verticale traditionnelle et rigide, régit par les règles morales et les institutions d’encadrements (famille et école) cède sa place à une socialisation horizontale, orientée essentiellement par les pairs et les expériences personnelles (Scornet 2016, 144). Par le fait même, ce changement graduel de paradigme transforme non seulement la perception de la sexualité des femmes, mais aussi celle des rapports homosexuels aux yeux de la jeunesse vietnamienne, qui désormais, se voit en position d’apprivoiser une vie sexuelle qui a pour finalité le bien-être, et non la fertilité (Scornet 2016). Bref, la structure sociale, familiale et conjugale qui encadrait la vie sexuelle de la jeunesse se transforme en une structure plus individualiste qui ouvre la porte à plus de relations hors-mariages et homosexuelles (Scornet 2016, 144).
Afin d’avoir une meilleure idée du débat sur l’homosexualité et des différences entre les générations, voici une courte vidéo qui suit la première manifestation à Hanoi pour les droits homosexuels en 2012 : https://www.youtube.com/watch?v=q1WZIQmsMsk
Stigmatisation des relations homosexuelles et réponse politique à l’épidémie du VIH
Plusieurs facteurs sont en mesure d’expliquer la répression sociale de la communauté gaie. L’acceptabilité sociale des rapports homosexuels est plutôt faible vu la rigidité des rapports sociaux entre sexes et le dimorphisme prédominant dans la conceptualité des genres.
En effet, le fait homosexuel est donc perçu au sein même de la population comme une mauvaise habitude de vie venant des vietnamiens ayant connu la culture occidentale et n’ayant donc pas vraiment de légitimité dans la culture traditionnelle promue encore par la majorité populaire (Blanc 2005, 729).
Bien que ni le code pénal ou civil ne prévoit d’article visant les actes homosexuels, les services policiers vietnamiens sont souvent en mesure de cibler cette communauté afin de démanteler leurs lieux de rassemblements, comme les clubs qui leurs sont réservés (Blanc 2005, 733). Une grande part de cette vision est descendante d’un héritage staliniste qui, en 1934, avait implanté une politique anti-homosexuelle, rendant ces pratiques au sens de la loi comme étant un délit (Blanc 2005, 734).
De plus, la doctrine confucéenne, qui promue le devoir de l’homme de fonder une famille afin de répondre aux demandes de ses ancêtres, explique en partie l’invisibilité de la communauté, surtout puisqu’elle est encouragée par la religion dominante du pays, le bouddhisme (Blanc 2005, 734)
Malgré tous les facteurs qui peuvent expliquer la répression sociale sur les relations homosexuelles, l’émancipation des nouvelles générations par rapport à leur propre vie sexuelle amène également une plus grande pratique de ce type de relation (Scornet 2016).
Par contre, le manque d’information et de sensibilisation pousse bien des partenaires de même sexe à ne pas utiliser de protection, propageant le virus du VIH, et ce, surtout au sein de la communauté gay masculine (Blanc 2005, 729).
Face à l’explosion de cas reportés, le gouvernement vietnamien conduit une campagne afin de répertorier la provenance des cas et les victimes de la maladie (Blanc 2005, 730). En 2004, le Ministère de la santé pose un diagnostic du phénomène, ciblant surtout les travailleurs du sexe et les toxicomanes, omettant le fait que 85% des porteurs sont des hommes et que beaucoup d’entre eux issus de la communauté homosexuelle (Blanc 2005, 730–33). Les chiffres réels estimés par divers organismes seraient donc quatre fois plus élevés que les chiffres répertoriés par le ministère (Blanc 2005, 732). Il y a donc une indifférence systémique face à la communauté.
Bien que le dépistage et les soins adéquats ne soient pas disponibles partout aux pays, en période de crise, le gouvernement rend accessibles et gratuits ces services aux femmes enceintes et les travailleuses du sexe, sans se préoccuper des cas masculins (Blanc 2005, 730–32). Le Ministère de la santé nie le problème au sein de la communauté homosexuelle passant aussi par la non-confidentialité des dossiers masculins traités, utilisant donc la pression sociale déjà en place pour désinciter les séropositifs gays à consulter les services de santé (Blanc 2005, 730).
Sources
Blanc, Marie-Ève. 2005. “Construction sociale des homosexualités masculines au Viet Nam.” Revue internationale des sciences sociales n° 186 (4): 729–43.
Scornet, Catherine. 2016. “Jeunesse, Genre et Sexualité Au Viêt Nam.” In Mutations Démographiques et Sociales Du Viêt Nam Contemporain, edited by Myriam de Loenzien, Maria E. Cosio Zavala, and Bich-Ngoc Luu. Sciences Humaines et Sociales. Nanterre: Presses universitaires de Paris Nanterre. http://books.openedition.org/pupo/4416.