L’influence du Vietnam dans la stratégie hégémonique américaine et chinoise

Par Claudia Serrano

 

Les tensions en Mer de Chine Méridionale (MCM) ont, depuis la dernière décennie, repris en intensité. Bien que ces tensions concernent majoritairement des acteurs de la région, la zone affectée inquiète également d’autres joueurs, dont les États-Unis. Avec le pivot asiatique effectué sous l’administration Obama, les États-Unis ont cherché à renouer les liens avec plusieurs pays d’Asie du Sud-Est et ainsi pouvoir tenir tête à la Chine en pleine montée.

D’un point de vue stratégique, les deux grandes puissances ont avantage à charmer les autres joueurs de la région pour avoir le plus d’alliés dans leur camp. Ainsi, les relations qu’ils entretiennent avec les États d’Asie du Sud-Est sont fortement influencées par leurs propres intérêts. Cependant, il serait faux de prétendre que l’inverse n’a pas lieu, les pays d’Asie du Sud-Est ayant également un grand rôle à jouer dans les relations sino-américaines, la guerre du Vietnam en étant un parfait exemple.

 

Le point de vue vietnamien depuis la guerre d’Indochine

Le cas du Vietnam en tant qu’acteur au sein du conflit en MCM est particulièrement intéressant en raison de son passé non négligeable. Le petit État asiatique, auteur de la première défaire militaire américaine et de sa première grande humiliation sur la scène internationale, a tout de même su rester prudent dans les décennies suivant sa victoire. Après les réformes économiques du Doi Moi des années 1980, le pouvoir est divisé en quatre courants de pensée qui façonnent les relations internationales du Vietnam [1].

Le premier courant, plutôt anti-occidental, est celui des conservateurs qui misent sur la stabilité politique et la préservation du régime. Le deuxième courant, celui des réformateurs, favorise l’ouverture au monde ainsi que la modernisation. Le troisième courant prône plutôt un équilibre modéré entre le communisme et le capitalisme tandis que le dernier vise l’accumulation de profits selon les règles du capitalisme et du pouvoir selon celles du communisme [2]. En ce sens, le Vietnam fait, depuis, usage de la stratégie de « hedging » permettant de maintenir des relations équilibrées avec les superpuissances chinoise et américaine, mais également depuis 2009 avec de moyennes puissances comme le Japon, la Russie et l’Inde [3].

 

La relation sino-vietnamienne

Manifestation anti-Chine au Vietnam en raison du conflit en Mer de Chine Méridionale

La guerre du Vietnam, également connue comme la Seconde guerre d’Indochine, est le moment où le conflit a été le plus chaud en Asie du Sud-Est durant la guerre froide et a duré de 1955 jusqu’au retrait des dernières troupes américaines en 1973. Ce conflit, ayant opposé le Nord communiste soutenu par la Chine et l’Union soviétique au Sud soutenu par les États-Unis, est le parfait exemple de l’influence qu’a pu avoir un petit pays comme le Vietnam dans les relations Est-Ouest [4].

Cependant, malgré la victoire du communisme au Vietnam, plusieurs maintinrent des sentiments anti-Chine. Ainsi, les quelques rapprochements ayant eu lieu entre le Vietnam et la Chine au fil du temps ont davantage été motivés par leur anti-occidentalisme plutôt que par leur procommunisme [5]. La Chine, ayant la volonté de devenir la première puissance régionale puis mondiale, devient, en 2004, le partenaire commercial bilatéral le plus important du Vietnam, « le volume des échanges commerciaux bilatéraux vietnamiens avec la Chine [étant] 1,67 fois plus élevé que celui avec les États-Unis » en 2013 [6].

Toutefois, le Vietnam, conscient des risques que peut entraîner une telle relation, dont la dépendance économique, s’efforce de maintenir une position de « hedging » pour pouvoir mieux se protéger [7]. D’ailleurs, de nombreuses manifestations anti-Chine ont d’ailleurs eu lieu dans le pays sud-est asiatique notamment en 2011 et 2012 avec la montée d’un mécontentement envers la Chine au Vietnam [8]. En ce sens, depuis la réémergence des tensions en MCM, le Vietnam a adopté une position plus méfiante pouvant être définie de « hard-balancing » [9].

 

Les États-Unis au Vietnam depuis la guerre froide

De la fin de la guerre froide à la deuxième moitié des années 1990, les relations demeurent froides entre le Vietnam et les États-Unis, le premier subissant davantage d’influences de ses décideurs ralliés au courant conservateur [10]. Durant cette période, la politique vietnamienne vis-à-vis le géant occidental est associée au « soft-balancing » que l’on pourrait traduire d’équilibrisme doux, faisant usage de l’économie et de la diplomatie pour tenir tête à la puissance américaine, plutôt que l’usage de la force [11].

Cependant, depuis l’administration Clinton dans les années 1990, suivie de l’invasion de l’Iraq par les Américains en 2003 puis de la réémergence des tensions en MCM en 2009, le Vietnam a réorienté sa stratégie équilibriste pour démontrer un plus grand engagement dans ses relations avec les États-Unis, maintenant tout de même une position conservatrice [12]. Comme l’explique Wei Boon Chua, « En 2013, le Président Obama et le Président vietnamien Truong Tan Sang ont lancé le US-Vietnam Comprehensive Partnership, comprenant des initiatives clés dont la constitution de capacités maritimes, l’engagement économique, les changements climatiques et les enjeux environnementaux, l’éducation et le respect des droits de la personne » ce qui a eu pour effet de tripler les échanges commerciaux États-Unis–Vietnam [13].

Le président américain Donald Trump avec le président vietnamien Tran Dai Quang à Hanoi en novembre 2017

Toutefois, en comparaison aux intérêts identitaires, sécuritaires et économiques chinois et vietnamiens en Mer de Chine Méridionale, les intérêts américains restent relativement minimes, se limitant plutôt à la volonté de maintenir leur poste de première puissance dans la région [14].

 

 

https://youtu.be/MILt4DlY_sE?t=2s

 

 

Références

[1] Vuving 2015, 271

[2] Vuving 2015, 271

[3] Vuving 2015, 278

[4] Vuving 2015, 270

[5] Vuving 2015, 272

[6] (Traduction personnelle) Vuving 2015, 276

[7] Vuving 2015, 275, 8

[8] Vuving 2015, 275

[9] Vuving 2015, 276

[10] Wei Boon Chua 2017, 275

[11] Vuving 2015, 279

[12] Wei Boon Chua 2017, 275 ; Vuving 2015, 270

[13] (Traduction personnelle) Wei Boon Chua 2017, 275

[14] Vuving 2015, 275 ; Wei Boon Chua 2017, 275

 

 

 

Bibliographie

Wei Boon Chua, Daniel. 2017. « United States’ pivot and Southeast Asia ». Dans S. Ganguly, J. Liow et A. Scobell, dir. The Routledge Handbook of Asian Security Studies. London : Routledge.

Vuving, Alexander L. 2015. « Power rivalry, party crisis and patriotism : New dynamics in the Vietnam–China–US triangle ». Dans M. Li et K. M. Kemburi, dir. New Dynamics in US-China Relations : Contending for the Asia Pacific. New York : Routledge.

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