L’Indonésie et les puissances : une coopération dans le domaine de la sécurité

Par Camila Valencia

Depuis le début des années 2000, l’Indonésie s’est engagée de façon proactive à renforcer ses relations en matière économique et de sécurité avec les deux principaux acteurs géopolitiques du moment, dont les États-Unis et la Chine. Plusieurs accords commerciaux et divers partenariats stratégiques dans le domaine de la défense ont été conclus entre l’Indonésie et ces deux grandes puissances[1].

Or, si la présence de ressources naturelles abondantes et l’émergence économique de l’Indonésie sont des facteurs qui expliquent le renforcement des relations entre l’Indonésie et les grandes puissances en matière économique, la coopération de plus en plus importante de l’archipel dans le domaine de la sécurité et de la défense reste difficile à comprendre en raison de la faiblesse militaire du pays et de sa politique étrangère dite neutre et modérée[2]. Ainsi, comment expliquer la coopération de l’archipel indonésien avec les grandes puissances en matière de sécurité et de défense ?

L’Indonésie et les États-Unis : une lutte contre le terrorisme

1. Les tours jumelles de New York percutées par deux avions de ligne le 11 septembre 2001

Depuis la levée de l’embargo américain sur les ventes d’armes à l’Indonésie, imposé en 1991 suite aux violations commises par les forces armées indonésiennes au Timor oriental, les relations entre l’Indonésie et les États-Unis sur le plan sécuritaire se sont considérablement consolidées. Plusieurs accords en matière d’armement et un « partenariat stratégique exclusif » renforçant les liens dans le domaine de la défense ont été conclus entre Jakarta et Washington depuis le début des années 2000[3].

Ce rapprochement entre l’Indonésie et les États-Unis en matière de coopération militaire s’inscrit principalement dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Selon François Raillon, spécialiste de l’Indonésie, avec les attentats de 2001 à New York, l’Asie du Sud Est, une région dans laquelle les mouvements islamistes se sont fortement développés depuis les années 1990, devient un front central de la lutte engagée par les États-Unis contre le terrorisme[4]. Parmi les États de l’Asie du Sud-Est, l’Indonésie, premier pays musulman du monde, devient un allié central pour les États-Unis dans cette lutte antiterroriste.

À la suite des attentats dans la ville touristique de Bali en 2002, l’Indonésie est devenue la cible d’un terrorisme international de grande ampleur[5]. La montée d’un vaste réseau islamiste, connu sur le nom de Jemaah Islamiyah (JI), qui couvre l’Asie du Sud Est avec des bases militaires au sud des Philippines et de la Malaise, et qui prend pour champ d’opérations l’Indonésie, mène les États-Unis à s’intéresser davantage à l’archipel en tant que partenaire stratégique dans la lutte antiterroriste. Les attentats et les actions terroristes commis par la JI en Indonésie depuis 2002, incitent également le gouvernement indonésien à se rapprocher des États-Unis afin de neutraliser cette organisation qui remet en question son image d’un pays musulman modéré sur la scène internationale[6].

Il importe de noter que si l’Indonésie a toujours été confrontée à des réseaux terroristes transnationaux, les effets dévastateurs de l’embargo américain pour l’armée indonésienne et la nécessité de l’archipel de combattre la JI mènent l’Indonésie à renforcer ses liens avec les États-Unis, l’une des puissances militaires les plus engagées dans la lutte contre la radicalisation religieuse[7]. Ainsi, la coopération en matière de défense et de sécurité entre l’Indonésie et les États-Unis s’explique principalement par leurs intérêts mutuels en ce qui a trait à la lutte contre le terrorisme.

L’Indonésie et la Chine : une question d’influence et d’équilibre

2. Le président chinois Xi Jinping et le président indonésien Susilo Bambang Yudhoyono (2004-2014)

À partir de la fin du régime autoritaire du gouvernement anticommuniste Suharto en 1998, l’Indonésie et la Chine se sont considérablement rapprochées dans le domaine militaire. En effet, en 2005, Jakarta et Pékin se sont mis d’accord pour définir un partenariat stratégique et en mai 2006, un dialogue annuel sur la défense et la sécurité fut initiée. Depuis 2010, un plan d’action pour la mise en œuvre d’un accord de coopération dans le domaine de la défense, ouvrant la voie à un renforcement des transferts de technologie et d’entrainement, fut également mis en place par les deux États[8].

Ce renforcement des relations entre l’Indonésie et la Chine s’explique par plusieurs facteurs. Du côté chinois, l’intérêt d’un renforcement des liens avec l’Indonésie en matière militaire s’explique principalement par la volonté de la Chine de trouver des alliés en Asie du Sud-Est ayant les capacités de garantir ses intérêts dans le conflit de mer de Chine méridionale. « Membre fondateur et influent de l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN), l’Indonésie est ainsi identifiée par Pékin comme un partenaire potentiel dans le cadre des disputes avec les pays voisins »[9], notamment dans le cadre des litiges avec le Vietnam et les Philippines autour des iles Spratleys et Paracels.

Ainsi, tel qu’expliqué par Delphine Alles, chercheur associé à l’Institut de recherches sur l’Asie du Sud-Est contemporaine, en raison des caractéristiques géopolitiques de l’Indonésie et des intérêts grandissants de la Chine en mer de Chine méridionale, le dirigeant chinois adopte de plus en plus « une attitude généreuse envers l’archipel, notamment en matière d’exportations d’armements »[10].

Du côté indonésien, l’engagement de partenariats avec la Chine dans le domaine de la sécurité et la défense s’explique principalement par la volonté de l’Indonésie de suivre une politique étrangère dite « indépendante et active ». En effet, en se lançant dans une coopération dans le domaine militaire avec la Chine, l’Indonésie vise à ne pas s’aligner complètement sur le camp américain. Elle vise à garder une distance égale dans ses relations avec la Chine et les États-Unis en matière de sécurité et de défense[11].

Il convient de souligner qu’au-delà de vouloir rester à l’abri de la rivalité sino-américaine en Asie du Sud-Est, l’Indonésie vise également, à travers une coopération stratégique avec la Chine, à diversifier ses partenaires en matière de défense afin de ne plus risquer la situation à laquelle elle avait été confrontée lors de l’embargo américain en 1991[12].

En somme, la coopération de plus en plus importante de l’Indonésie avec les grandes puissances en matière de sécurité et de défense s’explique principalement par sa politique étrangère dite indépendante et active, son importance géopolitique et l’apparition de nouvelles formes de violences non traditionnelles dans la région de l’Asie du Sud-Est.

3. Carte de la mer de Chine méridionale

 

[1] Alles, « Indonésie : le non-alignement à l’épreuve de la concurrence sino-américaine ».

[2] Hellendorff et Schmitz, « L’Indonésie : une puissance régionale aux ambitions mondiales » Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité, 11-14.

[3] Alles, « Indonésie : le non-alignement à l’épreuve de la concurrence sino-américaine », 182-183.

[4] Raillon, Indonésie — Les voies de la survie, 200-206.

[5] Madinier, « L’État indonésien face à l’extrémisme religieux : Gestion de la violence et de l’intolérance ».

[6] Raillon, Indonésie — Les voies de la survie, 200-206.

[7] Raillon, Indonésie — Les voies de la survie, 203-206.

[8] Hellendorff et Schmitz, « L’Indonésie : une puissance régionale aux ambitions mondiales » Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité, 12.

[9] Alles, « Indonésie : le non-alignement à l’épreuve de la concurrence sino-américaine », 178-181.

[10] Alles, « Indonésie : le non-alignement à l’épreuve de la concurrence sino-américaine », 180.

[11] Hellendorff et Schmitz, « L’Indonésie : une puissance régionale aux ambitions mondiales » Groupe de recherche et d’information sur la paix et la sécurité, 13.

[12] Alles, « Indonésie : le non-alignement à l’épreuve de la concurrence sino-américaine », 182.

 

Bibliographie  

Alles, Delphine. 2013. « Indonésie : le non-alignement à l’épreuve de la concurrence sino —                       américaine ». Politique étrangère 4 (Hiver) : 175-185.

Hellendorff, Bruno et Manuel Schmitz. 2014. « L’Indonésie : une puissance régionale aux              ambitions mondiales ». Groupe de recherche et d’information sur la paix et la  sécurité.

Raillon, François. 2007. Indonésie — Les voies de la survie. Paris : Éditions Belin.

Madinier, Rémy. 2011. « L’État indonésien face à l’extrémisme religieux : Gestion de la violence et de l’intolérance ». Asia Centre.

 

Iconographie 

  1. http://www.parismatch.com/Actu/Insolite/11-septembre-2001-Appel-pour-la-declassification-de-28-pages-sur-les-attentats-du-11-09-01-683070
  2. https://blogmegasimarmata22.wordpress.com/tag/susilo-bambang-yudhoyono/
  3. http://lesakerfrancophone.fr/le-cambodge-comme-exemple-de-linfluence-chinoise-sur-lasean

 

 

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